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Il y a 40 ans, l’Hajduk Split lançait l’épopée des Verts
Malgré une élimination du Bayern de Munich dès 1969, la folie verte n'a déferlé sur la France qu'après le 6 novembre 1974. En huitièmes de finale retour de Coupe d'Europe des clubs champions, l'ASSE de Larqué, Revelli, Bereta et Herbin terrasse les redoutables Yougoslaves d'Hajduk Split (5-1), après avoir mordu la poussière lors de la première manche (1-4).
« Split, je ne peux pas l’oublier, ça été notre premier coup d’éclat. » « Ce fut le premier grand renversement de notre histoire. » « Dans mon panthéon personnel, c’est sur le podium en termes d’émotion et d’exploit sportif, voire même tout en haut. » « Split, c’est un vrai acte fondateur pour l’AS Saint-Étienne sur le plan continental, oui. » Demander 40 ans plus tard aux Verts de l’époque ce que représente la double confrontation de l’automne 1974, en huitièmes de finale de C1, contre l’Hajduk Split, c’est comme évoquer PSG-Real Madrid 1993 avec des Parisiens ou OM-Milan 1991 avec des Phocéens. C’est remonter aux prémices des grandes pages françaises en Coupe d’Europe, à des moments de communion inégalés, de liesse partagée par des générations entières, de renversement de montagne dans l’inconscient collectif. Un exploit d’autant plus retentissant qu’entre la folie rémoise de 1958 et 1974, la France s’est délitée sur le plan géopolitique du ballon rond, devenant un quasi-désert. « Le foot français, ce n’était rien à l’époque. C’est bien simple, la plupart des équipes qu’on jouait en Coupe d’Europe au début des années 1970 nous faisaient peur » , se souvient Hervé Revelli, buteur patenté de cette épopée verte.
En cette saison 1974-1975, quelques mois après son troisième doublé coupe-championnat, l’ASSE triomphe en seizièmes de finale du Sporting Portugal dans la reine des épreuves continentales et se voit proposer en huitièmes l’Hajduk Split de Tomislav Ivić. Une formation qui a aussi la mainmise sur ses terres et dont les deux tiers de l’équipe se sont hissés en quarts du Mondial allemand avec la sélection. « En gros, c’était au bloc yougoslave ce que représentait le Dynamo de Kiev de Blokhine en URSS, avec de bons joueurs dans toutes les lignes. Les deux ailiers, le buteur Djerkovic, le gardien… » , illustre Jean-Michel Larqué. Le défenseur Christian Lopez se rappelle bien de ce que représentaient les Guerriers (Hajduk en français, ndlr) de Split : « La Yougoslavie, c’était du haut niveau. Split avait de fins techniciens, comme Šurjak… » Iviča Šurjak, le double passeur parisien de la finale de la Coupe de France 1982 contre ces mêmes Verts, était alors un ailier puissant et redouté pour ses folles chevauchées, malgré sa grande carcasse d’1,91m. « Quel joueur… Un grand, c’était vraiment la classe sur son côté gauche » , appuie Patrick Revelli. Les Verts s’attendent donc à un gros client et les conseils du portier Ivan Ćurković sur ses compatriotes ou les prémices du travail vidéo signé Pierre Garonnaire et Robert Herbin ne sont pas de trop avant de se rendre sur les bords de la mer Adriatique pour le match aller. Enfin, croit-on…
« M. Babacan, vous êtes un salaud ! »
La manche aller du 23 octobre 1974 vire au traquenard dès la nuit précédent le match. « Les supporters de l’Hajduk Split avaient campé en bas de notre hôtel, pour nous empêcher de dormir » , sourit avec le recul Hervé Revelli. Christian Lopez parle aussi de « mots, de sourires, d’attitudes sur le terrain de nos adversaires, qui chambraient clairement » . Cette atmosphère hostile, ce terrain boueux et cette inexpérience dans ces duels au couteau continentaux sont peu favorables à ces jeunes du Forez, qu’on présente alors comme « un peu tendres au début de cette campagne » dixit Patrick Revelli. Sans parler d’un arbitre turc, M. Babacan, prenant plus ou moins parti, avec un coup franc indirect – donné à retirer après une tentative foireuse – dans la surface sifflé à l’encontre de Ćurković pour non-respect de la règle des quatre pas. Avant de refuser un penalty indiscutable à Synaeghel avant la pause. « On s’en prend souvent à l’arbitre, oui, mais ça avait été quand même une faillite collective » , reprend Hervé Revelli, buteur ayant égalisé avant le naufrage, les montées rageuses de Šurjak et les trois buts consécutifs portant le score final à 4-1. Jean-Michel Larqué reste, lui, amer même quatre décennies plus tard sur ces faits de jeu : « S’il n’y avait eu que le coup franc indirect ou le penalty… En deuxième mi-temps, c’était une parodie de foot. C’est-à-dire qu’une équipe pouvait jouer et l’autre était systématiquement sanctionnée. Avec lui, les Yougoslaves pouvaient se permettre d’être dédaigneux. »
Après la rencontre, Robert Herbin pointe le manque de jugeote de ses ouailles face aux journalistes : « Nous avons attaqué à 1-2 comme s’il s’agissait de rétablir à tout prix une situation irrémédiablement compromise, alors que le match retour existe pour faire pencher la balance en Coupe d’Europe. » Et le Sphinx de conclure, optimiste, tel un Georges Beretta matraquant que vaincre 3-0 n’est pas insurmontable : « Les joueurs d’Hajduk n’auront peut-être pas au match retour une ambiance aussi favorable et un arbitre comme M. Babacan. » Une mission pourtant mise à mal tant par le manque de références antérieures en matière de remontée improbable que par les matchs de championnat intercalés avant la phase retour, dont un derby âpre remporté face au voisin lyonnais, laissant Merchadier sur le flanc, remplacé par le jeune Janvion pour tenir Šurjak, et Hervé Revelli sur une jambe : « Ma cheville me faisait horriblement souffrir, Robbie (Herbin) m’avait laissé le choix de jouer et comme j’avais été un peu piqué dans mon orgueil avec ce match aller, j’ai tout fait pour. On m’a fait des infiltrations, sept piqûres en tout, pour pouvoir tenir le coup. Et même une de plus à la mi-temps du match retour tellement j’avais mal. »
« Le surnom de Chaudron a pris tout son sens »
Tous les Stéphanois ont été abreuvés des images du match aller par le magnétoscope de Garonnaire lors de la mise au vert au Novotel d’Andrézieux-Bouthéon et se fixent comme objectif d’au moins gagner le match pour leurs supporters. « Notre force, ça a été de voir que la différence au tableau d’affichage ne valait pas le niveau des équipes » , se souvient Jean-Michel Larqué. Pendant que les Yougoslaves font le plein dans les magasins stéphanois de ce qu’on ne trouve pas côté communiste. « Ils nous ont un peu pris de haut au retour, ils pensaient qu’ils marqueraient quoi qu’il se passe dans le match et que ça suffirait pour se qualifier » , atteste l’aîné des frangins gaulois, Hervé. Et Christian Lopez de ressentir ce désir de montrer qui est le patron dans cette arène de Geoffroy-Guichard garnie de 26 000 âmes en furie : « On avait à cœur de leur rentrer dedans après ce qu’il s’était passé deux semaines avant. » Avec une organisation tactique bien définie ? « Évidemment qu’on avait un plan pour les battre. Mais quand vous devez marquer coûte que coûte, très vite, on en vient à un football qui part dans tous les sens. Et ça accentue l’effet de surprise pour l’adversaire, qui ne sait plus où donner de la tête, surtout avec tous ces supporters qui étaient fous de rage. Ça m’avait marqué ça… C’est ce soir-là que le surnom de Chaudron a pris tout son sens à Geoffroy-Guichard » , précise Hervé Revelli.
Les occasions pleuvent sur la cage du portier Mešković en début de partie, mais ce n’est qu’à la 36e minute que Captain’ Larqué lance les siens sur la bonne voie d’une reprise sous la barre. Un but suivi de sauts de cabri, comme pour signifier au public que l’exploit est en marche. Pourtant, le plus dur est à venir. Car plus rien n’intervient jusqu’à l’heure de jeu, moment choisi par Jovanić pour aller crucifier Ćurković et tout un stade. À 1-1 avec seulement un demi-tour de cadran pour en planter au moins trois, le scénario est catastrophique. Mais Saint-Étienne a sa bonne étoile. « C’est très simple : si Dominique Bathenay ne marque pas dans la minute qui suit son but de la tête sur corner, c’est foutu, on ne passe jamais… » , assure Hervé Revelli. Le KO était proche, finalement le Chaudron se lève après ce coup de casque salvateur et ne se rassoit dès lors plus, comme pour accompagner et porter ses troupes dans sa mission impossible. « Là, c’est devenu du grand n’importe quoi tactiquement. Oswaldo (Piazza) partait à l’abordage, Gérard (Janvion) aussi, donc on essayait de compenser au mieux, mais il fallait marquer. De toute façon, on ne sentait plus la fatigue avec tous ces encouragements » , repense Lopez.
« Saint-Étienne, c’était l’Ajax »
Une fatigue que l’on passe outre ? Pas sûr. Les corps sont meurtris par la répétition des courses et des chocs, la tension nerveuse est grande. Il faut d’ailleurs un Ćurković inspiré pour empêcher Šurjak d’égaliser une nouvelle fois sur un face-à-face. Après le penalty transformé par Bereta pour porter le score à 3-1, après un tampon sur Synaeghel, il reste à peine dix minutes à jouer. « C’est le tournant du match. Car on sent que l’Hajduk Split se sait menacé et se met dès lors dans une situation de perdition » , poursuit Jean-Mimi. Un entrant va faire la différence, Yves Triantafilos. Natif de Sail-sous-Couzan comme Aimé Jacquet, le Grec, c’est son surnom, cale une frappe croisée dans le petit filet à moins de dix minutes du terme. 4-1, retour à une égalité parfaite sur les deux rencontres. Tellement incroyable que Roger Rochet en casse sa pipe sur le banc de touche. Christian Lopez est, lui, tellement retourné par les événements qu’il croit alors l’affaire dans la poche : « Je croyais qu’on passait à 4-1, donc quand j’avais le ballon au milieu de terrain, je me retournais vers Ivan Ćurković et lui donnait pour qu’il le garde à la main. Mais au bout de deux ou trois passes en retrait, j’ai vu que ça gueulait et j’ai compris (rires). » La prolongation se présente et les 22 joueurs accusent horriblement le coup. « Jamais je n’ai vu une équipe française se battre pareillement » , dit d’ailleurs après coup André Fefeu, illustre ailier de l’ASSE.
La première partie de la prolong’ se termine dans une tension extrême et un bon coup franc se présente à 20 m, légèrement sur la gauche. Jean-Michel Larqué, le préposé au coup franc, se fait alors griller la politesse par Triantafilos : « C’était ma distance, mais « Tintin » la voulait vraiment, celle-là. Pendant ce temps, notre ami Christian Lopez nous demandait de jouer en retrait, encore une fois (rires). Et Georges Bereta lui a décalé et ça a fait mouche. » Triantafilos fait basculer tout un peuple dans l’irrationnel, la joie incommensurable, le frisson tant attendu. « Là, on ne voit plus rien franchement » , retient Hervé Revelli. Jean-Michel Larqué ose même la métaphore fumeuse : « J’étais dans un état second après ça. Je ne sais pas quelle sensation on a quand on a fumé un pétard, mais je pense que ça devait être quelque chose d’assez semblable. » La France y voit par contre bien plus clair et le sélectionneur national Stefan Kovács se fend même d’un tonitruant : « Ce soir, Saint-Étienne, c’était l’Ajax. » Depuis, le nombre de gens qui ont dit être aller au stade ce soir de novembre 1974 a sans aucun doute triplé, voire plus. Quant à tous ceux qui se sont gargarisés d’avoir été « in » en vibrant devant leur poste, le principal protagoniste de Larqué Foot sur les ondes de RMC les remet en place : « J’aimerais juste leur rappeler que ce match-là n’avait pas été diffusé à la TV… » Vous avez dit tacle à la gorge ?
La fiche du match
6 novembre 1974, ASSE bat Hajduk Split 5-1 après prolongation.
Arbitre : M. Patterson
Buts : Larqué (36e), Bathenay (61e), Bereta (71e s.p.) et Triantafilos (82e et 104e) pour l’ASSE, Jovanić (60e) pour Hajduk Split.
ASSE : Ćurković – Janvion (Santini, 92e), Piazza, Lopez, Repellini (Triantafilos 69e) – Larqué – Synaeghel, Bathenay – Patrick Revelli, Hervé Revelli, Bereta. Entraîneur : Robert Herbin
Hajduk Split : Mešković – Kurtela, Buljan (Luketin 85e), Dzoni (Salov 105e), Rozsić – Boljat, Muzimić, Jovanić – Zungul, Jerković, Šurjak. Entraîneur : Tomislav Ivić
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Match aller
Match retour
Par Arnaud Clément