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Indonésie : le drame de trop

Par Adrien Hémard-Dohain
7 minutes
Indonésie : le drame de trop

Samedi 1er octobre, 125 supporters venus encourager l’Arema FC au stade Kanjuruhan y ont perdu la vie. Les autorités indonésiennes ont également avancé le chiffre de 323 blessés dans ce qui restera comme l’un des drames les plus effroyables survenus dans une enceinte de football. Une catastrophe qui met aussi en lumière l’ultra-violence qui règne autour du ballon rond en Indonésie depuis des années.

« Le pire est arrivé. » Interrogé par Marca au lendemain de la catastrophe survenue au stade Kanjuhuran de Malang, à l’est de Java, le footballeur Abel Issa Camara a tenté de poser quelques mots sur l’horreur vécue la veille. Joueur de l’Arema FC, club local, il raconte une soirée d’horreur : « Nous sommes sortis du vestiaire et nous avons commencé à voir beaucoup de sang, des chaussures, des baskets, des vêtements partout, les policiers disant que deux collègues étaient morts. Je ne souhaite ça à personne. En étant là-dedans, on craignait pour nos vies et il y avait 40 000 ou 50 000 personnes dehors qui voulaient nos têtes. » D’après les autorités indonésiennes, 125 personnes ont perdu la vie à l’issue du match contre le rival, le Persebaya Surabaya, dont deux policiers et au moins un enfant. Pour situer quelque peu ce chiffre horrible, c’est plus qu’à Hillsborough en 1989. Le drame survenu à Malang est le plus meurtrier du football depuis le triste record de 1964, qui avait vu 320 Péruviens perdre la vie lors d’un Pérou-Argentine à Lima. Mais alors, comment en est-on arrivé là presque 60 ans plus tard ?

Une question de vie ou de mort

Sur un archipel complètement mordu de ballon rond, le championnat indonésien n’a pas besoin des stars européennes ou sud-américaines pour susciter une passion proprement hors norme, comme So Foot l’expliquait en juillet 2019. Dans un pays éclaté en 17 000 îles, multiethnique, le football, implanté dès le début du XXe siècle par les colons néerlandais, sert aujourd’hui d’exutoire et de terrain d’expression des antagonismes locaux. Chaque club reçoit l’amour d’une sélection, entouré d’un fort patriotisme localisé qui exacerbe les tensions. Ajoutez à cela de graves inégalités économiques, et vous obtenez un cocktail bouillant où supporter un club de foot n’est pas seulement une façon de vivre, mais aussi souvent une façon de mourir. Sur son site, la Fédération indonésienne de football recense elle-même un nombre qui fait froid dans le dos : 95, comme le nombre de supporters morts dans des violences liées au football entre 2005 et 2018. Voilà qui explique comment les stades indonésiens sont devenus des lieux où s’expriment une rare violence.

Samedi, à Malang, les autorités avaient pourtant pris toutes les précautions possibles. Sur les 42 000 supporters présents au stade, on ne comptait aucun fidèle du rival local, le Persebaya Surabaya. Une interdiction de déplacement préventive, qui n’a rien changé à l’issue tragique de la soirée. Et pour cause : les heurts ont éclaté lorsque les ultras de l’Arema FC ont voulu s’en prendre à leurs joueurs. Ces derniers venaient de s’incliner 3-2 face au rival, une première défaite depuis une vingtaine d’années, trop difficile à encaisser. Environ 3000 locaux sont alors descendus sur la pelouse, certains pour en découdre, d’autres pour saluer les joueurs, dont Abel Issa Camara : « Nous sommes allés nous excuser auprès de nos supporters parce que nous avions perdu le derby et c’est à ce moment-là qu’ils ont commencé à escalader les barrières, retrace le joueur. La police nous a aussitôt demandé de rejoindre les vestiaires parce qu’ils risquaient de perdre le contrôle de la situation tôt ou tard. Nous avons commencé à entendre des cris et des coups de feu, nous avons vu beaucoup de fumée. Puis certains fans ont réussi à entrer dans notre vestiaire et ont fini par mourir sur place.  » En voulant disperser la foule, les forces de l’ordre sèment la panique à coups de matraques et de gaz lacrymogènes.

Dans les gradins, Sam Gilang a assisté au drame et tenté de s’extirper de cet enfer. Interrogé par l’AFP, l’homme, qui a perdu trois amis dans la tragédie, raconte : « Les gens se poussaient les uns les autres, (…) beaucoup ont été piétinés en allant vers la sortie. C’était terrifiant, tellement choquant. La police était tellement arrogante, ils auraient pu juste repousser les supporters, les matraques suffisaient, pas besoin d’utiliser des gaz lacrymogènes. » Soupçonnant une émeute, la police locale déploie l’artillerie lourde et sème un vent de chaos dans l’arène. Les milliers de supporters affluent vers les portes de sortie. Le mouvement de foule emporte tout sur son passage, dont 125 vies. Parvenu à grimper sur une clôture, Sam Gilang s’en sort, contrairement à ceux qui finissent écrasés, asphyxiés. Pendant ce temps, les joueurs d’Arema FC quittent leur vestiaire et découvrent l’ampleur du carnage. Partout, dans les couloirs, sur la pelouse, en tribune, des corps, inertes.

Un engrenage meurtrier

En sortant de sa conférence de presse, le coach Javier Roca réalise la situation : « Je suis allé dans le vestiaire, et certains joueurs sont restés sur le terrain. Quand je suis revenu de la conférence de presse, j’ai découvert la tragédie et la situation à l’intérieur du stade. Les garçons passaient avec des victimes dans leurs bras. Le plus terrible, c’est quand les victimes venaient se faire soigner par le médecin de l’équipe. Une vingtaine de personnes sont venues et quatre sont mortes. Il y a eu des fans qui sont morts dans les bras de mes joueurs. » À l’extérieur du stade, le mouvement de foule emporte d’autres âmes. En découvrant les corps jonchant le sol, la population enrage et laisse éclater sa colère. Des projectiles, pierres, bouteilles en plastique pleuvent vers la police qui tente alors d’évacuer des officiels du stade. Plusieurs véhicules de police et camions sont renversés et incendiés.

Le lendemain matin, le bilan provisoire est terrible : 174 morts, ensuite réévalué à 125. Pour justifier l’attitude de ses hommes, la police avance l’excuse d’émeutes. Ce qui a été démenti par plusieurs témoins au stade, dont Doni, sollicité par l’AFP : « Il n’y avait rien, pas d’émeutes. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, ils ont soudainement envoyé du gaz lacrymogène. Ce qui m’a choqué, c’est qu’ils n’ont pas pensé aux femmes et aux enfants ! » Amnesty International a déjà appelé à une enquête pour faire la lumière sur ces évènements flous, alors que le lendemain, 300 ultras indonésiens se sont réunis pour une veillée funèbre, à Jakarta, en entonnant des chants accusant les policiers d’être des meurtriers. Le président Joko Widodo a demandé « une évaluation complète des matchs de football et des procédures de sécurité » et la suspension immédiate de toutes les rencontres de football. Et ce alors que l’Indonésie accueillera l’an prochain le Mondial U20. Du côté de la FIFA, qui interdit l’usage de gaz lacrymogènes dans un stade, Gianni Infantino s’est contenté d’évoquer « une tragédie qui va au-delà du football » dans un communiqué venu s’inscrire dans la longue liste de réactions à travers le monde. Même le pape François a tenu à prier pour les victimes dimanche matin. Avec son retentissement mondial, le drame de Malang marquera peut-être enfin un tournant dans un pays où le football est entré dans une spirale de violences, où les revanches se succèdent, entretenant un cercle vicieux hors de contrôle.

En septembre 2018, un supporter de Jakarta avait ainsi été lynché à mort, au stade, par des supporters de Bandung. Son corps avait ensuite été transporté par les supporters adverses dans le stade, accompagné du chant Dieu est grand !, le tout ayant été filmé et largement partagé sur les réseaux sociaux. Cela avait provoqué une indignation nationale, mais seulement une suspension… de deux semaines du championnat. Un exemple parmi tant d’autres des dérives qui frappent le football indonésien depuis de nombreuses années. À Malang, les joueurs de Persebaya Surabaya étaient ainsi arrivés dans un véhicule blindé. Inimaginable en Europe, c’est une pratique courante en Indonésie face à la violence des ultras, dont certains groupes comptent plusieurs dizaines de milliers de membres et constituent des forces quasi paramilitaires. Corrompue, la fédération indonésienne (PSSI) avait été suspendue par la FIFA, accusée de ne plus contrôler son football. Pas aidé par un État qui se désintéresse franchement du problème, elle aura fort à faire après ce nouveau drame qui aura affiché ses défaillances en mondovision. La PSSI et les autorités ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas, rappelle Abel Issa Camara : « Pendant la semaine, on parlait déjà beaucoup de ce match dans notre stade et de la rivalité, toute la ville parlait de ce match, car c’était un match qui allait au-delà des trois points, c’était un match de vie ou de mort. » Malheureusement, le sens propre a pris le dessus sur le figuré.

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