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« Être joueur d’e-sport professionnel, c’est se remettre en question sans cesse »

Propos recueillis par Victor Lamand

À force de geeker pendant le confinement sur FIFA, Brice Masson et Ilian Bouchi se retrouvent aujourd’hui dans un des clubs d’e-sport les plus prestigieux : la Team Vitality. À seulement 20 et 19 ans, ils se sont déjà fait un nom dans ce monde en totale expansion et nous racontent cette vie si particulière de joueur e-sport.

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Casting

Brice Masson (20 ans) : Débarqué il y a quatre mois sous les couleurs de Vitality, il avait atteint les demi-finales du championnat de France avec le Clermont Foot. Il est aussi le grand vainqueur de l’eCoupe de France 2024.

Ilian Bouchi (19 ans) : Rookie de la saison passée avec l’équipe du LOSC, il rejoint la Team Vitality en septembre 2023. Il vient de rempiler pour une saison supplémentaire.


Comment on est recruté dans un club e-sport ?

Brice : Un peu comme dans les autres sports, tu es recruté selon tes performances. Si un joueur a envie de jouer avec toi et qu’il est déjà en place dans une équipe, l’équipe peut te recruter à la demande du joueur, du coach.
Ilian : Par exemple, Brice nous avait éliminés en eLigue 1 avec Clermont, et du coup, on l’a pris pour cette saison. (Rires.) Mais les places sont chères. En France, il y a entre 20 et 25 joueurs seulement qui sont en club. Le but, c’est de terminer les grosses compétitions le mieux classé possible et prétendre à des places pour se qualifier pour la Coupe du monde. Là, on a une compétition à Londres, le FC Pro 25 Open Global Qualifier. On est 64 au départ, et il va falloir finir dans le top 17. Le top 8 fait la Coupe du monde, et à la fin, il y a un cash prize qui sera divisé entre les équipes.

Une journée de boulot, ça ressemble à quoi pour vous ?

Brice : Souvent, notre journée est divisée en plusieurs parties, mais on gère ça un peu comme on veut. Dans une journée, je peux faire six heures de training, six heures de stream, et le reste où je me repose quand même. (Rires.)

Ilian : En fait, ça dépend surtout de nos échéances, ce ne sont pas les mêmes journées si on a des compétitions à préparer par exemple. Mais c’est vraiment un taf cool !

Et un entraînement ?

Ilian : Ce sont des sessions avec d’autres professionnels de la scène e-sport. Souvent, c’est notre coach qui nous dit quoi améliorer en regardant nos matchs.

Brice : On a des groupes sur les réseaux avec d’autres joueurs. Et si un joueur veut faire un match, il nous envoie un message et on joue en se mettant dans les conditions réelles d’une compétition. On joue à 100% et ce n’est que comme ça qu’on s’améliore. On a des entraînements aussi pour améliorer le mental, la concentration. C’est souvent ça avant les grosses compétitions.

L’entraînement, c’est beaucoup de mécanismes, d’automatismes, de répétitions. En fait, c’est vraiment comme dans le football moderne.

Ilian Bouchi

En général, vous choisissez quel mode de jeu ?

Brice : On joue sur le mode Ultimate Team, ça veut dire qu’on a tous les joueurs et les joueuses modernes à disposition, mais aussi des joueurs légendes. En ce moment, je fais jouer Zidane avec Mbappé par exemple. On peut vraiment mélanger nos équipes et on essaye de prendre les meilleurs joueurs à chaque poste.

Ilian : Ça marche comme ça aussi pour les joueurs de club, admettons que ceux du LOSC ne jouent pas qu’avec l’effectif du club. Des fois en compétition, selon tes classements, on peut t’attribuer un joueur de l’équipe que tu représentes. Admettons que je choisisse Jonathan David, le jeu va sortir une carte spéciale dans le jeu, et plus on gagne de matchs, plus sa note va augmenter dans le jeu.

Brice : L’éditeur du jeu, EA, nous envoie un compte avec tous les joueurs du jeu, et c’est à toi de piocher pour modeler ton équipe. Moi, je prends le meilleur joueur du jeu : R9. Mais j’ai aussi mis quelques joueuses du Barça.

Est-ce que pour être un bon joueur de FIFA, il faut absolument connaître le foot ?

Brice : Je m’intéresse énormément au foot, et on joue à FIFA parce que l‘on aime le foot. Il faut forcément connaître un peu, c’est sûr, mais pour être un joueur e-sport, il ne faut pas être un expert non plus.

Ilian : Mais il y a des choses que l’on retrouve dans le football qui vont être retranscrites sur FIFA, comme le repli défensif, ne pas sortir son joueur, ne pas faire une passe dans l’axe. Tout ça dans FIFA, c’est valable aussi.

Pour progresser, il faut vraiment le même investissement qu’un footeux ?

Brice : Autant, je ne sais pas, mais il y a énormément d’investissements à faire. Il faut savoir où on va, parce qu’être joueur e-sport, c’est assez mental. Dans le jeu, tout le monde peut battre tout le monde, c’est sur les petits détails que ça va se jouer.

Ilian : On s’entraîne aussi à avoir des schémas de base, des occasions types que l’on va retrouver en match. C’est beaucoup de mécanismes, d’automatismes, de répétitions. En fait, c’est vraiment comme dans le football moderne. Pour progresser, ça demande beaucoup d’investissement.

Vous pensez que vous jouez combien de matchs par semaine ?

Ilian : Ouh là… beaucoup.

Brice : Je pense qu’on doit être entre 100 et 200, ce qui est pas mal ! Le plaisir est toujours là, mais il est aussi mélangé à l’excitation de jouer des grandes compétitions. Ce n’est pas la même chose.

Le nouveau FIFA ? Il est trop nul. Si je n’étais pas pro, je ne l’aurais pas acheté.

Brice Masson

Vous sentez cette notoriété qui s’installe dans le monde de l’e-sport ?

Brice : Oui, il y a de plus en plus de monde qui nous soutient. Ça devient vraiment bien. Chez Vitality, on a la chance d’avoir beaucoup de fans qui nous soutiennent. Quand on voit les retours sur Twitch ou les réseaux sociaux, ça devient vraiment pas mal.

Ilian : C’est grave cool. Ça ne fait que s’accroître, c’est que du positif. On dirait un vrai club de foot. Quand tu joues devant les supporters, ça procure des émotions. Plus ça avance, plus les clubs et les équipes deviennent comme des clubs professionnels. On sait qu’on est attendu et qu’on doit faire des résultats. Si t’en as pas, c’est dehors, comme au Real, au Barça. C’est vraiment le haut niveau, il n’y a de la place que pour les meilleurs.

C’est quoi le secret pour percer et être un bon joueur de FIFA ?

Brice : Il n’y a pas de secret, faut aimer ça d’abord, s’entraîner, s’en donner les moyens. C’est comme dans tous les métiers. Si t’es vraiment bon, tu peux vraiment avoir ta chance. Le conseil, c’est surtout de s’inspirer des pros. Il faut être un fou du jeu pour espérer devenir comme eux. Il faut les regarder, imprimer ce qu’ils font dans ton jeu.

Ilian : Quand tu joues, il faut surtout regarder le jeu de ton adversaire. S’il me bat, je dissèque son jeu : la tactique qu’il joue, la composition avec laquelle il joue, les joueurs, comment il m’a mis les buts, comment je n’ai pas réussi à défendre, comment il a défendu. Être pro, c’est sans cesse se remettre en question et regarder ce que les autres font quand tu ne gagnes pas.

Vous pensez quoi du nouveau EA FC 25 ?

Brice : Il est trop nul ! Si je n’étais pas pro, je ne l’aurais pas acheté. En compétition je surkiffe le jeu, mais en loisir, c’est vraiment pas terrible.

Ilian : Le gameplay est trop déséquilibré. La défense est trop avantagée comparée à l’attaque. Même des joueurs qui ne savent pas jouer vont savoir défendre. C’est super dur d’attaquer. Bref, il n’y a rien qui va. Même des joueurs qui ont 90 de vitesse se font rattraper par un joueur qui a 70. Il y a une refonte globale à faire à ce niveau. La complexité de FIFA, c’est toujours d’équilibrer l’attaque et la défense. Je trouvais que l’année dernière, l’attaque était assez avantagée, c’était OK. Mais là, c’est comme si c’était du 9/10 pour la défense et du 1/10 pour l’attaque. Du coup, ça fait des matchs fermés, alors que tu peux maîtriser 1000 skills de plus que ton adversaire.

Question qui fâche : est-ce que l’e-sport c’est vraiment du sport ?

Ilian : Personnellement, je ne me vois pas comme sportif, mais il y a des similitudes, comme le mental, gérer la pression, on attend des résultats de nous. Mais ça reste différent.

Brice : Ce n’est pas du sport. Le sport c’est physique et mental, mais l’e-sport, c’est uniquement mental. C’est vraiment dans la tête que ça se passe. Tout va être guidé par comment tu te sens mentalement. Pour le sport, il y a surtout la partie physique. En e-sport, c’est important, mais ce n’est vraiment pas l’essentiel, et heureusement. Une vie de footballeur, c’est invivable. C’est un autre dévouement, c’est du 24h/24, à peine tu sors, t’es pris en photo, tu ne peux pas vivre. Nous, c’est du plaisir au quotidien, vraiment, même si on ne faisait pas ce métier-là, on continuerait de jouer à la Playstation tous les jours.

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