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Il s’appelait Seid Visin
Seid Visin n'avait que 20 ans lorsqu'il a été retrouvé mort, le 3 juin dernier, au domicile de ses parents adoptifs de Nocera Inferiore en Campanie. Ce drame, sur fond de dépression possiblement liée au racisme, a naturellement ému toute l'Italie.
« C’était un homme merveilleux » ne devrait pas être une phrase acceptable pour parler d’un gamin de 20 ans. Et pourtant, ce sont ces mots lourds de sens qu’a choisi de déclamer Walter Visin pour parler de son fils adoptif, Seid. Pour honorer la mémoire d’un enfant parti trop tôt, emporté par la souffrance et le mal-être au cœur du domicile familial. Un sanctuaire basé à Nocera Inferiore, non loin de Salerne en Campanie, qui n’en sera plus jamais un depuis que Seid s’est suicidé.
« Je ne veux pas oublier ce sourire incroyable »
D’origine éthiopienne, Seid Visin était un gamin italien comme les autres. Ou presque. Pour ses potes, il était « un champion, un gamin talentueux » passé par le secteur de jeunes de l’AC Milan où il a notamment côtoyé Gianluigi Donnarumma, qui ne l’a d’ailleurs pas oublié : « J’ai connu Seid en arrivant à Milan(Donnarumma est lui aussi originaire de Campanie, NDLR), on vivait ensemble à l’internat, expliquait le successeur de Gigi Buffon à l’ANSA. Les années ont passé, mais je ne peux pas et je ne veux pas oublier ce sourire incroyable, cette joie de vivre. »
Après ces années en Lombardie, Seid a tenté sa chance non loin de chez lui, à Benevento avec les -17 ans, avant de finalement voir son rêve de footballeur pro partir en fumée un an plus tard. Alors, comme n’importe quel jeune de son âge, il s’est mis par la suite à bosser et à jouer au foot à cinq à l’Atlético Vitalica à quinze minutes de chez lui. Son coach Antonio Francese disait de lui ceci, quelques jours après ce funèbre 3 juin : « C’était un talent énorme au cœur fragile, qui refusait la logique du foot business et qui considérait l’aphorisme de Pierre de Coubertin comme le socle de la passion et de l’amitié. »
L’échec d’un pays
Rapidement, à l’image du drame de Jeremy Wisten, tout le monde a essayé de comprendre la cause du suicide. Il s’avère qu’en janvier 2019, deux ans et demi avant son passage à l’acte, Seid avait écrit une lettre à ses amis et à sa psychologue, qu’a décidé de relayer le Corriere della Sera. Dedans, Seid parle de ces préjugés qui « pèsent lourd sur ses épaules », de « ces proches qui aimaient vanter les mérites de Mussolini » et appelaient « Capitano » l’ancien ministre de l’Intérieur et leader de la Ligue du Nord, Matteo Salvini.
Il parle aussi de lui, de s’être vu changer au fur et à mesure, de commencer à faire des « blagues de mauvais goût » sur les noirs et les immigrés simplement pour prouver « qu’il n’était pas comme eux ». Tout ça pour quoi ? Pour montrer, même en étant noir et pas né dans un hosto de la Botte, « qu’il était comme eux : italien, blanc ». Cette lettre fut entièrement lue à l’église San Giovanni Battista de Nocera et suivie d’une longue salve d’applaudissements. De ses parents à son entraîneur de foot, aucun aujourd’hui ne pense à un quelconque épisode de racisme particulier qui aurait conduit Seid à mettre fin à ses jours. À vrai dire, aucun d’eux n’a encore la force d’arriver à l’étape où il s’agit de comprendre, d’essayer de répondre à cette question du « pourquoi » . Il ne reste alors plus qu’à s’en remettre aux mots de Claudio Marchisio, ancien international italien, mais être humain sensible avant tout, qui termine : « Un pays qui pousse un jeune garçon à faire un geste extrême comme celui-ci est un pays qui a échoué. » Il s’appelait Seid Visin et il a été victime de cet échec.
Par Andrea Chazy