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Il était une fois Tom Foot

Par Adrien Candau
Il était une fois Tom Foot

Fable footballistique sortie en 1974, Tom Foot (Fimpen, en VO) ressort sur les écrans français ce mercredi 9 juin. Le pitch ? Simple, mais charmant d'étrangeté : un gamin de six ans est tellement doué au foot qu'il en vient à intégrer l'équipe nationale suédoise. L'occasion de se replonger dans un conte de fées sportif, où le réalisateur, Bo Widerberg, avait réussi à embarquer les joueurs des Blågult dans un tournage aussi improbable qu'impossible à réaliser aujourd'hui.

Quand on lui parle de Tom Foot, l’ex-attaquant international suédois Ralf Edström dit d’abord se souvenir d’un gamin « minuscule ». Il faut se figurer le genre de scènes dont lui et ses équipiers ont pu être coutumiers lors du tournage de ce film pas comme les autres. Prenez le 5 août 1973 : ce jour-là, devant les 40 000 spectateurs du stade Lénine de Moscou, un gosse se retrouve à enchaîner les tirs face à Yevhen Rudakov, le portier russe, à la mi-temps du match qui oppose la Suède aux Soviétiques. Cette minuscule tête blonde, que les joueurs et le stade écrasent de leur immensité, c’est Johan Bergman, l’éphémère enfant star de Tom Foot. Un « Fimpen » (soit un gamin en VO, le titre du film dans la patrie d’Henrik Larsson) qui constitue aussi le vrai point de départ du long métrage.

Widerberg, silence, ça joue !

À l’été 1971, le réalisateur Bo Widerberg achève le tournage de Joe Hill, un drame social sur un célèbre militant syndical. Pour se détendre après une journée de prises, lui et son équipe ont l’habitude de taquiner la balle. Une tradition chez Widerberg, dont la passion inconditionnelle pour le football n’était pas sans complication pour certains de ses collaborateurs : « Widerberg avait un attachement très puissant et intime au foot. Ça en devenait même un problème pour ses assistants, relate le gendre de Bo Widerberg et critique de cinéma Mårten Blomkvist. Bo leur demandait de trouver des personnes qui pouvaient jouer au football avec lui et son équipe de tournage tous les soirs. Ils devaient parfois promettre aux gens des hot-dogs et des sodas pour les motiver. » Ce-jour là, Widerberg s’échauffe en jouant avec quelques gamins, sur un terrain au sud de Stockholm. Mais une tête blonde lui résiste. Et lui chipe même le ballon une fois. Deux fois. Trois fois. Avant de le dribbler sans se fatiguer. Ce phénomène court sur pattes, c’est Johan Bergman, 7 ans. « C’est ce qui lui a donné l’idée du film, reprend Blomkvist. Si un joueur de foot professionnel rencontrait un gamin aussi doué, que se passerait-il ? Ne serait-il pas détruit par ça ? Et comment le gamin, lui, vivrait son intégration à une équipe professionnelle, puis à une sélection nationale ? »

L’idée obsède vite Widerberg, qui se décide dans la foulée à réaliser un long métrage sur le sujet. Son acteur phare est déjà tout trouvé : Johan Bergman, poussé par sa famille (qui est dingue de ballon), est d’emblée partant pour tenter l’aventure. Merveilleux, mais encore faut-il régler l’épineuse question du budget : le pitch de Tom Foot ne convainc pas grand monde, et c’est le cinéaste qui doit supporter de lui-même la quasi-totalité des coûts de production. Quitte à bidouiller dans les grandes largeurs. « À l’époque, une agence publicitaire américaine voulait faire la promotion des voitures Volvo avec un tournage prévu en Suède, explique Blomkvist. Ils ont contacté Widerberg, qui a accepté et utilisé une partie du matériel de tournage qui lui a été fourni pour filmer Tom Foot, même s’il n’en avait absolument pas l’autorisation. » Entre-temps, Widerberg s’est aussi mis dans la poche Georg Ericson, le sélectionneur suédois. Entraîneur à la sensibilité artistique assumée, ce dernier autorise le réalisateur et son équipe à accompagner les Blågult lors de certains matchs internationaux. Cet excellent pianiste, qui a notamment composé « Vi är svenska fotbollsgrabbar » (Nous sommes des footballeurs suédois , NDLR), le tube de l’équipe nationale à la Coupe du monde 1974, a de la suite dans les idées : « Ericson avait compris qu’il pouvait utiliser d’autres médiums, comme le cinéma et la musique, pour rendre l’équipe nationale plus glamour, plus populaire », confirme Ralf Edström.

Il n’y a alors pas grand-chose, justement, de plus prestigieux que d’apparaître dans un film de Bo Widerberg. Cinéaste à la fibre sociale prononcée, ce dernier ne se prive pas de critiquer le patriarche du cinéma suédois, Ingmar Bergman. Widerberg reproche notamment au réalisateur de Fanny et Alexandre et du Septième Sceau le prisme bourgeois de ses films, qui « ne concernent que les gens qui ne doivent pas travailler pour vivre ». « Par exemple, Bergman n’aurait jamais fait un film sur le football, jamais, confirme Blomkvist. Le foot est par excellence le sport de la classe ouvrière, et voir Widerberg le valoriser avec Fimpen n’est pas si surprenant. »

Un petit homme dans de grands stades

La machine est lancée, et le tournage peut débuter en 1972. Réalisateur déjà connu internationalement, Widerberg use avec habileté de son charme et de sa célébrité pour tourner là où les caméras se seraient refusées à beaucoup. « Il a même réussi à tourner en URSS, déroule Edström. Je ne sais pas comment il faisait pour toujours parvenir à ses fins. » S’il n’est théoriquement pas autorisé à filmer lors de certains matchs, le cinéaste ne se gêne pas pour braver les interdits. Au culot, il impose aussi parfois la présence de Johan Bergman sur le pré : « Lors des éliminatoires de la Coupe du monde à Vienne en juin 1972, un enfant de six ans a été autorisé à donner le coup d’envoi, hallucine encore Ronnie Hellström, le gardien suédois de l’époque. Nous avons ensuite tourné pendant cinq minutes, avec 45 000 spectateurs dans le stade. Nous avons également tourné dans un stade plein avant des matchs contre la Russie et la Suisse. » Puisque Tom Foot conte l’histoire d’un enfant dont le talent lui permet d’intégrer l’équipe nationale suédoise, Johan Bergman peut aussi faire quelques bouts d’entraînement avec ses idoles, dont certains n’hésitent pas à changer de liquette pour les besoins du scénario. « Widerberg utilisait des images de nos matchs et échauffements, mais certaines scènes avec Johan nécessitaient une autre approche. À un moment du film, Johan joue contre la Hongrie, et les Hongrois sont interprétés par certains joueurs de l’équipe suédoise, qui avaient revêtu le maillot magyar », précise Edström.

Le prix de la gloire

Toutes les images ne peuvent cependant pas être captées dans des stades pleins et en présence des joueurs des Blågult. « Pour certaines scènes, on a demandé aux équipes bis des clubs de Segeltorp et Brommapokjarna de tourner avec Johan dans des enceintes vides », se souvient l’acteur Jonas Bergström, homme à tout faire de Widerberg sur le film. On filmait le terrain en plongée, pour entretenir l’illusion. » Le talent de Johan Bergman, lui, n’est pas factice, quitte à impressionner certains joueurs bleu et jaune. « Je me souviens qu’il avait une excellente technique, confirme Edström. Je le voyais bien faire une carrière professionnelle. Je sais qu’il a continué à jouer au foot, mais il n’a jamais pu jouer en 1re ou 2e division… Je pense que mentalement, il n’était pas assez fort, notamment à cause du film, qui a eu un certain succès. Ça n’a pas dû être facile de vivre avec ça. » C’est précisément cette célébrité que fuit le petit héros de l’œuvre, en choisissant en fin de film de retourner potasser ses tables de multiplication, plutôt que de continuer à émerveiller les fans de foot suédois. Une fin douce-amère qui a plu au réalisateur français Alain Guiraudie : « C’est une tentative intéressante de re-fictionnaliser le foot. Ce qui est bien avec Tom Foot, c’est que ça se termine de manière assez dramatique, le môme se fait bouffer par tout ça et décide de revenir à son ancienne vie. »

Un conte de foot

De quoi injecter un peu de raison dans une œuvre volontiers fantaisiste, aussi bien narrativement que visuellement. « Widerberg a conçu Tom Foot pour les enfants, comme un conte de fées, reprend Blomkvist. En filmant Johan dans ces stades immenses, face à ces joueurs qui font deux fois sa taille, il crée un puissant contraste entre le gamin et l’immensité des environnements dans lesquels il évolue. Ça renforce l’irréalisme de la situation et c’est aussi assez comique à observer. »

 

© Malavida

La démarche est louable, mais à la sortie de l’œuvre en février 1974, la critique est divisée. Commercialement, le film sera aussi un échec à ses débuts. La faute notamment, à l’utilisation d’un procédé de son en stéréo sur le tournage du film. Une technique encore balbutiante à l’époque, dont le coût a forcé les distributeurs à augmenter les prix des billets. Qu’importe, Tom Foot trouvera une seconde jeunesse en salles dans les années à venir, alors que le concept du film fait fantasmer des millions de petits Suédois. Aujourd’hui encore, le long métrage est régulièrement rediffusé sur les chaines de la SVT, la télévision publique du pays. « J’ai tendance à penser que les films pour enfants, comme les Disney adaptés de contes de fées, vieillissent mieux que beaucoup d’autres œuvres, analyse Blomkvist. Le parti pris n’est pas réaliste et c’est aussi une force, ça rend leur propos assez intemporel. » Ralf Edström, qui a montré le film à ses enfants et petits-enfants, ne dira certainement pas le contraire. L’histoire ne dit en revanche pas si Bo Widerberg, disparu le 1er mai 1997 à seulement 66 ans, aurait voulu réaliser un autre film sur le ballon rond. Ses admirateurs peuvent rester sûrs d’une chose : à la fin de tournage de Tom Foot, le cinéaste a probablement célébré l’évènement en enfilant quelques lucarnes sur un terrain de football, juste après avoir remballé les projos.

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Par Adrien Candau

Propos de Mårten Blomkvist recueillis par AC, ceux de Ralf Edström recueillis par Mårten Blomkvist, ceux d'Alain Guiraudie par Brieux Férot et citations de Ronnie Hellström et Jonas Bergström issues du documentaire En liten film om Fimpen.

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