- Amérique du Sud
- Argentine
- Retraite de Juan Roman Riquelme
« Il reviendra… », par Martin Caparros
« Maradona n'est pas le meilleur joueur de l'histoire de Boca. Le plus talentueux à avoir porté notre maillot oui, mais pas le meilleur. Le meilleur joueur de l'histoire de Boca, c'est Juan Roman Riquelme. Lui, c'est un génie. » L'écrivain surdoué argentin Martin Caparros prend la plume pour Sofoot.com, après l'annonce de la retraite de son idole : Juan Roman Riquelme.
Je ne veux pas y croire. Et, par chance, Juan Roman Riquelme m’a donné des excuses pour ne pas le croire. Ce ne serait pas la première fois qu’il dit une chose et finit par en faire une autre : qu’il dise quelque chose pour voir ce qu’on lui répond ou pour faire peur à quelqu’un ou, plus simplement, pour faire chier. Ou que, après l’avoir dit, il regrette. Avec les mots, Riquelme a toujours été terrible ; presque autant qu’avec le ballon dans les pieds.
Le ce-qu’il-veut…
Presque, mais non : avec le ballon, il a été le plus grand. Ce n’est déjà plus un débat : dans un club où son rival le plus visible s’appelle Diego Armando Maradona, personne ne nie qu’il ait été le joueur le plus important de l’histoire. Si ce club avait été à sa hauteur, cela aurait dû suffire pour que Riquelme ne puisse même pas penser à prendre sa retraite dans un autre lieu ou dans un autre temps. Mais non. M. Macri le déteste, et ses héritiers ont tout fait pour lui rendre la vie impossible à Boca.
Ils lui reprochaient certaines attitudes. Ils ne comprenaient pas que leur travail comme dirigeants était de faire en sorte que le meilleur fasse ce qu’il veut. C’est une erreur basique : insister pour le mesurer avec le mètre classique, celui de 100 centimètres. Ils se trompent. Roman a ses propres règles. Comme les ont, une fois par mois, tant de personnes que tant de gens aiment, et auxquelles personne ne pense à faire de reproche, parce que l’amour est plus fort. Roman a ses propres règles : il peut faire des choses qu’on ne supporterait chez personne d’autre. Si Roman n’a pas gagné le droit de faire ce qui lui chante, le ce-qu’il-veut, c’est que personne ne l’a – mais ce que démontre le football, c’est que des gens ont ce droit. Le football établit des différences que personne ne peut remettre en question, parce qu’elles sont basées sur le talent. Ni sur l’origine, ni sur les richesses, ni sur les relations : sur le talent pur. Et ceux qui l’ont peuvent faire des choses que ceux qui ne l’ont pas ne peuvent pas faire.
« Il jouait comme personne ne joue »
Le talent, Juan Roman Riquelme en avait et en a à offrir. Qu’on ne lui ait pas permis d’en profiter, qu’on ne l’ait pas laissé en profiter dans le patio de sa maison jusqu’à la fin pèsera comme une enclume sur tous ceux qui en sont responsables. Et comme une tristesse pour tous les autres. Mais tout n’est pas perdu : on continuera à espérer qu’il regrette et qu’il revienne. Et, en attendant, on regardera ses vidéos, on se rappellera des meilleurs moments, on criera « Riqué » , et on se préparera pour raconter à nos petits enfants :
– Tu sais pas quoi, Toni ? J’ai vu un mec jouer au football comme personne ne joue plus.
– Pourquoi, pépé, qu’est-ce qu’il faisait ?
– Je ne sais pas, comment te dire. Il ne bougeait pas beaucoup. À la place, il pensait. Il pensait, et le ballon faisait ce qu’il pensait. Et il ne jouait pas pour montrer comment il savait jouer, comme les gamins d’aujourd’hui. Pour lui, jouer c’était faire jouer tous ses coéquipiers. Ce que je te dis, Toni : il jouait comme personne ne joue.
Par Martín Caparrós, avec Pierre Boisson