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Iliman N’Diaye : « On ne rigole pas avec moi »
Meilleur buteur de Sheffield United (D2 anglaise), Iliman N’Diaye sera le danger numéro 1 pour Manchester City, ce samedi en demi-finales de la FA Cup (17h45). L’international sénégalais de 23 ans, né à Rouen, se raconte, et une chose est sûre : il n’est pas près d’arrêter de faire danser ses adversaires.
Tu es né le 6 mars 2000 à Rouen et tu as grandi dans le quartier des Sapins. Quels souvenirs as-tu de ton enfance en Normandie ?
J’ai forcément beaucoup de souvenirs de mes entraînements avec mon père sur les terrains, avec mes amis ou bien dans mon premier club, le FC Rouen Sapins. Le terrain d’entraînement n’était pas loin de la maison. Je faisais tout le temps du foot, avant d’aller à l’école tôt le matin avec mon père, pendant l’école, après l’école, puis j’allais à l’entraînement. Quand je n’y allais pas, je disais à mon père : « C’est dommage, je voulais m’entraîner », j’aimais trop ça. Même quand j’étais fatigué, j’y allais. Je n’avais que ça à faire, en vrai.
C’était quoi un entraînement type avec ton père ?
Il m’entraînait beaucoup au dribble. On avait des mannequins, des cônes, je passais ma journée à dribbler, puis à terminer ces parcours par de la finition. On faisait aussi du freestyle, de la course. Pourquoi faisait-il tout ça avec moi ? Je pense que c’est lié au Sénégal. Quand j’avais un an, je suis parti habiter au Sénégal chez mon grand-père, pour voir la famille, et dans la maison, je shootais dans tout ce que je voyais par terre. Puis dans un ballon, mon premier, que mon grand-père m’a acheté. Ça part de là.
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Dans la vie, ton père est chorégraphe. Que représente le freestyle dans ton jeu ?
Mon père avait un groupe de danseurs, c’est lui qui créait les chorégraphies, puis ils partaient ensuite faire des représentations. Dans les entraînements qu’il me faisait faire, je reproduisais quelques-uns de ses pas, de ses mouvements avec le ballon. Il y a des dribbles que je fais aujourd’hui qui sont liés à ses pas de danse. Ça m’a permis de travailler mes prises de balle, mes touchers de balle. C’est pour cela que je fais beaucoup de feintes de corps.
Tu t’es rapidement fait remarquer. Il y a plus de 12 ans, tu étais l’invité d’une émission sur France 3 appelée Midi en France et tu faisais déjà la Une de Paris-Normandie qui titrait « Futur Zizou ». Quels souvenirs as-tu de cette période ?
Je revois souvent cette vidéo sur Instagram, les gens la repartagent. Je m’en souviens très bien, c’était mon père qui s’était occupé de l’organisation avec les personnes en charge de l’émission. Je pensais aller là-bas, montrer un peu mon freestyle. J’avais raté la première session de jongles d’ailleurs (rires.), mais je m’étais bien rattrapé après.
Ces dribbles, tu les as perfectionnés également au Sénégal, à l’âge de 11 ans, quand tu es retourné y habiter après dix ans en Normandie. C’était une période où je suis reparti seul voir la famille pendant un an au Sénégal, et je me disais : « Je ne vais pas rien faire et perdre tout ce que j’avais travaillé jusque-là. » J’allais à l’école là-bas, mais dès que je le pouvais, je continuais à jouer. Je m’entraînais sur le sable. La plage, ça m’a aidé à m’endurcir, à contrôler le ballon sur des surfaces hostiles, ça a musclé mon jeu. Je jouais notamment au Dakar Sacré-Cœur, et nous habitions à Cambérène avec ma tante, la grande sœur de mon père, tandis que mes grands-parents habitaient aux HLM. Mon petit frère reproduit exactement la même chose que moi en ce moment, il est au Sénégal, à l’école, il fait de l’athlétisme. J’ai appris le côté physique au Sénégal et la tactique en France, ce qui fait que quand je suis arrivé en Angleterre à 14 ans, je me suis retrouvé dans le style de jeu.
Cette année, tu as disputé la Coupe du monde avec les Lions de la Teranga. Tu t’attendais à arriver si vite en sélection ?
Je ne m’attendais pas à y arriver si rapidement, mais j’ai bossé pour ça. Dès que j’ai entamé ma première saison en pro, c’était l’objectif. Quand j’ai vu mon nom dans la liste, c’était les émotions. J’étais avec mon père, et forcément, on a tout de suite repensé à tous ces entraînements faits ensemble, c’était notre récompense. À chaque fois que je vois mon nom dans la liste, c’est toujours aussi intense.
On l’a bien senti sur place : tu étais pas mal entouré par les cadres de l’équipe. Même El Hadji Diouf. Quel rapport tu entretiens avec lui ainsi qu’avec les joueurs cadres de la sélection ?
Quand je suis arrivé la première fois, les cadres m’ont très bien accueilli. C’est toujours un privilège de côtoyer certains des meilleurs joueurs au monde. Je me suis senti bien, même si je savais que je devais danser parce que j’étais un nouveau venu dans la sélection. J’ai essayé de faire quelques mouvements que m’avait appris mon père, mais ce n’était pas terrible. J’avais la pression, si aujourd’hui ils me demandent de le refaire, ça ira. Disons que dès que cette étape est passée, je me suis senti encore mieux. (Rires.) Si tu ne sais pas danser, c’est chaud pour toi !
Comment se sont passées tes premières années en Angleterre, où tu résides depuis tes 14 ans ?
Au début, c’était très difficile. J’ai rejoint mon père qui était à Londres, à Manor Park non loin de West Ham, pour le travail. La première semaine, j’ai fait un stage de sept jours à Manchester United, mais rien ne s’est passé pour moi derrière. Ensuite, j’ai fait de nombreux tests, des stages qui n’ont pas abouti : Reading, Chelsea, Tottenham, Southampton. Il y avait des recruteurs à chaque fois, et je me souviens qu’à Reading, le mec me disait : « Va tacler, va faire ci, va faire ça. » Je faisais tout ce qu’il me demandait, mais ça ne suffisait pas. J’étais pourtant le meilleur dans tous les stages où j’allais. On me disait que j’étais trop petit pour rejoindre les académies de ces clubs. Le gars de Reading m’a dit : « Tu ne joueras jamais dans aucune académie ». Pendant trois, quatre ans c’était comme ça. J’ai 17-18 ans, après une nouvelle déception chez les Saints, j’étais en larmes. Mais ça ne m’avait pas découragé pour autant. J’y croyais encore.
Comment est-ce que tu as atterri à Sheffield ?
Après ces échecs, via quelques connaissances, j’ai atterri dans un club de cinquième division qui s’appelle Boreham Wood. Moi ça m’allait, je voulais avant tout jouer, quitte à, dans un second temps, jouer rapidement plus haut. J’étais persuadé que ça allait marcher, il n’y avait pas d’autres plans B que le foot. Les autres métiers ne m’intéressent pas, il n’y a que le football.
Mais comment passe-t-on d’un club de cinquième division à Sheffield ?
Après quelques matchs, j’ai reçu plusieurs propositions de tests : à Bristol City, Sheffield… Lors de mon premier jour de test chez les Blades, j’ai marqué direct et j’ai fait bonne impression sur la semaine. Ils voulaient me garder tout de suite. C’était en février 2019, je n’avais plus de contrat avec Boreham Wood, donc en attendant l’été pour commencer, j’allais jouer avec mes potes au Five, je suis passé par les rangs de Rising Ballers, une structure qui aide les joueurs sans contrat à trouver des clubs. Quand je repense à cette période, dans des moments difficiles, je me dis : « Tu es passé par là, tu peux tout surmonter maintenant. »
Qu’est-ce que tu aimes bien faire à côté du foot ?
Il n’y a que le foot, enfin… Si, il y a quelque chose que je n’ai jamais dit, même à mes parents : j’aimais bien entendre mes sœurs faire de la musique, du piano, de la flûte, de la guitare. Elles faisaient de la musique et du sport, alors que moi, je préférais dire que je ne voulais faire que du foot. Sauf qu’en vrai, j’aimais bien quand ma sœur jouait du piano. J’aimerais bien apprendre à mon tour.
Comment tu te sens avec le club de Sheffield aujourd’hui ? J’ai un très bon rapport avec les fans. La première année, je n’avais joué que dix minutes en Premier League pour mes débuts (défaite 5-0 sur la pelouse de Leicester, le 14 mars 2021, NDLR). Ils n’avaient pas trop eu le temps de me découvrir, mais en Championship, on a pu nouer une belle relation. Ils sont tout le temps derrière moi, ils ont créé des chants pour moi… J’ai le sentiment d’avoir beaucoup progressé grâce au club.
C’est qui le mec le plus drôle dans le vestiaire de Sheffield ? Je dirais Rhian Brewster. Tout ce qu’il fait, c’est fou. C’est le plus bruyant dans le vestiaire, il crie, il est drôle. S’il m’a déjà fait une blague, caché des affaires ? Non, on ne rigole pas avec moi. (Rires.) Ils me connaissent !
Entre la course à la montée en Premier League, une demie de Cup à jouer face à City, une Coupe du monde disputée avec le Sénégal, etc. : comment est-ce que tu vis cette année à 200 à l’heure ?
C’est exactement le type de saison que je voulais vivre. Je veux jouer pour des titres. Pour ma deuxième saison en pro, c’était inespéré car je pensais jouer progressivement dans un premier temps. J’ai eu la chance de pas mal marquer cette saison, dont certains beaux buts depuis que je suis ici. L’année dernière par exemple à Blackburn, je commençais sur le banc, je suis rentré et j’ai mis deux buts, notamment le deuxième où j’ai traversé tout le terrain depuis ma surface. Et puis je n’oublierai jamais mon premier but inscrit en sélection, face au Mozambique. Ça sera gravé dans ma tête à jamais.
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Comment est-ce que vous abordez ce match contre City ?
Notre état d’esprit est bon. Des fois, on fait des blagues : « Ah, Haaland ci, Haaland ça », mais notre état d’esprit est bon. On l’a montré contre Tottenham, tout le monde est prêt pour ce match-là. Après la montée en Premier League, c’est sans aucun doute LA rencontre que tout le monde attend ici. On est prêts à écrire l’histoire.
Où est-ce que tu te vois la saison prochaine ? J’y pense bien sûr, mais pour le moment je suis là. J’essaye de bien finir la saison, de laisser une empreinte dans l’histoire du club. On verra par la suite.
Je crois savoir que tu aimes beaucoup l’OM. Tu y avais d’ailleurs passé un an, en préformation, à l’âge de 10 ans. Ce serait un rêve pour toi de jouer là-bas un jour ? Ouais, bien sûr. Depuis que je suis tout petit, j’aime l’OM. Le premier maillot que mon père m’a acheté, c’était celui-là. Quand j’étais petit, mon père m’avait proposé d’aller faire des tests au PSG ou à Marseille. J’ai dit l’OM direct ! J’ai joué un an là-bas, c’est un club que je porte toujours dans mon cœur. Je regarde tous leurs matchs, j’espère qu’ils vont se qualifier pour la Ligue des champions. Ils ont l’air d’avoir un bon projet, le président (Pablo Longoria) fait du bon travail depuis qu’il est là. Pourquoi pas un jour !
Propos recueillis par Andrea Chazy