- Ce jour-là – 26 juin 2003
Il y a 10 ans, un lion s’endormait
Stade de Gerland à Lyon, 26 juin 2003 à 19h36 : Marc-Vivien Foé tombe. Seul, au milieu de la pelouse. Il ne se relèvera pas. La performance de ses compatriotes camerounais en Coupe des confédérations face à la Colombie n'a plus d'importance. L'autre demi-finale que doit disputer la France une heure après face à la Turquie n'a pas plus d'importance. Plus rien d'autre n'a d'importance que le sommeil éternel de ce lion apprécié de tous.
Jairo Patino appelle à l’aide et pendant un bref instant, personne n’y prête attention. Lui seul a vu ce qui s’était passé au centre du terrain, loin de l’action de jeu, alors qu’on approche du dernier quart d’heure de ce match entre la Colombie et le Cameroun. Marc-Vivien Foé, son adversaire si coriace jusqu’alors, vient de s’écrouler sur la pelouse. Sans contact, sans personne autour de lui. C’est grave, évidemment. D’autant que quelques secondes auparavant déjà, les caméras avaient brièvement surpris le milieu camerounais son grand corps penché en avant, mains sur les genoux, comme pris d’une forte douleur à la poitrine. Cette douleur qui va le terrasser. Qui va le tuer. Jairo Patino accourt, parvient quand même à prévenir l’arbitre, qui arrête le jeu et laisse entrer les soigneurs. Celui de la sélection colombienne, Hector Fabio Cruz, est le plus rapide à arriver pour porter secours au joueur. « Il était inconscient, mais il respirait. Il a repris connaissance avant de la perdre à nouveau. » Après de longues minutes, les pompiers évacuent – maladroitement – le joueur, direction la zone médicale du stade. La dernière image de Foé sur un rectangle vert est terrible : spectateurs et téléspectateurs assistent à sa sortie, allongé dans cette pauvre civière rouge, le bras gauche tombant, les yeux révulsés, tandis que le jeu reprend. À l’abri des regards, un massage cardiaque est prodigué, bien tard, vain. À 20h30, le médecin de la FIFA, Alfred Müller, officialise la nouvelle : Marc-Vivien Foé est mort.
« Même s’il faut mourir… »
La nouvelle suscite un torrent d’émotions diverses. Tristesse bien sûr, incrédulité et étonnement aussi de voir ce roc d’1m94, qui dégageait une telle impression de puissance et de robustesse, succomber comme ça, si soudainement, en pleine force de l’âge, à seulement 28 ans. Il y a de la colère aussi, un sentiment d’injustice. C’est toujours les meilleurs qui partent en premier, comme on dit. Expression stupide évidemment, mais qui pour le coup colle bien à la situation. Car le natif de Yaoundé était unanimement apprécié, par ses coéquipiers comme par tous les publics qui l’ont soutenu. Tous appréciaient ce milieu récupérateur attachant, courtois, humble, doux en dehors du terrain et tellement combatif en dedans. Un sage encore jeune, mais qui honorait déjà sa 64e sélection. Pourquoi a-t-il fallu qu’il parte si tôt ? L’autopsie permettra, si ce n’est d’avoir une réponse satisfaisante, au moins d’avoir une explication. Avec un nom barbare qui fout les jetons : hypertrophie cardiaque. Une anomalie qui a bien failli aussi emporter le joueur de Bolton Fabrice Muamba en août dernier. Foé n’a pas eu de chance, voilà tout. Peut-être aussi n’a-t-il pas su écouter son corps, fatigué par une saison pleine avec son club de Manchester City, où il était prêté, et prolongée par cette harassante Coupe des confédérations, avec ses matchs tous les deux jours. Lors de cette demi-finale face à la Colombie, son sélectionneur Winfried Schäfer dira après coup qu’il avait souhaité le remplacer, quelques minutes seulement avant le drame. « Le médecin et moi-même trouvions qu’il semblait à court d’énergie, racontera l’Allemand au Guardian. Mais Marc a refusé de sortir, il a dit qu’il se sentait bien. » Il voulait surtout participer pleinement à l’exploit des Lions indomptables, en passe de se qualifier pour la finale du tournoi, après avoir affronté et battu en poule le Brésil. Foé était surmotivé, il avait harangué ses partenaires dans le vestiaire par des paroles tragiquement prémonitoires, que son pote Rigobert Song a rapporté le lendemain à la presse : « Les gamins, même s’il faut mourir sur le terrain, il faut gagner cette demi-finale. »
The show must go on
Son fichu vœu a été exaucé, le Cameroun s’est qualifié et la finale a été disputée. The show must go on, expliquera le très pragmatique Sepp Blatter. Les Lions indomptables ont hésité à jouer, avant de finalement se décider à rechausser les crampons. Car c’est ce que Foé aurait souhaité, se sont-ils expliqués. Les Bleus, de leur côté, étaient moins chauds. Eux qui avaient dû enchaîner leur demi-finale face à la Turquie juste après avoir appris la mort de celui que beaucoup d’entre eux connaissaient bien, ce même 26 juin à 21 heures. Un match assez traumatisant, marqué par des larmes pendant l’hymne et des doigts pointés vers le ciel au moment des buts. La finale, le 29 juin au Stade de France, ne sera que prétexte à prolonger ces hommages au lion qui dort désormais d’un sommeil infini. Minute de silence (pour une fois très respectée), tour d’honneur avec une photo géante de Foé, remise commune du trophée remporté par la France avec les deux capitaines, Marcel Desailly et Rigobert Song… Un hommage réussi par deux sélections unies dans la douleur. Son Cameroun natal, où il s’est révélé ballon au pied – « ça n’a jamais été une envie personnelle de jouer au football, mais plus une intuition de naissance » , avait-il expliqué un jour de 2002 sur son site Internet – et qui lui a offert des obsèques nationales. Et la France, son pays d’adoption où il avait débarqué en 1995, à 20 ans, pour se révéler sous les couleurs du RC Lens, participant activement au titre de champion de France en 1998. Idem avec Lyon en 2002, un club qu’il avait rejoint deux ans auparavant. C’est à Lyon qu’il se sentait bien. À Lyon que sa famille et lui s’étaient installés. Et à Lyon que son troisième enfant était né, quelques semaines avant ce jour tragique du 26 juin à Gerland.
Par Régis Delanoë