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Inárritu : « Le corps de Ronaldo est celui d’un type du XXIIe siècle »

Par Brieux Férot et Sébastien Prieto / Photo: DR
Inárritu : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Le corps de Ronaldo est celui d&rsquo;un type du XXIIe siècle<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Il a tourné une dispendieuse pub foot Nike et revendique un cinéma de l'intime. Son frère est vice-président des Tigres de Monterrey et lui fulmine contre la «  » du foot. Le réalisateur mexicain Alejandro González Inárritu - qui vient de triompher aux Oscars avec Birdman, en salles le 25 février - vit avec la contradiction chevillée au corps. Et assume. Entretien.

Quelle relation avez-vous au football ?

Mon père et mon frère n’ont fait que parler de foot toute leur vie, mon frère est aujourd’hui vice-président des Tigres de Monterrey, et moi, j’aime le beau jeu, mais je ne suis pas un fanatique qui attend la fin de semaine… J’ai joué milieu droit, en club, puis au lycée. Je n’ai jamais été capitaine, trop mauvais caractère, alors qu’il faut être un bon exemple. J’étais étudiant quand j’ai assisté au quart de l’Argentine contre l’Angleterre en 86. Je n’ai pas vu la main dans l’instant, je l’ai vu après. La Coupe du monde a aidé à soigner la douleur du tremblement de terre que nous avions rencontrée. Le Mondial a réveillé l’âme du pays.

Vivez-vous le football comme un lien universel ou dans un rapport local, communautaire ?

Le football, c’est le jeu le plus enthousiaste du monde, alors que dans le fond, les gens n’aiment pas vraiment le foot, mais le fanatisme du foot. C’est une question dangereuse, ce fanatisme qui naît et qui peut facilement basculer dans le nationalisme et servir de terreau à différentes idéologies. La ferveur footballistique cache beaucoup de frustration qui, quand elle sort, devient une haine terrible. L’identification tribale est dangereuse quand elle est transgressive. Cette partie-là me fait un peu peur, c’est vrai. Je ne parle pas d’un cliché, là, parce que je l’ai ressenti viscéralement, là (il montre son ventre, ndlr), quand je suis allé voir un derby à Old Trafford : les supporters de City étaient protégés de ceux de United par des sortes de soldats, des chevaux, la police, la sécurité… Quand la violence implicite du départ génère une telle quantité de sécurité, et franchement, on aurait dit une guerre, ça m’effraye, vraiment. Le football est une chose irrationnelle qui allume la mèche, telle une poudre qui convertit les gens en sauvages et qui peut exploser en nationalisme ou en xénophobie. Et quand ça devient viscéral, ce communautarisme en vient vite à l’idéologie, à la religion et à la race. Individuellement, c’est un jeu entre l’enthousiasme sain et la violence réprimée. À Manchester, j’ai aimé cette adrénaline animale, très primaire, je m’enflamme aussi pendant la Coupe du monde, mais je me rends aussi compte du côté primitif du truc…

Comment se passent vos repas de famille ?

Évidemment qu’on en parle, de cet état de putréfaction du football par « corporatisation » , où on ne parle plus d’équipes, mais de ces putains de marques… Coca Cola contre HSBC, c’est la concrétisation de la décadence du foot. Et, au milieu de tout ça, il y a la médiocrité de ces joueurs, les millions qu’ils gagnent sans rien branler ni marquer, le tout en sortant de boîte. Le stade des Tigres est plein tous les week-ends, et ils perdent tous les week-ends, c’est totalement irrationnel. Le maillot de foot, ce putain de maillot sacré, fait fi de la raison et symbolise la nécessaire expression communautaire de frustration ou d’allégresse. La quantité de temps que les gens investissent sur le foot de manière irrationnelle dans leur vie correspond à une désaffection pour celle de la cité, la politique… Le supportérisme est une race non évolutionniste : on perd du temps à célébrer quelque chose qui ne sert pas l’évolution de l’humanité.
Maradona, il peut chier dans le coin, là, et les gens vont venir bouffer son caca, il est déifié.

Pourquoi dire oui à Nike et réaliser la pub, Write the future, une des plus chères de l’histoire, pour la Coupe du monde 2010 ?

Parce que c’était une opportunité pour moi de filmer la physicalité du foot, c’est rare de pouvoir saisir ces corps en mouvement dans des espaces énormes comme les stades. La vélocité des joueurs aujourd’hui n’a rien à voir avec ce que j’ai vu en 86, quand il y avait des petits gros et des joueurs qui attendaient la balle. Là, ce sont des cracks, des fusées, une mécanique bien huilée. Le corps de Ronaldo est celui d’un type du vingt-deuxième siècle : il s’est transformé en une espèce de héros de jeu vidéo, avec un corps digital. Et puis, il y a les jambes de Drogba… Cette condition physique supérieure va dans le sens de la vélocité. Dans cette pub, l’expérience visuelle que je voulais rendre consistait à faire apparaître les joueurs comme intouchables, inatteignables. Alors, j’ai choisi de filmer comme un tableau, un retable : faire du stade un temple avec des statues quasi religieuses de joueurs plus grands que la réalité, et montrer le public, ces mortels en chair et en os, comme des petites fourmis. J’ai ressenti cela à Old Trafford parce qu’ils ne m’ont pas laissé marcher sur la pelouse comme ça : le terrain, tu le touches presque avec ta salive. Tout cela, c’est du marketing de l’inaccessibilité, de l’ordre du sacré. Ils te convertissent à cette idée ridicule que les joueurs sont sacrés sur le terrain. Maradona, qu’importe ce qu’il fait, il peut chier dans le coin, là, et les gens vont venir bouffer son caca, il est déifié. Ça pose la question du culte. Où va la raison ?

Quel joueur était le plus intéressant à filmer ?

Rooney, sans hésitation. Il a une vraie personnalité, une énorme gravité, sur son visage et dans son regard, et la sécurité de son corps, celle du type de la rue. C’est un acteur en puissance. Son rôle de vagabond, je l’avais écris pour lui, c’était un pari. Cannavaro aussi a un truc. Il fallait aller de pays en pays, donc j’ai eu peu de temps avec eux pour réussir ce que je voulais vraiment faire, mais leur attitude était très positive et très sensible. Bon, la plupart se sont plantés pendant le Mondial, comme s’il y avait eu un sortilège, une malédiction. Au fait, qu’est-ce qu’il s’est passé avec la sélection française, les gars ? J’ai eu une peine énorme, une honte incroyable pour tout ce que représentait le football. Le manque de respect vis-à-vis du directeur technique, je ne l’avais jamais vu de ma vie. Un joueur peut s’énerver, j’ai vu des acteurs venir me voir et gueuler, contrariés, mais là, insulter publiquement, accuser… En Angleterre, la même chose. Tu es censé t’arracher ta mère pour ton pays, or, là, tu deviens plus important que ton pays, c’est de la folie. Tu peux parler autant que tu veux de problèmes sociaux, culturels ou même de racisme, mais le court-circuit, c’est quand un joueur a globalement plus d’influence qu’un entraîneur ou qu’un joueur reçoit plus de passion du peuple que la sélection elle-même. Avec l’équipe de France, rien ne semblait clair dans leur tête, une coalition d’ego sans culture, mais avec beaucoup d’argent et de pouvoir médiatique.

Sur le tournage de Babel, diriger Brad Pitt, c’est du même ordre d’idée…

Totalement, c’est la même chose. Le problème, c’est d’avoir plus d’argent ou de pouvoir que de culture. La quantité d’argent injecté dans le foot par les sponsors n’est pas compatible avec le vrai problème de structure mentale des joueurs : vivre dans un quartier tout pourri au Brésil à seize ans et gagner plus de trente millions de dollars à vingt et un, ça te fout en l’air. C’est ce qui arrive aux joueurs de foot, mais aussi aux acteurs et, à un autre niveau, aux hommes politiques. Avant, un joueur de foot avait une nana super jolie, jouait au foot et restait chez lui avec elle. Maintenant, il gère son yacht en mer Méditerranée, passe son temps dans son jet avec sa nana devenue top-model ou actrice, quand il n’en a pas deux ou trois, les paparazzi lui courent après entre son appartement de Paris et celui de New York, et, quand il lui reste du temps, il touche un peu le ballon.
Ça me tue, ça : tu es Iniesta, tu es Bardem, et tu ne tires pas la couverture à toi, c’est fort, ça n’existe plus trop…

Dans ces conditions, le métier d’entraîneur n’est plus viable…

Aujourd’hui, un entraîneur est bon s’il fait preuve d’autorité par la connaissance et non par le pouvoir économique ou médiatique. Mourinho, c’est d’abord ça. L’autorité, la vraie, c’est quand quelqu’un en connaît plus que toi. L’autre, le pouvoir médiatique, sortir avec Paris Hilton ou avoir un yacht, ça ne sert plus à rien. La sélection mexicaine a perdu parce qu’on avait ce bandit d’Aguirre, un sélectionneur qui voulait imposer des individualités, expérimenter et faire des choses folles avec un positionnement des joueurs totalement contre nature. Or, expérimenter, c’est très facile, tu ne fais pas ça en Coupe du monde. Il n’y a rien de plus dur que de faire des choses simples très naturellement, or les génies, comme Chicharito (Javier Hernández, ndlr), ont ce rapport organique, naturel aux autres. Aguirre voulait aller contre la population, contre toute logique, par fierté, et l’a laissé sur le banc pour le faire entrer les dernières vingt minutes… Le succès de la sélection espagnole est d’avoir géré les ego et montré un visage d’humilité que tous les Espagnols voulaient voir, une équipe unie et unique. Quand Iniesta est revenu en Espagne, il l’a fermé et ne s’est pas mis en avant médiatiquement. J’ai expérimenté ça avec Javier Bardem sur le tournage : il s’intègre, se désintègre, puis se fond dans la masse. Ça me tue, ça : tu es Iniesta, tu es Bardem, et tu ne tires pas la couverture à toi, c’est fort, ça n’existe plus trop…

Ce sont pourtant les individualités que vous avez toujours filmées, « faire de l’intime le nouveau punk » comme vous dites, quand Uxbal, le héros de Biutiful, cache son argent dans ses chaussettes de l’Espanyol ou que le fils d’une immigrée africaine s’appelle Samuel en référence à Eto’o…

Biutiful est très intime, de l’ordre de la transgression, au niveau du son également, car je travaille sur la matière audiovisuelle, l’image et le son, ce double travail qui manque parfois dans les matchs… Oui, ça me paraissait normal que la famille d’Africains trouve en Eto’o un exemple à Barcelone, alors qu’Uxbal qui n’est pas catalan mais un charnego, un immigré castillan sans argent en Catalogne et qui vit dans le quartier cosmopolite de Santa Coloma, aime une équipe plus populaire, moins sophistiquée… Je crois que le football du Barça et de l’Espagne, ce meilleur football du monde que j’ai vu au Camp Nou, n’est pas un jeu de personnalités, mais d’une personnalité, organique, d’une beauté de l’ordre du miracle qui te prend. Et tu ne choisis pas de l’aimer ou non. C’est comme ça…
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Par Brieux Férot et Sébastien Prieto / Photo: DR

– Propos recueillis par BF et SP / Entretien paru - en version courte - dans le numéro 80 de SoFoot.

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