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Il y a 10 ans, les Bleues se dénudaient pour qu’on les regarde
En 2009, peu avant l’Euro en Finlande, quatre internationales françaises posaient nues « pour la bonne cause », comme on pouvait le lire dans la presse de l’époque. Un moyen comme un autre de mettre en lumière le football féminin, à l’époque totalement absent des débats. Sauf que dix ans plus tard, son évolution prouve que de tels procédés sont désormais inutiles pour que l’on parle de lui.
Le Parc des Princes était plein, l’Allianz Riviera était pleine, le Roazhon Park était plein et le Stade Océane sera plein. Au total, cela représente environ 135 000 personnes qui se sont déplacées et se déplaceront pour venir voir jouer l’équipe de France féminine de football pour ses quatre premiers matchs dans « sa » Coupe du monde. Un chiffre qui donne le tournis quand on sait qu’il y a dix ans, les Bleues jouaient encore dans l’anonymat le plus total. De quoi donner à un certain Pierre-Jean Golven, à l’époque directeur de la communication de la FFF, l’idée d’une campagne pour le moins originale : faire poser nues des internationales bleues pour alerter sur le cruel manque de visibilité du football au féminin dans l’Hexagone.
Brillantes au milieu de nulle part
Retour en arrière : en septembre 2008, l’équipe de France valide son ticket pour l’Euro qui se dispute l’année suivante en Finlande. Sauf que dans la presse, personne ne pipe mot sur cette belle performance, ou alors si peu. Les esprits sont encore trop occupés à débattre de la débâcle des garçons au championnat d’Europe helvético-autrichien, et personne ne remarque la facilité avec laquelle les Bleues se sont qualifiées pour leur rendez-vous, terminant à la première place de leur groupe (21 points pris sur 24 possibles). En même temps, leurs matchs de qualification ne comptaient pas encore parmi les grands rendez-vous en prime time : Valence, La Roche-sur-Yon, Angoulême ou Saint-Brieuc, voilà comment s’appellent les villes qui hébergent les matchs de l’EDF dans leur discrète marche vers l’Europe.
Et au stade, il n’y a pas foule. Alors comment faire pour que les choses changent ? Pourquoi ne pas utiliser la manière forte ? C’est ainsi que la cellule communication de la FFF a l’idée de réaliser un shooting photo où des joueuses poseraient nues afin de rappeler qu’elles existent. Le slogan est tout trouvé, il est aussi provocateur que la campagne en elle-même : « Faut-il en arriver là pour que vous veniez nous voir jouer ? » « Il n’y avait aucune obligation de participer, et finalement, on a été quatre à le faire : Gaëtane Thiney, Sarah Bouhaddi, Elodie Thomis et moi, se souvient Corine Petit, alors défenseuse de l’Olympique lyonnais. De mon côté, j’en ai discuté avec Gaëtane, qui était ma partenaire en chambre et on a essayé de voir quels étaient les aspects positifs d’une telle campagne. Et on s’est dit : « Si ça peut faire un petit truc, alors pourquoi pas. » »
« Le plus important ? Que ce soit artistique »
Pas facile de faire tomber le short et le maillot quand on a l’habitude de se montrer pour ses performances sur le terrain. « Pendant le shooting, je n’étais pas à l’aise du tout ! C’est une situation particulière d’être peu vêtue dans une séance photo devant cinq ou six personnes, reprend Petit, qui a pris sa retraite il y a un an et officie désormais sur les plateaux télé en tant que consultante. Mais après coup, j’étais très heureuse du résultat, car il n’y a rien de vulgaire dans cette série et pour moi, c’était ça le plus important : que ce soit artistique. Joli ou pas joli, chacun pense ce qu’il veut, moi je voulais juste que ce soit bien fait et ça a été le cas. » Le résultat est en effet très sobre et donne lieu à un article dans Foot Mag, le périodique édité par la FFF. Dans la foulée, le buzz attendu finit par se produire : nombreux sont les médias qui sollicitent des interviews et commencent à parler de l’équipe de France féminine.
Mais cette campagne ne plaît pas à tout le monde. L’ancienne internationale Mélissa Plaza par exemple explique à 20 Minutes qu’ « on voulait susciter le débat et avec le recul, je pense que c’était une erreur. On a encore une fois érotisé le corps des femmes de manière ostentatoire. » Une vision que comprend Corine Petit, dix ans après les faits : « Elle a une vision très centrée sur l’égalité hommes-femmes, donc forcément, de son point vue, c’est choquant comme campagne. C’est comme les calendriers sur lesquels posent des sportives : cela met en avant la femme avant la sportive et ce n’est pas normal de faire ça. »
La vérité du terrain
Au bout du compte, l’aventure de l’équipe de France se termine en quarts de finale et une défaite aux penaltys face aux Pays-Bas. La suite est plus cruelle encore, puisque les Bleues retombent dans l’anonymat, malgré la promesse de plusieurs médias de s’intéresser davantage à elles. De quoi se dire que la campagne a été un flop. « Fallait-il en arriver là ? Non, en réfléchissant bien, c’était bête de faire ça. Nous, on s’en fichait d’être jolies ou de se montrer, l’important c’est le jeu, comme chez les garçons. On s’en fiche qu’un joueur présente bien, qu’il soit moche, ou bête. Ce qui compte, c’est le terrain. Ce n’était pas la meilleure solution, mais ça a été fait et ce n’est pas si grave non plus » , analyse aujourd’hui Corine Petit.
Et justement, le vrai changement de traitement médiatique interviendra grâce au terrain. En 2011 très précisément, une année dorée pour le football féminin français : « On a vécu une Coupe du monde en Allemagne avec des stades pleins et ça a contribué à l’éclosion de l’équipe de France (les Bleues termineront 4es, N.D.L.R). Les Français ont été agréablement surpris et se sont rassemblés derrière nous. Surtout que dans le même temps, on venait de remporter la Ligue des champions avec Lyon, donc c’était un ensemble favorable » , rappelle Corine Petit, non sans préciser que les incidents de Knysna en 2010 ont donné aux filles un coup de pouce inattendu. « Beaucoup de gens se sont raccrochés à nous parce qu’ils avaient été déçus des garçons. La Fédération en a profité pour insuffler un vent de fraîcheur et une image positive à travers le foot féminin. »
Dix ans plus tard, le nombre de licenciées a explosé : il culmine aujourd’hui à 165 000, soit 100 000 de plus qu’au moment du shooting des quatre volontaires. Les performances répétées de l’Olympique lyonnais sur la scène européenne ont servi de caisse de résonance à la bonne santé d’une discipline qui n’en finit plus de grandir. Avec, en guise d’apothéose, le Mondial à domicile qui a fait entrer le foot féminin hexagonal dans une nouvelle dimension. « Ça a mis du temps pour qu’on parle de nous, mais finalement on a pris goût à voir notre nom dans le journal. Aujourd’hui, la discipline est en plein boom et pourvu que ça dure ! » Corine Petit ne cache pas son enthousiasme, mais tient cependant à tempérer ce petit miracle. L’engouement qui entoure son sport est avant tout rendu possible par le fait qu’il s’agisse justement de ballon rond : « Nous, on a la chance d’être liées au football, qui est tout en haut de la pyramide des sports. En parallèle, on ne parle jamais des handballeuses ou des basketteuses. Alors qu’elles ont des médailles ! » La to-do list des combats à mener est encore loin d’être complétée.
Par Julien Duez
Propos recueillis par JD, sauf mentions.
Images : captures d'écran Twitter