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« Il n’y a aucun dromadaire connu dans le monde »
Double champion de France de course de dromadaire et sélectionneur de l'équipe nationale, Olivier Philipponneau est probablement l'homme le mieux placé en France pour évoquer le nouveau passe-temps favori des joueurs du PSG. Regard d'expert sur la course en ligne, en attendant que Tuchel se mette au marathon.
En tant qu’entraîneur de l’équipe de France de jockeys de dromadaires, quel regard portez-vous sur la course des joueurs du PSG ?Il faut savoir qu’au Moyen-Orient, la culture ancestrale c’est le dromadaire. C’est une tradition culturelle. Donc il me semble logique que le Qatar ait envie de montrer à l’Europe qu’ils font des courses de dromadaires. Le reste, les joueurs qui présentent les courses, c’est pour l’image… C’est leur fierté, un symbole de noblesse. Donc pourquoi pas ?
???Une course digne des plus folles ! Nos joueurs à fond dans cette #CamelRace ??#QatarTour ???? #ICICESTPARIS pic.twitter.com/MBnF7Aeksy
— Paris Saint-Germain (@PSG_inside) 16 janvier 2019
C’est une tradition militaire héritée du temps des colonies, c’est ça ?
Non, il ne faut pas tout confondre. Nous, on a cette tradition militaire en France, oui. On a eu Napoléon qui a monté la campagne d’Égypte avec les compagnies méharistes, pour combattre des unités de Sahariens à dos de dromadaires, parce que c’était plus adapté. Après, l’armée française l’a exporté dans nos colonies à nous. Mais le Moyen-Orient ça n’a rien à voir, c’est leur culture, leur fierté. Eux l’ont développé petit à petit avec des jockeys, mais c’est parce qu’il y a quinze ans, les courses étaient faites avec des enfants, et qu’ils n’ont plus le droit. Tout est une question de poids, hein. C’est pour cela que l’on est passé à des robots jockeys.
Un robot jockey ?C’est ce que vous voyez sur la vidéo. Ce sont des robots télécommandés par les voitures poursuiveuses. Un camélodrome fait en général entre huit et dix kilomètres, et tous les deux kilomètres il y a des courses différentes qui peuvent partir. Les chameaux peuvent partir à deux kilomètres de l’arrivée, six kilomètres, huit kilomètres… De chaque côté de la piste, vous avez des voitures suiveuses. Ces robots jockeys ont des haut-parleurs, qui diffusent ce que disent les chameliers depuis les voitures suiveuses, et après il y a une petite cravache sur l’arrière que le chamelier va utiliser, souvent en fin de course.
L’an dernier au Koweit ,en tant que président de la FFCBD (fédération francaise des chameaux de Bactriane et des dromadaires)
On voit les joueurs crier « kup » dans leur talkie-walkie, ou quelque chose du genre. Il y a des mots-clés qui existent mondialement, comme le russe est majoritairement utilisé au cirque ? Oui, alors moi, je ne sais pas trop, parce que je suis allé au Moyen-Orient, en Arabie saoudite, au Koweït, mais jamais au Qatar. Les chameliers qui entraînent parlent surtout en arabe, mais il y a peut-être un mot-clé effectivement… « Yallah » ou « Vas-y » , en français.
On peut donc murmurer à l’oreille de son dromadaire ?Tout à fait. Les animaux comprennent du vocabulaire, et c’est d’ailleurs très intéressant à utiliser, puisque ça évite d’utiliser des aides dures tout le temps. C’est quand même mieux d’utiliser la parole que des coups de cravache. Moi, je ne me confie pas spécialement à eux, mais il y a certains animaux avec qui j’ai plus d’atomes crochus, c’est sûr. Je leur donne plus de caresses, je suis plus sensitif, plus attaché. C’est comme parler à quelqu’un qui ne vous répond pas. « Comment ça va ce matin ? » , ce genre de choses.
Les dromadaires que vous élevez apparaissent également dans des clips.Oui, ils ont participé au clip de Kel Assouf qui a remporté un truc, je ne sais plus quoi… J’ai fait des petites choses, mais rien de très connu.
Neymar a remporté la première course devant le troisième gardien Sébastien Cibois et Layvin Kurzawa, tandis que la seconde a été gagnée par le dromadaire piloté par Thomas Tuchel, devant celui d’Areola et celui de Dani Alves. Est-ce qu’il existe des jockeys plus techniques que d’autres, ou plus physiques ?En France, il y a un côté quand même très amateur. On organise une Coupe de France (dont il est double tenant du titre, en 2014 et 2016, N.D.L.R.), mais il n’y a pas de sélection. Moi, j’ai 50 ans, je suis un peu rond, pas vraiment le jockey type. Au Maghreb, on voit beaucoup de types fins, qui ont 18 ans… Si on veut un animal qui va vite, il faut un poids léger. C’est ce que l’on constate dans le sport hippique, et c’est pour ça qu’on met maintenant des robots.
Quelle est la différence en course entre un chameau et un dromadaire ?
Bon. Alors, déjà, les deux sont des chameaux. Parce que « chameau » , c’est incomplet. Il y a le chameau dromadaire et le chameau de Bactriane. C’est une espèce commune, sauf que l’une a une bosse, l’autre deux bosses, l’une vit dans des zones froides, l’autre dans des zones chaudes. On va dire qu’il n’y a pas de différence, à part les bosses.
Donc quand on dit « course de dromadaire » , c’est une connerie, en fait ? Non. Au Moyen-Orient, ce sont des courses de dromadaires, mais si vous allez en Mongolie, vous allez voir des courses de chameaux de Bactriane. Tout dépend de l’endroit où vous faites vos courses. Mais on pourrait dire « course de chameau-dromadaire » . Sinon, on dit « course de robots » , tout simplement, mais là on ne saurait pas si l’on parle de dromadaire ou de chameaux de Bactriane à deux bosses. Le terme dromadaire c’est incomplet, mais c’est pas une connerie.
Et quelle est la différence majeure par rapport à un cheval ?Ben, ce sont deux animaux différents.
Oui, mais en course ? Au niveau de la vitesse, par exemple. Les chameaux du Moyen-Orient – qui sont des races qui ont été croisées, recroisées –, vont très vite. Avec leur système de robot-jockey, ça peut aller jusqu’à 70km/h pour les meilleurs. Moi, sur le dos de la meilleure de mes chamelles, je peux faire du 55km/h. Les autres font plutôt entre 45 et 50km/h. Et sur une plus courte distance.
Vous parlez de distance, mais est-ce que les marathons à dos de dromadaires existent ?
Oui ! En Tunisie, on fait des marathons à dos de dromadaire, sur 42km. Les meilleurs vont faire du 20km/h en moyenne. On fait ça à douze en Tunisie, dans le désert. Après, il faut aimer, hein. La première fois qu’on le fait, on a l’impression d’être dans un autre monde, c’est clair. C’est un peu les images de Star Wars. La première fois qu’on découvre un dromadaire dans un espace comme ça, c’est l’aspect lunaire que vous pouvez vous imaginer. La première fois que j’ai approché un dromadaire, j’ai cru voir un dinosaure. Dans les bruits, la manière d’ouvrir la bouche… Bien que l’on en ait 1000 à peu près en France et 10 000 en Europe, c’était pour moi un animal venu d’autres contrées.
Est-ce qu’il existe un Neymar des dromadaires ?Non, bizarrement. Il n’y a aucun dromadaire connu dans le monde. Chaque pays a sans doute sa fierté, mais ce ne sont pas des mondes qui se mélangent. Les pays du Golfe restent beaucoup dans leur univers. C’est une très grande fierté pour ceux qui participent, donc eux doivent avoir leur Neymar des dromadaires. Mais ce n’est pas une discipline où l’on va solliciter un dromadaire en particulier comme au Ballon d’or. En France, ça a été mon dromadaire Suhail, qui a eu pas mal d’articles. Mais il n’y a que dix dromadaires qui courent, on est loin du foot. (Rires.)
En 2016, au championnat de France de courses de dromadaires, à Aix les Bains
Il paraît que vous avez disputé votre première course dans des circonstances un peu particulières…Exactement, en 2003, l’animateur de l’association Camélomanes basée à Paris (L’association des amis du dromadaire, du chameau et du lama) était passé dans une émission sur Équidia pour évoquer le marathon de Tunisie, et à la fin, il a dit que quelqu’un s’était désisté et qu’il recherchait un participant en urgence. J’étais cavalier, je l’ai rencontré à Paris et puis je suis parti. J’ai terminé douzième sur une cinquantaine de participants. J’ai eu de la chance.
Vous dites que les dromadaires ont plutôt un sale caractère, et que lorsqu’ils ne veulent pas faire quelque chose, ils ne le font pas. Dans le cas présent, c’est un peu comme Adrien Rabiot.
Là-dessus, je ne pourrai pas vous répondre, je ne suis pas quelqu’un qui suit assez attentivement le foot pour vous donner des arguments, être d’accord ou pas. Tout ce que je peux vous dire, c’est que les dromadaires ont certes un sale caractère, mais qu’on peut aussi très facilement les avoir avec la douceur. Ce sont des animaux qui ont vite peur, à la suite de quoi ils peuvent pleurer, fuir, baver, essayer de mordre. Oui c’est effrayant, mais c’est surtout ce qui se passe quand on les connaît un peu mal.
Propos recueillis par Théo Denmat