- Révolution du football
« Il faut passer à 16 clubs en L1, plus le Celtic et les Rangers »
Économiste du sport et professeur à l'université du Mans, Jean-Pascal Gayant est à l'origine d'une proposition assez particulière : intégrer le Celtic et les Rangers à la Ligue 1 française. Une manière de dire que c'est toute une révolution qui doit s'imposer à notre championnat, s'il veut maintenir et défendre sa compétitivité. Mais jusqu'à quel point ?
Tu proposes, dans une récente tribune du Monde, d’intégrer les Rangers et le Celtic en Ligue 1. C’est une véritable proposition ou un simple effet de médiatisation ? C’est à la fois une piste de travail et une véritable proposition. Une piste de travail, car je suis convaincu qu’il faut anticiper plutôt que subir une internationalisation des ligues dites « domestiques » . L’Europe du football est caractérisée par un morcellement qui semble de plus en plus anachronique. Certes, la Ligue des champions et les autres coupes d’Europe forment un dispositif permettant aux meilleures équipes de s’affronter de façon récurrente, mais, dans les championnats nationaux, l’écart entre les cadors et les sans-grades ne cesse de se creuser. L’une des raisons de ce déséquilibre grandissant est que les cadors bénéficient des ressources issues de la Ligue des champions. C’est aussi une véritable proposition, car le championnat écossais est un peu bancal : 12 équipes qui se rencontrent trois fois chacune, puis cinq matchs supplémentaires pour trouver une façon de clore la saison en essayant de corriger le déséquilibre structurel… En outre, les deux clubs de Glasgow écrasent le palmarès écossais (le titre n’échappe pas à l’un des deux depuis 36 ans). Oui, faire de la place pour ces deux clubs écossais dans notre Ligue 1 me paraît être une opportunité conjointement pour le football écossais comme pour le football français.
La question, au-delà de l’intérêt, est de savoir si la juridiction européenne accepterait ce championnat transnational, avec des équipes françaises, une monégasque et des écossaises. Acter cette réforme ne serait-il pas, comme le projet de Beneleague, une ouverture à une future Superligue européenne ? Je pense que l’avènement d’une Superligue européenne est inéluctable : les Européens doivent faire attention de ne pas voir naître une Major League de football dominante en Amérique du nord ou en Asie. Les meilleurs joueurs iront là où seront les meilleurs salaires. N’oublions pas que le plus gros potentiel de consommateurs de football est situé en Asie. Rappelons aussi que la FIFA s’est déclarée favorable à une fusion entre la MLS et de la Ligue mexicaine pour créer « la meilleure ligue du monde ». Pour l’instant, l’affirmation fait sourire. Mais quand les hispanophones des USA et du Mexique n’auront d’yeux que pour cette ligue, les dollars couleront à flots. Puis les meilleurs talents sud-américains commenceront à hésiter entre l’Amérique du Nord et l’Europe, et ainsi de suite… Les grandes ligues européennes devraient cesser de se regarder le nombril !
Dans ta tribune, tu cites beaucoup de pistes de changement et de réforme. Quel serait, pour toi, le meilleur chemin à prendre ?Dans un premier temps, passer à 16 équipes en Ligue 1, ou 18 éventuellement avec les deux équipes écossaises, donc, pour créer un choc de compétitivité : avec approximativement une même masse salariale répartie sur 16 ou 18 équipes plutôt que 20, la qualité moyenne des effectifs va progresser et les clubs auront du temps pour jouer « à fond » les matchs européens. Bien sûr, il faut amortir le choc pour les clubs qui seront relégués en Ligue 2 et en National. Il faut donc aussi créer une Ligue 3 professionnelle, et même une Ligue 4 mixte avec des clubs pros et des non pros. Aujourd’hui, le monde pro est dans une obsession malthusienne par peur d’avoir à financer les ligues inférieures. C’est une vision de très court terme. De manière générale, la Ligue brille par son court-termisme.
Selon certains économistes, la crise ne serait que conjoncturelle et sitôt terminée, on reprendrait comme avant et aucun changement ne serait fait. Crois-tu qu’on soit réellement au début d’une nouvelle ère ou penses-tu que le football ne changera pas profondément ?À certains égards, oui, le football reprendra comme avant : les meilleurs joueurs négocieront les meilleurs salaires et iront au plus offrant. Mais la crise a accentué les écarts entre les cadors européens et les clubs « ordinaires » des ligues domestiques. Donc le football sera peut-être même « pire » qu’avant. En revanche, je crois que la croissance des droits TV est finie. Les jeunes consommateurs sont différents, ils consomment le football différemment. Les clubs de football vont devoir (ré)apprendre à (bien) mieux traiter leurs spectateurs physiques. Le principe des matchs le dimanche à 13 h (pour satisfaire le marché asiatique) est une insulte aux spectateurs fidèles. Quelle entreprise « cracherait » sur ses consommateurs réguliers du coin de la rue pour séduire d’hypothétiques consommateurs versatiles du bout du monde ? Là encore, il faut revenir aux fondamentaux.
Propos recueillis par Pierre Rondeau