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Infirmerie pleine en Serie A
Iturbe à la Roma, Rossi à la Fiorentina, Pirlo à la Juve, Diego López au Milan, Icardi à l'Inter, Biglia à la Lazio. Liste non exhaustive des lésions musculaires ou adducteurs en feu du côté de la Serie A. Comment l'Italie, pionnière en préparation physique dans les années 2000, peut-elle charger autant ses infirmeries aujourd'hui ? Un élément de réponse avec Didier Reiss, préparateur de la famille Pogba.
C’était il y a deux ans. Peut-être trois. Adama Guidala est à l’Inter. Didier Reiss s’occupe de sa préparation. Un jour, ils travaillent ensemble et Didier regarde son programme d’entraînement. Crunch classique ? Au milieu de tactique et de ballon, la seule référence à de la musculation, ce sont des séances d’abdos. Oui, c’est bien ça : dos contre la pelouse et on relève le haut du corps. La musculation pour les nuls, quoi. Didier Reiss, surpris : « C’est comme ça qu’ils fonctionnent en Italie maintenant. Ou du moins, à l’Inter à cette époque. Pendant la saison, c’est de la tactique et un peu de course. Et pas de musculation. Où est la cohérence ? Dans un sport où tu frappes dans un ballon, ça sert à quoi de faire des abdos allongés par terre ? On les occupe, quoi. » En clair, les crunchs classiques, c’est bien, mais juste pour s’entretenir. Ce n’est pas du tout adapté au football moderne : « C’est un sport atypique. Un sport de vitesse où on court dans tous les sens. Il faut des stabilisateurs puissants, le bassin est toujours gainé. Alors soit on fait des entraînements avec des virages, soit on travaille ces muscles pendant des séances de musculation. Mais pas des abdos comme ça. »
Rugby et handball, une longueur d’avance
Le plus simple serait donc de taper sur les préparateurs. Dans les années 2000, l’Italie a réinventé la préparation. Moins de physique pur et dur, de la musculation plus judicieuse et plus de tactique. Un savant dosage envié à l’étranger. Gilles Cometti se chargera de l’importer en France. Problème ? La préparation physique évolue sans cesse. Il faut donc se mettre à la page tous les jours : « Peut-être qu’aujourd’hui, en Italie, ils n’essayent plus de se renouveler. Ils se reposent sur leurs lauriers. » Après ces années de gloire, on les laisse faire leur job. Et vu qu’on les laisse tranquilles, les préparateurs italiens ne s’ouvrent plus à ce qui se fait ailleurs. Pourtant, Didier ne leur met pas tout sur le dos : « Mais avant tout, il y a une chose que je ne comprends pas : pourquoi en Italie, comme dans une grande partie du football européen, il n’y a qu’un seul préparateur physique par équipe ? Comment le mec peut-il suivre plus de 20 joueurs tout seul ? Ça, ce n’est plus possible. » Tous les joueurs devraient être suivis individuellement. Tous les joueurs ont leur propre organisme, leurs propres antécédents médicaux. Tous les joueurs ne devraient pas pratiquer les mêmes exercices. « En rugby ou en handball par exemple, tu en as quatre par équipe. Un chef, un coordinateur, etc. On écoute les joueurs, leurs difficultés, leurs sensations. On ne va pas me dire qu’on n’a pas les moyens dans le foot. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que le préparateur physique tout seul, lui, il n’a pas les moyens de bien faire son boulot. »
Les devoirs à la maison
Un travail individuel à faire en dehors des cours, c’est la clef. Un peu comme quand on nous incitait à lire des livres en dehors des devoirs. Certains grands joueurs l’ont bien compris. Pour rester en pleine forme, il faut bosser : « Ronaldo, Cabaye, je sais que, eux, ils se préparent à côté. Ou Paul Pogba par exemple. Je le suis depuis 5 ans. C’est important parce que le joueur sera mieux préparé. Déjà. À la Juve, ils ne font pratiquement pas de physique. Ça gêne les joueurs à un moment donné. Et parce que si un de mes joueurs est transféré, je connais tout son parcours et je vais pouvoir mieux informer le nouveau staff sur sa condition physique. » Une sorte de carnet de santé vivant. Et c’est souvent là que se trouvent les premières lacunes du foot. Des mecs comme Icardi (on ne parle pas d’hygiène de vie, bien que ça puisse entrer en compte), Vidal ou encore Rossi se blessent souvent. Leur rééducation est souvent bâclée et leur entretien physique pas adapté : « Les clubs ont une vision à court terme. Forcément. Ils veulent que les mecs cartonnent direct. Mais il faudrait mettre la posturologie (ndlr : méthode d’étude de la posture) beaucoup plus en avant, individualiser toutes les préparations, prendre en compte les anciennes blessures. »
Le cercle vicieux de la blessure
Ce travail n’est pas fait et il suffit d’une blessure pour engendrer une série d’autres blessures. Combien de joueurs ne se sortent jamais d’un traumatisme ? Tiens bon, Yohann Gourcuff : « Un joueur se blesse à une jambe. Il va forcer sur l’autre et va mal se muscler. Il va mal se remettre de sa blessure. Exemple : regardez plusieurs photos de joueurs. Y a souvent des déséquilibres frappants. Des épaules plus larges que d’autres. Ces déséquilibres sont à l’origine de blessures à répétition. » En Italie, à Lyon comme ailleurs, il ne faut donc pas trop s’étonner de ces infirmeries pleines à craquer. On n’est pas encore trop prêt à une révolution. Un peu comme pour l’arbitrage vidéo, les blessures rendent le foot plus humain, hein.
À lire : Didier Reiss et Pascal Prévost – La bible de la préparation physique, Le guide scientifique et pratique pour tous – Editions Amphora.
Par Ugo Bocchi