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Çalhanoglu, l’empereur du milieu
Tout juste trentenaire, Hakan Çalhanoğlu est au sommet de son art. Positionné dans un rôle de regista par Simone Inzaghi, l’international turc s’est imposé comme le pion essentiel de cette Inter, faisant de lui une référence à son poste en Italie et en Europe.
La beauté est-elle objective ou subjective ? Depuis la nuit des temps, philosophes et théoriciens tentent de répondre à cette question. Dimanche dernier, à San Siro, Hakan Çalhanoğlu est venu apporter un argument aux défenseurs de la première option. Peu avant la demi-heure de jeu, le Turc a fait parler sa classe en délivrant une sublime passe laser d’un coup de pied de 30 mètres pour Federico Dimarco (qui manquera par la suite son centre), de quoi faire exulter les quelque 75 000 âmes présentes dans l’enceinte lombarde. Un geste sublime, fantastique, merveilleux, qui illustre surtout de la meilleure des manières sa prestation face à la Juve.
C’est simple, pendant 90 minutes, le milieu de terrain nerazzurro a imposé sa loi face à Rabiot & Cie, en attestent ses statistiques : sur 106 passes tentées, il en a réussi 100, dont 8 passes clés, une frappe sur le poteau et 7 ballons récupérés. Une prestation cinq étoiles de Magic Hakan, confirmant qu’il est bel et bien le patron de cette Inter depuis le début de saison. « Il fait partie des meilleurs à son poste, sans discussion. Encore une fois ce soir, Hakan a été merveilleux », s’est réjoui Simone Inzaghi après le coup de sifflet final et ce succès capital face à la Juve (1-0) dans la course au Scudetto.
Il Professore. 👨🏻🏫📐 @hakanc10 #InterJuve pic.twitter.com/fSWYJxFFGq
— Lega Serie A (@SerieA) February 5, 2024
D’un Milan à un autre
Si l’international turc excelle sous la tunique bleu et noir, son aventure à Milan ne débute pourtant pas sur les meilleures bases. Recruté par le cousin rossonero à l’été 2017 pour 23 briques, Çalhanoğlu, numéro 10 dans le dos, était censé devenir le nouveau fuoriclasse du Milan et permettre au club de franchir un palier, aux côtés de Leonardo Bonucci, Franck Kessié, André Silva, Andrea Conti ou encore Ricardo Rodríguez, tous débarqués à la même période.
« C’est un joueur extrêmement talentueux, très complet, mais surtout qui dispose d’une grande capacité d’adaptation » se remémore Johan Djourou. Son ancien coéquipier du côté de Hambourg durant la saison 2013-2014 pense alors, comme beaucoup, que l’homme aux coups francs fantastiques va exploser dans la Botte. Mais les choses ne se passent pas comme prévu. Ses prestations sont en deçà des attentes, avec un positionnement en trequartista. « C’est un joueur complet certes, mais je pense qu’il ne dispose pas forcément des qualités intrinsèques d’un meneur de jeu, capable de percuter, de mettre de la vitesse », argumente l’ancien international suisse. Excepté quelques fulgurances dans cette position, Çalhanoğlu ne parvient pas à trouver chaussure à son pied à l’AC Milan. Quatre saisons et 172 matchs plus tard, le Turc quitte le navire rossonero libre, mais choisit de rester au pied du Duomo.
Passer d’un Milan à un autre n’est pas toujours facile. Quand le milieu de terrain débarque à l’Inter, le club sort d’un titre de champion d’Italie, accompagné du remplacement d’Antonio Conte par Simone Inzaghi et du départ de plusieurs cadres (Lukaku, Hakimi, Eriksen, Politano). Comme chez le rival, Çalhanoğlu n’inspire pas une grande confiance à son arrivée, et son rôle dans le 3-5-2 cher au nouveau technicien lombard n’a rien d’évident. Une erreur de casting ? Certains ont pu le penser, mais pas Inzaghi. « Quand j’ai demandé à la direction de le recruter, c’était une prise de risque, expliquait l’ancien entraîneur de la Lazio dans un entretien au Corriere dello Sport. Les supporters ne comprenaient pas trop ce choix. Mais j’étais convaincu que c’était le joueur parfait pour nous. »
Un regista de luxe
Pour que la mayonnaise prenne, l’architecte Inzaghi choisit de repositionner son arme turque dans un rôle de regista dans le cœur du jeu. « Inzaghi m’a fait comprendre que c’était mon poste, et désormais, c’est là que je me sens le plus à l’aise, confirmait le principal intéressé dans la Gazzetta dello Sport en mars dernier. Grâce au coach, je me suis perfectionné à cette position, notamment dans l’aspect défensif. Certes, je suis moins décisif et je tire moins que lorsque j’étais trequartista, mais je peux désormais contrôler le jeu, le rythme. Et ça me plaît. »
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Positionné devant la défense aux côtés de Marcelo Brozović et Nicolò Barella lors de la première saison, puis avec Henrikh Mkhitaryan à la place du premier, le désormais numéro 20 nerazzurro (qui a un tatouage du numéro 10 sur son bras gauche) est devenu le moteur de cette équipe interiste. Çalhanoğlu sait faire beaucoup de choses : gratter des ballons, multiplier les efforts à la récupération, s’appuyer sur sa vision du jeu et son aisance technique pour enfiler le costume de créateur. Un patron, un vrai, adoubé par Djourou : « Cette position lui va à merveille grâce à sa qualité de passe, sa vision du jeu, mais aussi son agressivité à la perte du ballon. En regista, il a moins de pression qu’en meneur, il a le jeu devant lui, et c’est plus simple. »
Une place à la table des grands ?
Après deux premières saisons séduisantes, Magic Hakan a décidé de franchir un nouveau cap cette saison, devenant de très loin le meilleur à son poste. « C’est bien connu, avec l’âge, on a tendance à reculer sur le terrain. Hakan est beaucoup plus mature dans son jeu et ça se ressent, enchaîne Djourou. Ce n’est plus le joueur extrêmement talentueux, mais qui manquait un peu de sérieux que j’ai connu à Hambourg. Son niveau m’impressionne, mais je ne suis pas vraiment surpris. »
Une référence en Italie, oui. En Europe, aussi ? Il ne faut pas compter sur le bonhomme pour se la jouer modeste quand il s’agit de se prononcer sur de possibles comparaisons avec Luka Modrić ou Joshua Kimmich. « Je me sens sous-évalué et je considère ne pas être si éloigné du niveau des joueurs cités, disait-il à la Gazzetta dello Sport. Je me vois clairement parmi les cinq meilleurs à mon poste, je dis ça avec humilité et conscience. » Djourou, lui, préfère rester prudent : « Je n’aime pas trop ces comparaisons, c’est toujours délicat, car Rodri ne joue pas dans le même contexte, le même système de jeu que Hakan. Mais il a du crédit et n’a pas à rougir devant les autres. » À 30 ans et au sommet de son art, Çalhanoğlu n’a plus grand-chose à prouver.
Par Tristan Pubert
Propos de Johan Djourou recueillis par TP.