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Infantino, des milliards dans le tiroir

Par Adrien Candau
5 minutes
Infantino, des milliards dans le tiroir

À deux mois de la Coupe du monde russe, le New York Times a fait détonner une petite bombe jusqu’ici bien planquée dans les coulisses de la FIFA : l'instance mondiale réfléchirait très sérieusement à vendre la Coupe du monde des clubs à un conglomérat d’entreprises privées. Moyennant une offre de 25 milliards de dollars. Un montant qui fait cogiter, forcément.

À l’époque, sa déclaration était passée un peu inaperçue. En novembre 2016, Gianni Infantino décide de s’entretenir en VO avec la Gazzetta dello Sport. Et part bille en tête en croisade contre la Coupe du monde des clubs, une compétition qui n’intéresse pas franchement grand monde depuis sa création. L’Italien ne mâche alors pas ses mots. Il voudrait tout changer. De A à Z : «  Cette compétition pourrait avoir lieu l’été, du 10 au 30 juin, avec les trente-deux meilleurs clubs du monde ! » . Un projet aux contours un peu fou, qui semble alors relever du fantasme. Presque un an et demi plus tard, l’affaire n’a pourtant jamais été aussi concrète. Signe que, quand Infantino parle au conditionnel, la réalité ne tarde jamais à suivre son humble volonté.

RIP la Coupe des confédérations

Le 15 mars dernier, le président de la FIFA aurait tout simplement médusé de nombreux cadres de la Fédération internationale. En mettant sur le tapis l’offre qu’aurait faite à la FIFA un conglomérat d’entreprises : des sociétés privées qui proposeraient 25 milliards de dollars pour racheter à la Fédération le Mondial des clubs. Une proposition que la FIFA n’a pas confirmé avoir eu entre les mains. Mais que le New York Times, très bien informé, s’est délecté de détailler : moyennant les milliards qui viendraient garnir ses caisses, la FIFA abandonnerait à ces mystérieux investisseurs ses droits sur les trois prochaines éditions du Mondial des clubs. Une compétition qui serait revue de fond en comble, pour tenter de devenir aussi populaire que la C1 et la Coupe du monde. Et dont les formes sont connues dans les grandes largeurs. Au lieu du Mondial des clubs au rabais organisé annuellement, la FIFA et ses nouveaux bienfaiteurs envisageraient de mettre en place une compétition beaucoup plus événementielle, qui se tiendrait tous les quatre ans. Elle regrouperait 24 équipes du monde entier (dont 12 formations européennes) sur 18 jours de tournoi. Pour ne pas trop surcharger le calendrier des joueurs concernés, il serait en contrepartie envisagé de supprimer la Coupe des confédérations, qui n’enthousiasme pas franchement les foules.

Que le projet se concrétise ou non, l’ampleur de la somme évoquée ne peut, elle, pas laisser indifférent. Il en va de même pour la nature des acteurs prêts à dépenser un tel montant. Selon le New York Times, la FIFA traiterait avec plusieurs sociétés privées désireuses de préserver leur anonymat. Quelques noms et informations ont néanmoins filtré : le quotidien américain évoque des investisseurs issus d’Asie et du Moyen-Orient et mentionne notamment la multinationale japonaise Softbank. Une entreprise très liée avec l’Arabie saoudite, avec qui elle a créé en 2017 un fonds d’investissement, Vision Fund, qui pèse 93 milliards de dollars. Ce fonds a récemment pris des participations dans divers entreprises à haute plus-values technologiques. Il a notamment investi dans une gigantesque entreprise d’énergie solaire en Arabie saoudite, qui devrait devenir à terme le premier producteur mondial du secteur.

Contre-attaque saoudienne

« La plus importante question dans ce dossier de potentielle vente de la Coupe du monde des clubs par la FIFA, c’est certainement : pourquoi maintenant ? » pose Simon Chadwick, professeur d’économie du sport à l’université de Salford. « Déjà, il faut souligner que la FIFA semble plus vulnérable qu’il y a quelques années, à cause des scandales en série dont elle a fait l’objet. De nombreux sponsors l’ont abandonnée, notamment pour le Mondial en Russie…  » De quoi inciter Infantino à donner un coup de fouet au modèle économique de la Fédération internationale, encore trop dépendant de la Coupe du monde, dont elle tire 80% de ses revenus. « Ensuite, l’Arabie saoudite, via Softbank et Vision Fund, pourrait effectivement être un acteur majeur de ce dossier. » Signe que Riyad s’est peut-être lassé de rester sur la touche, alors que son grand rival, le Qatar, est devenu un acteur majeur de la planète football via le PSG et beIN Sports. « En matière de soft power, le Qatar et les Émirats arabes unis – avec Manchester City –, ont pris une grosse avance, et le royaume saoudien veut inverser la tendance » , poursuit Simon Chadwick. Une volonté qui correspond à celle du prince héritier, Mohammed Ben Salmane, qui œuvre pour la libéralisation des mœurs et de l’économie du pays : « Comme pour le Qatar, c’est dans la stratégie nationale du pays de développer le sport désormais : ils projettent d’ailleurs de privatiser leur championnat, alors que, jusqu’ici, les clubs étaient détenus par le gouvernement. Le futur suzerain veut créer un nouveau narratif pour le pays et le football doit être une plateforme leur permettant d’exprimer tout un nouvel ensemble de valeurs. »

Un changement de cap aux allures de jackpot pour Infantino, la FIFA et les fédérations qui lui sont affiliées, alors qu’une bonne partie des 25 milliards proposés seraient voués à être distribués aux clubs participant à cette Coupe du monde des clubs 2.0. D’autres acteurs majeurs du football mondial, comme le président de la Juventus Andrea Agnelli, également à la tête de la puissante association européenne des clubs, ne seraient pourtant pas convaincus, refroidis par les calendriers beaucoup plus chargés que la compétition imposerait aux joueurs. Qu’importe, Infantino n’aurait pas abandonné l’idée de voir le nouveau tournoi prendre forme d’ici 2021. « La force d’Infantino, c’est sa capacité à séduire de nouvelles nations à investir dans le football, tout en augmentant les perspectives économiques des clubs et nations historiques de ce sport » , relève Chadwick. Ce qui est certain, c’est qu’à environ un an des élections pour la présidence de la FIFA, l’Italo-Suisse a déjà en marge de son programme une mesure qui risque de peser très lourd dans la balance : 25 milliards de dollars, très précisément.

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Par Adrien Candau

Propos de Simon Chadwick recueillis par AC

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