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Il y a 40 ans, l’Atlético dominait le monde
Jeudi dernier, le peuple colchonero se remémorait un doux souvenir : celui du titre intercontinental, remporté face aux Argentins de l'Independiente. Avant un énième derby capital, retour sur l'épopée des ouailles de Luis Aragonés, de leur injustice munichoise jusqu'à leur domination de la planète football.
Le musée de l’Atlético de Madrid se trouve au numéro 23 du Paseo de los Melancolicos, littéralement le Passage des mélancoliques. Cela ne s’invente pas. Entre sa dizaine de titres de champion d’Espagne et son autre dizaine de Coupes du Roi trônent ses quatre trophées européens, les Ligue Europa et Supercoupes d’Europe conquises en 2010 et 2012. Et une Coupe intercontinentale, aussi. Les contingents de touristes et d’aficionados en quête de nostalgie la contemplent. Aux heures des visites guidées, l’accompagnateur rojiblanco leur compte son histoire, entre mythologie des bords du Manzanares et conte de fées écrit à la sueur du front. Un titre, qui date de 1975, que l’Atlético de Madrid n’aurait jamais remporté sans les tumultes politiques de l’époque… « La vérité, c’est que nous méritions de la disputer en tant que champions d’Europe, mais les circonstances du match aller contre le Bayern de Munich nous ont porté préjudice, se rappelle Adelardo Rodríguez, Colchonero le plus capé de l’histoire. Ensuite, l’occasion de défendre l’Europe en finale s’est présentée. Je crois que le prix était plutôt mérité. »
Luis Aragonés, du tutoiement au vouvoiement
La genèse de cette épopée prend racine dans un funeste théâtre, le Heysel. Après une demi-finale homérique face au Celtic Glasgow – à huit contre onze, les Colchoneros se qualifient malgré tout grâce à un 0-0 au retour -, et se retrouvent face à une montagne munichoise. Ultra-dominée par les Madrilènes, la première manche se termine pourtant sur le score d’un but partout, Schwarzenbeck répondant en prolongation à Luis Aragonés. Règlement de l’époque oblige, un second round est programmé deux jours plus tard, le 17 mai. « Nous n’avons pas gagné à cause d’une réelle malchance, peste encore aujourd’hui la légende Adelardo. Nous avons mieux joué que le Bayern Munich, mais le football est comme ça. Nous n’avons pas pu soulever le titre dans la seconde finale. » Défaits sur un cuisant 4-0, avec des doublés d’Uli Hoeness et Gerd Müller, les Matelassiers ne s’en remettent pas sitôt la reprise de l’exercice suivant. Les hommes de Juan Carlos « Toto » Lorenzo ne mettent pas un pied devant l’autre en Liga. Suite à de nombreux revers, l’entraîneur argentin prend la porte. Le successeur est lui tout trouvé.
En l’espace de quelques semaines, Luis Aragonés troque sa liquette de joueur pour le costume d’entraîneur. « Il nous a dit : « Bon, à demain ». Et le jour suivant, il est entré dans le vestiaire avec un autre visage. Désormais, nous n’étions plus Luis, Garate, Ufarte, Adelardo… Non, il était l’entraîneur et nous ses pupilles. Le jour d’avant, on se tutoyait, mais le jour d’après il nous vouvoyait. » Des souvenirs d’Adelardo, il reste également « ce jour où il est arrivé au stade et a dit au président qu’il pourrait prendre en main l’équipe et en devenir l’entraîneur » . Avec le sage d’Hortaleza sous sa guérite, l’incroyable se produit : bien que vice-champion d’Europe, l’Atlético défendra le Vieux Continent pour le compte de la Coupe intercontinentale. Les raisons de cette convocation sont politiques, le club allemand refusant de se rendre en Argentine, qui s’apprête à basculer sous l’égide du dictateur Varela. Un problème que ne connaît pas l’Espagne lors de la dernière année de règne de Franco. Qu’importe, les Colchoneros se rendent à Buenos Aires pour y défier l’épouvantail d’Amérique du Sud : l’Independiente de Avellaneda et ses quatre Libertadores consécutives.
« Le Vicente-Calderón était rouge vif »
Adelardo, toujours : « Nous avions en face une équipe très difficile, très dure. Je me rappelle que je « dansais » avec un joueur impressionnant, Bochini. Il fallait qu’il joue avec une soutane pour ne pas te faire la misère. Moi, je suis resté derrière lui, je ne le laissais pas respirer. À un moment, il m’a dit « Allez, barre-toi, laisse-moi un peu » » . Défait sur la plus petite des marges dans la capitale argentine, l’Atlético revient plein d’espoirs en Espagne. Le match retour, prévu un petit mois plus tard, s’annonce comme un enfer pour l’Independiente. « Le Vicente-Calderón était rouge vif, plein à craquer. Aujourd’hui, on voit souvent le stade rempli, mais à mon époque de joueur, je ne l’ai vu que deux fois : le retour de la Coupe d’Europe et ce jour-là » , évoque le capitaine de l’époque des Rojiblancos. Rapidement aux commandes, l’Atlético attend les cinq derniers tours de cadran pour jouir de tout son cœur suite au but de son Argentin Ayala. Épicentre du football mondial, l’antre des Colchoneros rugit de fierté lorsque son capitaine, Abelardo, soulève ce trophée. Plus que le souvenir de dominer la planète football, il reste de cette aventure le goût d’une justice enfin rendue. Et des parallèles nombreux avec l’escouade du Cholo Simeone.
Par Robin Delorme, à Madrid