Il n’y aura plus jamais de Pelé

Le roi Pelé s’est définitivement retiré de la scène. La question de son héritier potentiel ou putatif se pose donc encore plus fortement, maintenant que le principal concerné n’est plus parmi nous pour le désigner. Le cœur de la France s’était emballé, lorsque dans la foulée du Mondial en Russie, il avait semblé introniser à demi-mot Kylian Mbappé, en clamant son admiration pour le précoce attaquant tricolore. Ce dernier avait des faux airs de frère jumeau à travers les décennies, et paraissait suivre la même trajectoire. Le destin de l’Argentin Lionel Messi est venu contrarier ce trop parfait parallèle. Il faut se l’avouer, avec tristesse et reconnaissance : plus jamais aucun joueur n’aura le poids, n’endossera le rôle ou n’occupera la place d’Edson Arantes do Nascimento dans le foot.

If Kylian keeps equalling my records like this I may have to dust my boots off again… // Se o @KMbappe continuar a igualar os meus records assim, eu vou ter que tirar a poeira das minhas chuteiras novamente…#WorldCupFinal https://t.co/GYWfMxPn7p

— Pelé (@Pele) July 15, 2018

Les raisons sont évidentes, incontestables, historiques. En 1958, le génie brésilien, âgé de 17 ans, privait la France d’une finale en Coupe du monde et mettait, pour un petit bout de temps, le Brésil au centre du monde. Il donnait alors un visage d’ébène et sud-américain au beau jeu. L’ensemble des autres nations passèrent ensuite leur temps à essayer de dépasser ou égaler l’inatteignable Seleção, qui entassa trois Mondiaux dans l’escarcelle de Pelé. Les Bleus de Michel Hidalgo se rêvaient d’ailleurs en Brésil européen, au début des années 1980. Et la presse décrivait Michel Platini en possible version tricolore de Pelé sur le Vieux Continent. Est-il seulement envisageable, aujourd’hui, qu’un seul gamin produise pareil bouleversement à lui seul ?

Une légende qui n’a jamais eu besoin de Ballon d’or

Pelé est devenu une légende en déroulant toute sa carrière hors d’Europe, sans se soucier de la course au Ballon d’or. Quel joueur brésilien imagine une seconde devenir grand sans traverser l’Atlantique et signer en Espagne ou en Angleterre ? Pelé a inscrit son nom de son vivant au panthéon, à une époque où finalement si peu ont eu le bonheur de le voir marquer dans un stade ou même à la télé. Il est devenu une icône internationale – personne ne parlait encore de mondialisation – avant l’internet et les réseaux sociaux. Bien sûr, il fut encadré par plusieurs immenses coéquipiers, dont le terriblement magnifique Mané Garrincha. Toutefois, lui seul s’installa sur le trône. Désormais, tant de noms se bousculent sans cesse sur l’estrade pour réclamer la couronne, constamment observés, soumis au microscope de la data, et souvent autant professionnels de la communication que du terrain.

Pelé avait désaxé le centre de gravité du foot en Europe, avec pour principale arme un style de jeu spécifique voué à l’attaque et rarement tourné vers le repli défensif. L’Afrique s’invite de plus en plus dans la course au carré final, mais avec une rigueur très européenne. Il n’y aura plus de Pelé. Le foot est devenu un empire morcelé bien que gigantesque. Le monde s’est transformé. Une Coupe du monde vient de se terminer au Qatar et le sacre de Lionel Messi, à l’automne de sa carrière, ne ressemble en rien au printemps suédois du jeune héros de Santos. Une page d’histoire s’est bien refermée en ce triste 29 décembre 2022.