- Foot & Mercato
« Il n’y a pas de bulle spéculative attachée au mercato »
Après l'euphorie consensuelle de la Coupe du Monde en Russie, le mercato ramène le foot aux belles et dures réalités de son capitalisme si particulier. Si beaucoup annoncent l'explosion en vol de nos clubs sous le poids des montants astronomiques des transferts de certaines stars, Bastien Drut, économiste du sport, et auteur de l'ouvrage « Mercato : L’économie du football au XXIe siècle » (Bréal), anticipe davantage le risque d'une mutation profonde du système au détriment de ses fondements historiques.
Dans votre livre, vous expliquez qu’il n’existe pas, contrairement aux idées reçues, de bulle spéculative dans le football professionnel. Tout va bien alors ?Je voulais essentiellement préciser que les fantastiques dépenses des gros clubs, qui ont fait couler tant d’encre et susciter tellement d’inquiétudes, et qui se sont en effet énormément accrues ces trois dernières années, ne sont pas du tout déconnectées de la croissance des recettes de ces grandes maisons du foot européen. Personne ne semble regarder la ligne des recettes, et pas seulement les droits TV, quand il s’agit d’examiner les comptes du Barça ou de Manchester United. Or il est impossible de comprendre comment des transferts à plus de 100 millions d’euros peuvent survenir et se multiplier si on n’a pas ces données en tête. Prenons le cas de la Juventus qui vient de s’octroyer les services de Cristiano Ronaldo, qui a souligné qu’en cinq ans, la Vieille dame avait doublé ses ressources économiques propres ?
Le PSG n’est donc pas finalement une exception ?Loin de là. Le PSG n’a rien de surréaliste. Son budget ne dépasse pas celui du Barça, de Manchester ou du Real. Il appartient juste à la catégorie des gros clubs et se comporte comme tel sur le marché des transferts.
Le mercato demeure-t-il encore un moment charnière dans la stratégie de développement des clubs ? Pas seulement , mais il est clair que leur politique de recrutement reste un peu leur cœur de métier. Et dans certains cas, le transfert d’un joueur peut impliquer d’énormes conséquences pour le versant « business » du club.
Pour en revenir au cas de la Juventus, il s’avérait économiquement important d’attirer CR7 dans leur effectif. Cela suppose, ou laisse espérer, des millions de followers en plus sur les réseaux sociaux et des recettes de sponsoring qui vont augmenter. Le contrat avec l’équipementier va forcément être revu à la hausse, voire doublé. Le sponsor maillot va être contraint de renégocier avec le club. Le mercato peut donc offrir l’opportunité de changer la donne quant à l’économie générale des clubs, ce qu’a essayé de réaliser le PSG avec Neymar, qui est autant un grand joueur qu’un vecteur pour trouver des sponsors et des revenus à l’international.
La Coupe du Monde constitue-t-elle encore un formidable accélérateur pour le mercato ?Disons que cette tendance était très marquée dans le passé. Les stars révélées durant un Mondial profitaient d’un formidable coup de projecteur. Elles étaient ensuite souvent appelées par les plus grand clubs. C’est beaucoup moins vrai aujourd’hui. Les efforts de recrutement des principaux acteurs en Europe se sont intensifiés ces dernières années. Des réseaux de recruteurs parcourent la planète, les cellules des clubs travaillent à l’aide de puissantes bases de données. Monaco recrute par exemple les joueurs très jeunes, les fait monter en puissance et les revend à prix d’or, avec bien sûr le cas exceptionnel de Kylian Mbappé. Bref, le temps s’est accéléré. Quatre ans ne suffisent plus. L’éclosion des grands joueurs est de plus en plus rapide et précoce. Regardons la situation de Mbappé. Finalement, la Coupe du Monde n’a été que la confirmation de son destin, alors qu’il y a dix ans, elle aurait signifié sa révélation. Le Mondial conserve toutefois un impact sur le mercato. Ce n’est pas un hasard si les joueurs dont on parle beaucoup sont les Belges ou les Croates.
Existe-t-il malgré tout des risques liés à l’évolution actuelle du mercato ?Selon moi, comme je le détaille dans la seconde partie de mon livre, le danger principal ne réside pas dans une hypothétique déflagration d’une bulle spéculative, mais davantage dans l’installation et l’affermissement structurel d’un football à deux vitesses. Il a toujours existé des écarts et des « gros » : avant Paris, il y avait Lyon, qui succédait lui-même à Marseille.
Cependant, quand on regarde le fossé entre les gros et petits dans le foot professionnel à l’échelle européenne, il a, pour le coup, explosé. Les recettes des petits clubs n’ont que fort peu progressé en Ligue 1. Pareil en Liga. Les conditions n’ont jamais été autant réunies pour qu’advienne la fameuse Super League dont on parle depuis si longtemps. Ce qui est en jeu, c’est tout simplement la survie des compétitions telles que nous les connaissons actuellement. Il est très frappent de voir que l’idée d’une Super League revient de plus en plus dans les discussions depuis deux ans. Il en avait été beaucoup question au moment du référendum en Catalogne, une solution possible si le Barça ne concourait plus en Liga. Deuxième alerte, le renouveau de la Coupe du Monde des clubs, sous un format plus étoffé que sa version actuelle. Cette proposition dans les cartons de la FIFA avait l’assentiment – on imagine pourquoi – des grands clubs du Vieux Continent. Le risque se précise pour qu’à terme ces derniers fassent sécession, au moins partiellement, pour vivre leur « vie » à leur « niveau de vie » .
Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov
Lire : « Mercato : L’économie du football au XXIe siècle » (Bréal)