- Foot et psychologie
Imorou : « On a tous des craintes »
Tout juste promu en D1 belge avec le Cercle Bruges, l’ancien Caennais Emmanuel Imorou collabore avec un préparateur mental depuis un an et demi. À l’heure où des joueurs comme André Gomes témoignent de leur mal-être au quotidien, où l’AS Nancy Lorraine et Créteil font appel à un préparateur mental dans leur mission maintien en Ligue 2 et National, le défenseur de 29 ans explique pourquoi l’aspect mental est trop souvent négligé dans le foot actuel.
Tu travailles avec le préparateur mental Raphaël Homat. Pourquoi t’es-tu tourné vers lui ?J’avais un pote, Dennis Appiah, qui travaillait avec lui. Moi, j’ai commencé lors de ma troisième saison à Caen (2016-2017). Lors de la saison précédente, j’ai connu beaucoup de blessures, et j’étais dans un état d’esprit où j’avais peur de la blessure. J’avais une espèce de paranoïa autour de la blessure. J’étais constamment dans le calcul pour gérer mes efforts. Et je ne voulais plus avoir d’appréhension à chaque match.
Pourquoi choisir un préparateur mental extérieur au club ?
Tout simplement parce que j’estimais qu’il n’y avait pas ce qu’il fallait au sein du staff à Caen. On a travaillé avec Gérard Baglin (préparateur mental et psychologue du sport, ndlr), mais les séances avec lui, ça ne me parlait pas. Il ne me correspondait pas, alors qu’avec Raph’ (Homat), quand on a discuté, j’ai senti tout de suite des choses concrètes, plus individualisées. Et, en plus, le fait de voir quelqu’un d’extérieur au club, ça m’a permis d’évacuer certaines choses…
Tu t’es libéré plus facilement du fait qu’il ne soit pas salarié du club ?Complètement. C’est forcément plus facile d’avoir confiance en quelqu’un qui ne va pas répéter. En fin de compte, son client, c’est moi, ce n’est pas le club. Alors que le préparateur mental du club était salarié du club. Avec lui, je ne savais pas si je pouvais m’exprimer librement. Mine de rien, ça a joué, au-delà du fait que les séances ne me plaisaient pas.
Tu peux nous détailler une séance de travail qui a particulièrement fonctionné avec toi ?Quand j’étais à Caen, on a fait une séance d’imagerie où je devais m’imaginer faire des sprints. Comme je te le disais, j’avais peur de sprinter. J’ai fait une séance d’imagerie où je devais faire des sprints, ensuite, j’ai fait une séance en m’imaginant lors d’un match : j’enchaînais les sprints, les débordements, etc. Le lendemain, à l’entraînement, j’ai été amené à faire un sprint et à la fin de la séance, un coéquipier m’a dit : « Wouah, ça faisait longtemps que je ne t’avais pas vu sprinter comme ça » … (Rires.) J’étais content parce que, sur le moment, je n’y ai même pas pensé, mais un coéquipier qui ne savait pas que je travaillais avec un préparateur mental l’a vu, donc ça voulait dire que ça marchait.
Comment réagissent tes coéquipiers quand tu leur en parles ?
En général, nous, les footballeurs, on est plutôt méfiants. En fait, depuis tout petit, on est conditionnés sur la performance physique et technique, mais le mental, on n’en parle pas du tout. Je n’ai aucun souvenir au centre de formation ou même plus tard d’avoir parlé avec des préparateurs mentaux. C’est vrai que le fait de voir un préparateur mental, ça peut s’apparenter à voir un psy dans la vie normale. En tout cas, j’ai l’impression que c’est comme ça que c’est perçu dans le milieu du foot. Tu passes pour « un faible » . C’est dur d’accepter qu’on a des défaillances mentales… On n’aime pas avouer ou accepter qu’on peut avoir des « déficiences » mentales. On aime bien montrer qu’on ne ressent rien, qu’on n’a pas peur. Mais, on a tous des craintes : la peur de l’échec, de ne pas jouer, le stress… Toutes ces choses, le préparateur mental peut t’aider à mieux les aborder…
Tu fais combien de séances de travail mental par semaine ?Maintenant, je suis passé à une par semaine. Depuis trois semaines, c’est en stand by. Parce que j’estime que ce qu’il (Raphaël Homat) m’a apporté me suffisait. Le but, c’est de ne plus avoir besoin de tout ce qu’il m’apporte pour pouvoir le faire tout seul. C’est ce qui est bien dans nos séances : il pose beaucoup de questions, il me guide pour trouver moi-même les solutions. Je n’ai pas l’impression d’être dicté, et c’est aussi pour cela que ça marche.
Est-ce que ton potentiel a été décuplé depuis que tu fais de la préparation mentale ?Décuplé, c’est beaucoup, mais il a augmenté, c’est sûr. Aujourd’hui, je n’ai pas peur de la blessure. Je me suis reblessé après, mais je ne suis pas tombé dans la sinistrose. Ce qui est sûr, c’est que je me sens mieux dans mes matchs. Plus serein. J’arrive à passer outre le contexte « peu motivant » . À ce niveau-là, c’est le jour et la nuit. C’est vraiment un travail de fond, tu en sens les effets à long terme. Pour mon problème – l’angoisse de la blessure –, c’est sûr que l’apport a été énorme. J’en étais à un point où j’avais vraiment la peur de me blesser. Je ne sprintais plus… Une fois qu’on a travaillé là-dessus, on s’est tournés sur des aspects plus généraux. Ça a ouvert ma curiosité sur des choses qui ne sont pas des problèmes, mais qui peuvent me permettre de m’améliorer.
Tu as un exemple ?
Depuis que je suis en D2 belge, j’ai dit à Raph’ que j’avais du mal à trouver la motivation. Quand tu passes de jouer contre l’OM, Lyon, le PSG à des stades quasiment vides, ça fait bizarre. Je préparais mes matchs un peu à la légère, et la préparation mentale m’a permis d’installer une routine d’avant-match sur ce dont j’ai besoin pour être prêt dès la première seconde, peu importe le contexte extérieur.
L’interview du préparateur mental Raphaël Homat est à retrouver dans l’épisode #10 de Football Recall, le podcast hebdomadaire de So Foot et Deezer.
Par Florian Lefèvre