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Infantino, tu vuò fà l’Americano ?
Le président de la FIFA a donc décidé de laisser sa trace dans le football en détruisant méticuleusement son identité. Sûrement, par diversion en partie, pour faire oublier peut-être les affaires qui lui collent aux basques. Mais surtout, en toute cohérence, il s'évertue à servir ceux qui l'ont installé sur le trône, aussi bien pour purger les séquelles des années Sepp Blatter, que pour s'assurer que l'argent continue de couler à flots comme avant. Bref, il doit terminer de transformer le football en un pur spectacle commercial, quitte à piétiner son histoire, son patrimoine et sa dimension populaire.
On ne l’avait pas vu venir, surtout après la crise de la Covid-19, et pourtant, La Repubblica a soulevé le lièvre. Après avoir vendu son âme au Qatar et regardé se construire des stades sur des cimetières de travailleurs, la FIFA aurait un nouveau délire : en finir avec les championnats en formule aller-retour, en se rapprochant du modèle de la NBA, certes une indéniable réussite en ce qui concerne le tiroir-caisse. Cette américanisation du soccer, dans son essence, son héritage, sa raison d’être, semble malheureusement et désespérément logique en termes économiques. Et s’il fallait une dernière preuve que la FIFA se résume à une multinationale comme une autre, elle se situerait bien dans ce sacrilège commis envers ce que l’historien Eric J. Hobsbawm qualifiait de « religion laïque ». Une multinationale donc, qui semble toutefois ignorer superbement ce qui confère une si grande valeur à son produit phare. Même Coca-Cola avait renoncé au New Coke.
Le foot est plus grand que la FIFA
Alors, d’où provient ce délire ? Comment peut-on à ce point parvenir à considérer le foot à l’instar d’une marque quelconque d’agroalimentaire, au mépris de ce qui forme et forge sa démocratisation et sa mondialisation depuis 150 ans ? L’histoire n’est certes pas enseignée en priorité dans les écoles de commerce, cependant tout le monde peut prendre cinq minutes pour consulter une fiche Wikipedia. Et découvrir de la sorte que, loin du marketing, le football a bâti son empire en partie sur l’association du duo championnat/coupe, aussi bien chez les amateurs que chez les pros.
À chacun son rôle, notamment en matière d’occupation de l’espace géographique. Pour sa part, la procédure du match aller-retour découpe la saison en hémistiche parfaitement équilibrée de la poésie du ballon rond, servant à enseigner les saveurs du temps long au peuple des tribunes puis du petit écran. La fidélité, l’émotion, l’attente.. toute une gamme affective qui transcrivait dans la mémoire collective le ressenti individuel du gosse collé à son père un soir d’hiver à la Meinau, ou de l’ultra retournant l’ennui qui peut régner dans le stade lors d’un morne 0-0 de Ligue 2.
NBA m’a tuer
Tout cela ne pèse guère lourd en 2020. Il s’impose d’abord de continuer à convaincre les diffuseurs de se ruiner toujours davantage pour les droits télé de la moindre compétition domestique, alors que le streaming entame déjà grandement leur moral et leur enthousiasme. Adapter le foot à ce que, dans les bureaux feutrés en Suisse, de brillants esprits imaginent être les envies et les rêves des nouvelles générations de consommateurs. Dans ce cadre, il devient essentiel de séduire les ados occidentaux, et leur futur pouvoir d’achat, eux qui désormais grandissent gavés autant de basket US que de Premier League ou de L1.
Qu’arrivera-t-il si NBA 2K dépasse les ventes de PES ou FIFA ? Derrière ces calculs se dissimulent, comme souvent dans le capitalisme 2.0, également une défaite culturelle. Le foot a toujours été géré par des costards-cravates. Désormais, simplement, il s’agit de cadres seniors qui pourraient se reconvertir dans n’importe quelle branche. Ils appliquent un business plan, leur souci n’est pas franchement de protéger ce patrimoine commun de l’humanité qui s’appelle le foot. Au risque peut-être, sans le savoir, de lui retirer sa spécificité et donc sa valeur. Et tous les empires peuvent s’effondrer.
Par Nicolas Kssis-Martov