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Il y a quarante ans, la naissance de Maradona
Le 20 octobre 1976, lors d'un match entre Argentinos Juniors et Talleres de Córdoba, le Pibe entre en jeu et change l'histoire du foot.
Quinze ans, onze mois et vingt jours. Autant dire que le gamin dont tout le monde parle est, certes, incroyable balle aux pieds, mais, surtout, il ressemble vraiment à un bébé. Il est encore bien loin de la bedaine, des cheveux blancs et des cernes d’insomniaque. À ce moment-là, il a encore les cheveux longs, vigoureux, le teint frais et l’énergie d’un puceau. « Il » , c’est Diego Maradona. Et pour Ruben Giacobetti, connu pour être l’homme qui a eu l’honneur de céder sa place au Pibe, c’est certain, faire jouer Diego aussi jeune, c’était risqué : « Il avait déjà montré en jeunes qu’il était vraiment différent, qu’il était à part, qu’il était un phénomène, situe-t-il dans les colonnes du Mundo Deportivo. Mais tout le monde sait également que ce n’est pas facile pour un garçon de quinze ans de commencer sa carrière par un match en Première Division. » Et pourtant, Juan Carlos Montes, entraîneur d’Argentinos Juniors de l’époque, va tenter le coup.
Steak, purée et agent immobilier
Dans son autobiographie, Yo soy el Diego de la gente (Je suis le Diego du peuple en VF), le Pibe revient longuement sur ce premier match, déterminant à ses yeux : « Je m’entraînais alors avec l’équipe une et, le mardi, l’entraîneur vient me voir et me dit :
– Demain, tu seras sur le banc. – Hein ?Les mots ne me venaient pas. Du coup, je lui ai répété des trucs du genre : – Quoi ? Comment ?Et lui m’a répété : – Demain, tu seras sur le banc. Et prépare-toi bien, parce que tu vas même entrer sur le terrain.Et puis, j’ai compris. Après l’entraînement, mon cœur battait tellement fort que j’ai fini par courir raconter ça à mes parents. Mais aussi à tout Fiorito (son quartier, ndlr)! Avant le match, j’ai mangé avec ma famille et l’entraîneur. Un steak et de la purée, classique. Et puis, on est allés au stade, incognito, entre les supporters. Ils ne nous reconnaissaient pas encore. Bon, il faut dire que la plupart d’entre eux était de Córdoba.(…)Durant les vingt-sept premières minutes, on jouait plutôt mal et puis on s’est pris un but. Avant la fin de la première mi-temps, Montes, qui était de l’autre côté du banc, me regarde et me dit : « Tu t’échauffes ? » J’ai soutenu son regard, sans rien dire. Ma réponse, c’était d’aller m’échauffer. » Giacobetti, aujourd’hui agent immobilier, donne également son point de vue sur la raison de sa sortie et de l’entrée du petit numéro 16 : « Moi, normalement, je jouais milieu de terrain, mais ce jour-là, Montes m’a mis sur le côté gauche parce qu’il voulait contenir les ailiers de Córdoba. Je ne jouais pas bien et, à la pause, j’ai laissé ma place à Diego. »
Et Dieu créa Diego
Pas de vestiaire, ni de coaching particulier pour le petit chevelu. Diego, n’a besoin que de quelques mots pour s’enflammer : « Sur le bord du terrain, Montes m’a dit : « Allez Diego, joue comme tu sais le faire. Et si tu peux, mets un petit pont. » Et je suis passé directement à l’action : je reçois le ballon dos à mon adversaire, qui était alors Juan Domingo Patricio Cabrera, je me retourne, me présente face à lui et fait passer le ballon entre ses jambes. C’était vraiment limpide et là, j’ai entendu le « Oooollllléééééé » des tribunes. J’ai pris ça comme mon adoption. » Finalement, le score ne changera pas et Argentinos Juniors perdra 1-0. Mais il en restera le souvenir d’un Diego irréel, intouchable, virevoltant, omniprésent.
Luis Galvan, ancien coéquipier et futur champion du monde, s’extasie encore : « À partir du moment où il est entré sur le terrain, tout a changé. Il portait l’équipe sur les épaules, et nous autres n’avions plus qu’à défendre. Ce qu’a fait ce gamin ce jour-là était incroyable. » Diego lui-même, et ce n’est pas très étonnant, confirme le caractère divin de sa prestation : « Ce dont je me souviens, c’est que le terrain me paraissait vraiment petit, qu’il n’y avait pas d’espace comparé à ceux des divisions inférieures. Mais j’ai toujours dit que ce jour-là, footballistiquement parlant, j’avais touché le ciel du doigt. Et j’ai aussi compris qu’un chapitre important de ma vie commençait. » Cette année-là, en 1976, c’était le retour de la dictature en Argentine, avec l’arrivée du général Videla. Et deux ans auparavant, l’Albiceleste s’était cassé la gueule lors du Mondial allemand. Bref, cette année-là, les raisons de sourire se faisaient rares.
Par Ugo Bocchi