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Il s’appelait Henri

Par Thomas Pitrel et Ronan Boscher
9 minutes
Il s’appelait Henri

Henri Michel, ancien joueur et sélectionneur de l'équipe de France, est mort aujourd'hui à l'âge de 70 ans. C'est aussi une légende du FC Nantes, avec lequel il a joué 640 matchs entre 1966 et 1982, qui disparaît.

Il y a plusieurs Henri Michel. Le Henri Michel que connaissent les moins de quarante ans est un entraîneur un peu rond et gominé qui a parcouru le monde et accumulé les expériences plus ou moins concluantes avec le Maroc, les Émirats arabes unis ou les Mamelodi Sundowns. Ceux qui ont de la sympathie pour lui se souviennent de sa demi-finale de Coupe du monde avec les Bleus en 1986 et de sa finale de CAN avec la Côte d’Ivoire en 2006. Les autres, les ingrats, retiennent qu’il a enchaîné les piges de quelques mois pour des équipes obscures et qu’il s’est fait virer comme un malpropre des Bleus après s’être fait traiter de « sac à merde » par Éric Cantona. En fait, les deux catégories se trompent, car Henri Michel est évidemment bien plus que ça.

Suaudeau : « Le talent de Beckenbauer »

Les plus de quarante ans le savent, au premier rang desquels Jean-Claude Suaudeau, qui affirme sans détour que celui qu’il a vu débouler tout jeune à Nantes en 1966 « avait le talent de Beckenbauer » . Patrice Rio, arrivé quelques années plus tard au poste de défenseur central, parle lui de « Platini bis. Il avait la même clairvoyance. Avant même de recevoir un ballon, il savait déjà à qui il allait le passer. » Encore une génération plus tard, José Touré n’a évolué avec Michel que lors de ses trois dernières saisons, mais il va encore plus loin que les autres dans la comparaison : « Le premier de tous, Henri Michel, le capitaine courage, le soleil des Canaris. Il me semblait tout droit sorti des livres d’Alphonse Daudet que je lisais quelques années auparavant. »

Vitrine et leadership

La raison de cette unanimité ? D’abord, Henri Michel a fait partie, de 1966 à 1982, du FC Nantes qui a le plus dominé son époque. Jugez plutôt : trois titres de champion en 1973, 1977 et 1980 (avant un nouveau en 1983, après son départ), quatre fois vice-champion (1974, 1978, 1979, 1981), une Coupe de France (1979) et deux finales (1970 et 1973). Le Nantes d’Henri Michel conserve encore son ahurissant record d’invincibilité à domicile, qui aura duré du 15 mai 1976 au 7 avril 1981, soit 92 matchs. Et surtout Riton, après une intégration un peu compliquée à son arrivée en provenance d’Aix-en-Provence, aura été pendant une grosse dizaine d’années le capitaine de ce Nantes imbattable. « Quelle longévité, pour Henri, quand même… » , s’exclame encore aujourd’hui Gilles Rampillon, le neuf et demi de l’époque.

« Henri n’avait rien à voir avec le capitaine à la Didier Deschamps, décrit Patrice Rio. Son leadership ne passait pas par la voix, mais par le geste. C’est simple, dès qu’on recevait la balle, on regardait où il était pour lui passer. Tout le jeu passait par lui. » Sur le terrain, Henri Michel est omniprésent et suinte la classe. Le menton levé, le geste sûr. « Il savait tout faire, résume Rampillon. Un très gros volume de jeu. Il savait défendre, il avait une technique individuelle parfaite et une frappe à mi-distance lourde et précise. Je me souviens aussi qu’il avait cette rare capacité à renverser le jeu par des transversales très, très précises. C’était impressionnant. » À l’entraînement, Michel mène toujours le peloton lors du footing. Après les matchs, il est le premier à organiser un pot pour souder une équipe qui ne pourrait pourtant pas l’être davantage.

« Il est devenu un capitaine courageux, talentueux, efficace et fêtard… mais c’est bien, il ne se prenait pas au sérieux, poursuit Suaudeau. Henri était celui qui pensait que celui d’à côté était aussi fort que lui. Il avait cette exigence, mais sans le dire. » Une exigence qui appelle la constance. Avec Jean-Paul Bertrand-Demanes, Henri Michel est le joueur qui a joué le plus de matchs avec Nantes en première division (532 en tout) et, d’après Patrice Rio, il n’y en a pas un qui sort du lot : « Tout simplement parce que je serais incapable de vous en citer un où il n’a pas été brillant, performant. Son niveau ne baissait jamais, il ne faisait jamais mentir sa réputation. » De quoi se demander pourquoi Henri Michel ne bénéficie pas, aujourd’hui, du statut qu’on accorde aux plus grands joueurs français, dans la lignée de Kopa, Platini, Zidane ou Giresse.

Valence 1980 et vitamines

Si le FC Nantes mené par Henri a marqué la D1, parfois marché dessus, il n’a jamais su voyager véritablement au-delà des frontières. Sur ses 16 saisons dans le 44, Henri n’a joué plus de quatre matchs de Coupe d’Europe en une saison qu’une seule fois, lors de la Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe (C2 ou cette expression qui nous manque, « la Coupe des coupes » ) 1980. Nantes voit enfin le dernier carré, composé d’Arsenal, de la Juve et du Valence de Kempes, adversaire des Canaris. « À l’aller, à Saupin, on gagne 2-1, mais on doit en mettre bien plus que deux, peste Rampillon. Au retour, on en prend 4. » José Touré s’étonnera, pour cette volée du retour, de la bave aux lèvres et des yeux injectés de sang des stars Kempes et Bonhof au coup de sifflet final. « Nous, on marchait à l’eau claire, assure Henri Michel. Je suis presque certain que plusieurs équipes n’utilisaient pas les mêmes vitamines que nous. »

Une justification qui sent bon le Tour de France. Mais tous les anciens joueurs évoquant le sujet précisent que ce n’est qu’un ingrédient marginal de la relative faiblesse des Canaris en Europe. Henri Michel pointe les lacunes athlétiques – « nous n’étions pas des bêtes physiques » –, ou l’inefficacité devant le but : « Il nous fallait 10 occasions pour mettre 1 but. » Mais surtout le manque de folie. « On reproduisait le jeu développé en championnat. Il aurait fallu élever notre niveau de jeu. Le public, pas mal d’abonnés, habitué à nous voir pratiquer une certaine qualité de jeu, allait voir un match européen avec le même état d’esprit, sans folie. À un moment, les deux se rejoignent, sur le terrain et dans les tribunes. »

Pour le public français, plus que nantais, le grain de folie du foot français de la décennie s’appelle Saint-Étienne, les Verts. « On subissait leur concurrence, on piochait, confirme Patrice Rio. Ce qui fait que les gens disaient « Bon Nantes, c’est une bonne équipe, mais ils ne réussissent pas autant que Sainté. » » D’autant que Sainté a bien soigné sa légende européenne. « Tout le monde se souvient du match contre Split, ou contre Kiev, essaie Gilles Rampillon. Dans l’imaginaire collectif, je pense peut-être qu’il a manqué ce genre de scénarios, de défis à affronter à Nantes sans doute, pour qu’on rentre dans la tête des gens, et donc que Henri Michel entre dans la tête des gens autant qu’il était ancré dans la tête des Nantais. On n’a jamais fait de grands matchs exceptionnels en Coupe d’Europe. Pour autant, je me souviens très bien dire après chaque élimination « On aurait pu passer. » On n’a jamais su franchir le cap européen. Le plus grand regret, c’est vraiment la demie contre Valence en 1980. »

Les torts de Michel

Ce n’est pas véritablement en équipe de France qu’Henri Michel consolera ses déceptions internationales. Avec 58 sélections de 1967 (!) à 1980, il a vraiment fait partie des meubles des Bleus. « Je pense que j’étais un bon milieu de terrain, peut-être excellent à Nantes, juge Riton. Avec l’équipe de France, j’ai été moins en vue, car je me suis mis au service de la collectivité. Mais je me battais dans le désert. » Mince, Henri n’a pas brillé avec les Bleus. « Il n’a jamais eu le même niveau, je ne sais pas pourquoi, s’interroge encore Rampillon, international à 3 reprises.On ne peut pas dire que l’équipe de France a été mauvaise, loin de là, mais ça ne l’a pas fait. Il était bon, sans être déterminant. » « Tout le monde s’attendait aux mêmes performances que celles de Nantes, et ce n’était pas le cas » , ajoute Rio. Georges Carnus, international jusqu’en 1973, attendait pourtant d’Henri Michel qu’il soit la locomotive des Bleus : « On aurait aimé qu’il nous tire, mais… » Pour Serge Chiesa, à la même période, une mauvaise perception de son attitude aurait aussi compliqué son intégration chez les internationaux : « Le reproche qu’on a pu lui faire, c’est de le sentir… pas hautain, mais un peu au-dessus alors que ce n’est pas du tout son genre. » La locomotive s’appellera finalement bien Michel, mais Platini. « Henri était pourtant toujours très disponible pour les médias, et il s’exprimait très bien, mais au bout d’un moment, la jeunesse de Michel Platini a tout emporté, décrypte Rio. Il a tout de suite été très médiatisé. Je pense qu’Henri en a un peu souffert. Je ne sais pas pourquoi je le compare à Michel Platini, parce qu’effectivement, ce n’est pas le même poste, mais ils n’étaient pas loin. »

Leurs positions sur le terrain s’éloigneront davantage quand Henri descendra de son poste de 8 relayeur à celui de libéro à Nantes, à partir de 1978 jusqu’en 1982, sous les ordres de Jean Vincent. « Je ne suis pas devenu libéro pour la facilité, mais vraiment pour apporter quelque chose à l’équipe, reprend Henri. Et je crois avoir réussi en mettant le bordel dans toutes les équipes adverses. » José Arribas aurait déjà aimé voir Henri Michel en vigie de sa défense. Refus de l’intéressé. Henri a seulement concédé de moins utiliser son jeu long, un peu « contraire au jeu nantais » , qu’il utilisait beaucoup lors de sa période aixoise. À partir de l’automne 1978, et une mauvaise série de résultats en début de saison, il fait la doublette avec Patrice Rio derrière. Nantes se redresse, finit dauphin à 2 points de Strasbourg. Hugo Bargas, l’habituel co-taulier argentin de la défense, joue de moins en moins, jusqu’à partir à l’été 1979 pour Metz. Et le palmarès de Nantes avec Henri en libéro présente toujours bien. « Sur 4 saisons avec lui en 5, Nantes finit deux fois deuxième, une fois champion en 1980, et une Coupe de France en 1979 » , compte Rampillon. Son ancien coéquipier appréciait le signe fort envoyé aux adversaires : « Sa vision de jeu était toujours aussi bonne. Là où c’était habile, c’est qu’avec un libéro dont l’esprit était celui d’un 8, ça donnait une dynamique encore plus offensive à l’époque. »

On regretterait presque qu’Henri Michel n’ait pas fait une carrière entière en 5 pour « entrer dans la tête de tous les gens » . Mais Henri doit d’abord compenser quelques rares faiblesses pour ce poste reculé. « Il lui manquait un peu de puissance athlétique (notamment dans le domaine aérien), et il était aussi un peu limité en vitesse de course, il pouvait être pris de vitesse, détaille son acolyte Patrice Rio, qui a néanmoins vu Riton s’adapter. On connaissait très bien nos rôles. » Mais comme le dit si bien Jean-Claude Suaudeau, Henri Michel était surtout « trop polyvalent pour rester libéro » . L’expérience prend fin quand Michel Hidalgo demande à Henri de lui succéder, après l’Euro 1984, à la tête de l’équipe de France. Le 8 devenu 5 range les crampons au terme de la saison 1982, et se fait la main avec l’équipe olympique, qu’il mène en finale et à la médaille d’or à L.A, aux JO de 1984.

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Par Thomas Pitrel et Ronan Boscher

Propos de Georges Carnus, Henri Michel, Serge Chiesa, Coco Suaudeau issus du livre FC Nantes : une équipe, une légende, de Yann Batard, ceux de José Touré dans son autobiographie Prolongations d'enfer // propos de Gilles Rampillon et Patrice Rio recueillis par RB et TP.

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