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Il y a 122 ans, Sheffield en passait quatre à Liverpool
Ce jeudi soir, Liverpool, ultra-leader de Premier League, reçoit Sheffield United, honnête huitième du classement. Or, il fut un temps où les positions des deux clubs étaient inversées. Ce n’était pas hier. C’était il y a 122 ans. Récit en noir et blanc (et rouge).
Voilà près de treize ans qu’ils attendaient ça. Les supporters de Sheffield United, club historique du football anglais (1889), n’étaient plus venus à Anfield depuis février 2007. À l’époque, ils en avaient pris quatre dans le buffet (doublé de Fowler, buts de Hyypiä et Gerrard), et avaient été relégués quelques semaines plus tard. Alors, forcément, ces retrouvailles avec la mythique enceinte sont déjà une victoire, et peu importe si l’issue de la rencontre semble déjà écrite, les Reds comptant déjà pratiquement le double de points de leurs adversaires du jour. Il faut dire qu’historiquement, Anfied n’est pas franchement une terre de succès pour Sheffield. Dans toute leur histoire, ils n’y ont gagné que neuf fois, la dernière en 1994, la première en… 1898. Et c’est justement cette fois-là qui nous intéresse. Car Sheffield United était alors dans une forme étincelante. Et Liverpool devait tenter de stopper la machine. Comme aujourd’hui, mais dans l’autre sens.
De promu à candidat au titre
Le premier championnat d’Angleterre a lieu en 1888. L’histoire est connue : c’est Preston North End qui s’adjuge le premier titre de champion, ainsi que le deuxième, l’année suivante. En 1892, la Football League absorbe onze des douze clubs de la compétition rivale, la Football Alliance, après que cette dernière a cessé d‘exister. La Football League a donc désormais suffisamment de clubs pour former deux divisions : la First Division, et la Second Division. Sheffield United est promu en First Division dès 1893, tandis que Liverpool, fondé en 1892, rejoint l’élite la saison suivante, en 1894. À l’époque, deux clubs dominent le football anglais : Sunderland (champion en 1893 et 1895) et Aston Villa (sacré en 1894, 1896 et 1897). Sheffield United monte tranquillement en puissance, tandis que Liverpool fait l’ascenseur (relégation en 1895, remontée en 1896).
Au début de la saison 1897-1898, Sheffield United fait désormais partie des candidats au titre, de même que Sunderland et Aston Villa. Et son début de saison confirme les attentes : Sheffield débute par 14 matchs sans défaite (8 victoires, 6 nuls) et perd son premier match de la saison le 15 décembre, à Stoke. Si Sheffield est toujours en tête du classement, il va subir un nouveau coup d’arrêt le 29 décembre, en concédant sa première défaite de la saison à domicile contre… Liverpool. Un revers 2-1, qui permet à Aston Villa, revenu indemne de Stoke (0-0) de revenir à égalité en tête du classement. Dans les semaines qui suivent, Sheffield, emmené par son buteur vedette Walter Bennett, parvient à conserver la cadence, résistant aux retours de Sunderland, de West Bromwich et même d’Everton. Et le 5 février, les Bladessont attendus à Anfield, sur la pelouse de l’une des deux seules équipes capables de les battre cette saison.
Premier sacre pour l’un, premier sacre pour l’autre
Au coup d’envoi, Sheffield United est toujours leader, et compte trois points d’avance sur Sunderland. Liverpool, lui, est largué. Les Reds ne boxent pas dans la même catégorie : ils sont douzièmes (sur seize équipes) et n’ont qu’un seul objectif : le maintien. Sauf que Sheffield a encore en travers de la gorge sa défaite du match aller. Et va clairement passer ses nerfs sur une équipe rouge totalement dépassée. Accompagné d’un « beau temps glorieux » , selon le Liverpool Echo de l’époque, le match va rapidement basculer en faveur des visiteurs. L’Écossais John Cunningham ouvre le score, puis les Reds résistent. À la pause, le score est de 1-0 et l’issue toujours indécise, malgré un ballon « confisqué par les joueurs de Sheffield » , toujours selon le journal.
Mais au retour des vestiaires, le rouleau compresseur s’enclenche et Liverpool finit par craquer. Neil Logan plante un doublé, avant que Harry Johnson n’inscrive le quatrième et dernier but de Sheffield. 4-0. Le succès est total pour les hommes de Joseph Beckett Wostinholm, premier (et jusqu’ici unique) manager (ou plutôt « secretary » , comme on l’appelle à l’époque) de l’histoire de Sheffield United. Après la rencontre, le gentleman au chapeau parlera de ce match comme du « plus abouti de ses joueurs, celui où ils ont récité le plus beau football » . Rien que ça.
Joseph Beckett Wostinholm
Forts de ce succès, ils continuent leur marche triomphale. Le calendrier était quelque peu hasardeux à l’époque (beaucoup de matchs reportés à cause de l’hiver), les Bladesdoivent affronter deux fois Sunderland, leur dauphin, début mars et début avril. Les deux formations se neutralisent : Sunderland empoche la manche aller (3-1), quand Sheffield attrape le retour avec un gardien de but, le mythique William « Fatty » Foulke (qui était effectivement bien dodu), qui réalise un match absolu (1-0). Ce succès est décisif puisqu’il permet au club du South Yorkshire de compter trois points d’avance sur les Black Cats à deux journées de la fin. Ainsi, une semaine plus tard, Sheffield United s’impose 1-0 à Bolton et valide le premier (et jusqu’ici unique) titre de champion d’Angleterre de son histoire. Liverpool termine à une anonyme neuvième place, mais ce n’est que partie remise. Trois ans plus tard, en 1901, les Reds sont, à leur tour, sacrés champions pour la première fois. Histoires d’autres temps, histoires d’autres siècles.
Par Éric Maggiori