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Infantino et les organisations internationales : un match parfait
Le mandat du divin chauve de la FIFA est marqué par une succession de partenariats noués avec des organisations internationales. Celles-ci, en quête de financements et de visibilité, y trouvent leur compte. Le Suisse de 53 ans, lui, y voit l’occasion de réhabiliter l’image d’une institution éclaboussée par les scandales et les polémiques. Analyse.
Le 1er mai dernier, le président de la FIFA prenait à témoin le monde entier et demandait aux diffuseurs du Big 5 (France, Allemagne, Angleterre, Espagne, et Italie) d’y mettre un peu plus du leur pour les droits TV du mondial féminin qui aura lieu du 20 juillet au 20 août prochain, en Australie et en Nouvelle-Zélande. En cause, des offres qualifiées de « très décevantes et tout simplement inacceptables », aux yeux de l’intéressé. Une prise de parole faite à l’occasion de Making Trade Score for Women, une série de tables rondes, organisée par l’OMC (Organisation mondiale du commerce) à Genève. À ses côtés, l’emblématique Ngozi Okonjo-Iweala, ancienne ministre des Finances du Nigeria et directrice générale de la puissante institution qui régit les règles du commerce mondial. Un drôle d’endroit pour faire une telle déclaration ? Pas vraiment.
Infantino, comme à la maison
Tout simplement car le patron de la FIFA est un habitué des arcanes internationaux. En janvier dernier, Gianni s’était rendu au Forum économique mondial de Davos, où il s’est entretenu avec les leaders de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), de l’OIT (Organisation internationale du travail), et déjà, de l’OMC. Dans cette petite commune des Alpes suisses qui accueille, chaque année, depuis 1971, le gotha du libéralisme économique, il l’assumait sans trembler : « Il me semblait essentiel de venir ici, de rencontrer des chefs d’État, dirigeants du monde des affaires, afin de mieux intégrer le foot dans l’économie mondiale. » Le Suisse n’est pas le premier dirigeant de l’instance à frayer avec les grands de ce monde. João Havelange, avec le virage de la commercialisation du football dans les années 1970, et Sepp Blatter par l’extension de la présence géographique de l’instance reine du ballon rond, lui ont montré la voie. Selon Pascal Boniface, géopolitologue et auteur de Football & Mondialisation : « Sa volonté dépasse celle de ses prédécesseurs en ce qu’il est encore plus institutionnel et bureaucrate. Devenu président de la FIFA par un concours de circonstances, il a besoin de développer ses relations institutionnelles, au sein de ces organisations. »
L’ouverture du bureau parisien de la FIFA, en juin 2021, en atteste. Situé dans un hôtel particulier place de la Concorde, rénové en partie par des fonds qataris, cette antenne doit, selon la FIFA, notamment servir à « consolider ses relations avec la France et la francophonie, ainsi que l’Unesco et l’Agence française de développement (AFD) ». « Infantino se démarque également en ce que son mandat s’inscrit dans une conjoncture particulière. Les scandales qui ont touché la FIFA depuis 2015, ainsi que ceux liés à l’attribution et à l’organisation de la Coupe du monde au Qatar, l’ont mis dans une logique de réhabilitation de l’institution », explique Pim Verschuuren, chercheur en géopolitique du football à l’université Rennes II. Illustration faite par le soutien appuyé de l’institution zurichoise à l’ouverture d’un bureau de l’OIT, institution chargée de défendre les droits des travailleurs, à… Doha. Dans la même veine, l’annonce, en août dernier, d’un programme de lutte contre la manipulation des matchs, en association avec l’ONUDC (Office des Nations unies contre la drogue et le crime).
Prix Nobel de la paix en vue ?
De leur côté, par ces partenariats, les agences onusiennes voient d’un bon œil l’implication de la FIFA. Car nombre d’entre elles ont un urgent besoin de financement. L’OMS réfléchit à une augmentation substantielle de son budget à partir de 2024, et le déficit de l’UNESCO est à combler. Qu’à cela ne tienne, sous le mandat d’Infantino, les deux instances ont signé des accords avec l’instance reine du foot. Selon Pim Verschuuren, cela n’a rien d’étonnant : « La crise du multilatéralisme est également un élément qui rend la FIFA particulièrement précieuse aux yeux de certains organes internationaux. » L’OMC l’a bien compris, elle qui, avec les crises économiques et le protectionnisme galopant, traverse la pire crise existentielle de son histoire. En septembre dernier, elle a signé avec la FIFA un texte qui vise à « utiliser le commerce et le football comme moteurs du développement économique et social ». Cet accord stipule que la FIFA envisage de soutenir financièrement les pays du groupe “Coton-4” (Burkina Faso, Bénin, Mali et Tchad) afin de les intégrer dans les chaînes de valeur mondiales des vêtements de football.
Faiseur de prospérité, Infantino se voit également en faiseur de paix. Mais là encore, il n’est pas le premier, selon Pascal Boniface : « Depuis Joāo Havelange, tous les présidents de la FIFA rêvent de recevoir un prix Nobel de la paix. » Comme en ce 23 juin 2022, où devant les chefs du gouvernement du Commonwealth, réunis en sommet, il clame : « Alors que beaucoup de gens évoquaient la construction d’un mur entre les deux pays, le Mexique et les États-Unis présentaient une candidature commune pour organiser la Coupe du monde. » Et ce, juste après avoir rappelé face à tous ces leaders gouvernementaux que la FIFA « investit beaucoup dans les pays du Commonwealth ». Autre carte dans la main d’Infantino, la portée médiatique du « sport roi ». « Ces organisations ont intérêt à nouer des relations et des partenariats avec des structures beaucoup plus médiatiques qu’elles, comme la FIFA », ajoute Pim Verschuuren. Et effectivement, il y a beaucoup plus de monde dans une conférence de presse de la FIFA que dans celle de l’UNESCO. Donner une visibilité à leurs actions n’est pas pour déplaire aux décideurs des agences onusiennes, loin de là.
Par Achraf Tijani
Tous propos recueillis par AT.