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Il était une fois dans l’est marocain

Par Benjamin Laguerre
8 minutes
Il était une fois dans l’est marocain

Un mois après les tragiques événements dans le stade Mohammed V à Casablanca, deux morts et plus de cinquante blessés dans des affrontements entre supporters du Raja, on a voulu prendre le pouls du football marocain. Plongée dans une semaine de foot dans l'est marocain, avant et pendant le derby de l'oriental : Oujda vs Berkane.

Arrivée à Oujda, ville frontalière avec l’Algérie, un taxi Mercedes blanc, modèle 240D, nous replonge plus de trente ans en arrière. Quatre sur la banquette arrière, deux sur le siège avant passager. Direction le pays des clémentines et des oranges. Dans une semaine c’est le derby. Samedi 16 avril. Berkane. Un chaud soleil printanier accompagne la foule orange des supporters qui se rendent au stade pour le match entre la RSB (Rennaissance Sportive de Berkane) et le KACM (Kawkab Athlétique Club de Marrakech). L’équipe locale est entraînée par Bertrand Marchand, premier français à avoir remporté une Ligue des champions (celle de la CAF) en 2007 avec l’Etoile du Sahel (Tunisie). L’ancien coach guingampais, époque Didier Drogba, habitué des bancs de touche au Maghreb et au Moyen-Orient depuis plus de dix ans, est venu apporter son savoir-faire et son expérience dans un club revenu en Botola pro, la première division marocaine, en 2012, et finaliste de la coupe du Trône en 2014. Le club grandit donc peu à peu, « c’est un peu le Guingamp marocain » , dixit le coach breton. C’est aussi l’équipe du nouveau président de la Fédération Royale Marocaine de Football (FRMF), Faouzi Lakjaâ, ce qui aide pour avoir des moyens financiers et jouer le haut du tableau cette saison avec un effectif de qualité dans lequel on retrouve les Français Nabil Berkak (passé par Troyes) et Roy Contout, ou encore l’ancien buteur du TP Mazembe, le malien Cheibane Traoré. En face, le Kawkab Athlétique Club de Marrakech est en grande difficulté en championnat cette année, en partie sans doute à cause des matchs de coupe de la CAF, dans lesquels l’équipe laisse beaucoup d’énergie.

Le 99 de Contout et les « Orange Boys »

À une heure du coup d’envoi, autour du stade la sécurité est omniprésente : Police, Forces auxiliaires, Sécurité Nationale. Mais l’ambiance est bon enfant, si bien qu’entre les plus jeunes (dix-douze ans, ndlr), qui cherchent à rentrer sans billet, et les forces de l’ordre, c’est un peu le jeu du chat et de la souris, sans aucune animosité. Dans un stade d’une capacité de 10000 places, presque flambant neuf (inauguré en 2014), qui, pour une fois, ne fait pas le plein, les « Orange Boys » mettent l’ambiance avec tambours et chants bien rodés pour animer le virage. Alors que dans ce stade à ciel ouvert l’acoustique est inexistante, on se croirait pourtant à la bombonera : ça chante, ça saute, ça danse. En attendant le début du match les ramasseurs de balle jonglent, se défient et s’amusent à faire des « tours du monde » .

16h. Début du match et sur le terrain synthétique on est attiré par les numéros peu habituels comme le 38, le 77, ou encore le 99 de Roy Contout, positionné en ailier gauche pour alimenter le surpuissant numéro 9, Cheibane Traoré. Malgré le manque d’occasions franches, l’ambiance ne faiblit pas, et les « Orange Boys » dévoilent toute leur panoplie de chants et de chorégraphies jusqu’au premier but de Traoré à la 37e. En deuxième mi-temps, la RSB gère tranquillement son petit but d’avance devant une tribune d’honneur où se promènent beaucoup de maillots orange, des familles, quelques femmes et beaucoup d’enfants. Dans les dernières minutes, ça chambre dans les tribunes et quelques jets de bouteilles en plastique sur le latéral droit du Kawkab viennent animer une fin de match très tranquille. Dans les arrêts de jeu, le chouchou du public, le numéro 10 Abdelmoula Barrebeh, « l’enfant terrible du club » selon son coach, qui l’avait laissé sur le banc jusqu’à dix minutes de la fin, vient faire le break (2-0).

Après le match l’excellent numéro six, Larbi Naji, saute le grillage et va faire chanter le virage pour célébrer une nouvelle victoire qui place son équipe dans le quinté de tête du championnat, avec un match de retard. Belle communion entre les joueurs et les supporters orange. Dès la fin du match les journalistes se projettent sur le derby du week-end suivant contre le Mouloudia Club d’Oujda, ce qui fait dire à Bertrand Marchand : « On n’a même pas le temps de savourer cette victoire. Avec vous (les journalistes), on est déjà dans le prochain match alors qu’on est même pas sortis du stade ! »

Des maillots à 7 euros au Mondial de futsal

Lundi. Oujda. Le derby occupe les esprits dès le début de la semaine, et l’entraîneur du MCO, l’algérien Azzedine Aït-Djoudi décrypte les enjeux de ce match : « Ce derby doit être une fête pour le football marocain. Le football est un spectacle avant tout. On vient au stade pour se divertir, encourager son équipe et pas pour autre chose. Il y a malheureusement des pseudos supporters, des gens violents, qui utilisent le football à d’autres fins ou pour exprimer autre chose. Par rapport à ces gens-là, il est normal que l’état assume son rôle répressif. » Mercredi. Saïdia. Petite parenthèse sur la côte méditerranéenne, mais pas pour se détendre. Direction la station balnéaire de Saïdia, où le ministère de la jeunesse et des sports organise une conférence sur la prévention de la violence sur les terrains de football. De nombreuses équipes de jeunes de la région sont présentes pour être sensibilisées à ce problème. La RSB signera une convention avec le ministère pour devenir un « club référent » . Les jeunes présents dans la salle écouteront trois volets : l’aspect socio-éducatif, l’aspect religieux et l’aspect judiciaire.

Jeudi. J-2 avant le « derby de l’est » entre les deux villes, Berkane et Oujda, distantes d’une soixantaine de kilomètres. Ahfir, charmante petite bourgade située entre les deux villes, Ali, dans son échoppe de maillots de foot à 75 dirhams (7 euros), propose les maillots des deux clubs, celui blanc et vert du MCO et la tenue orange de la RSB. Sur le trottoir les pronostics sur le derby vont bon train, mais pour le vendeur c’est plutôt simple : « Nous, ici, on est au milieu, donc ni pour l’un, ni pour l’autre. Alors on va dire 1-1, égalité = tranquillité » .

Vendredi. Veille du match sur Radio Mars, RMC version marocaine. On discute fièrement la qualification de la sélection nationale de futsal pour la finale de la CAN contre l’Égypte (victoire marocaine 3-2 le dimanche), et donc de la qualification pour la Coupe du monde en septembre 2016 en Colombie. On évoque les bons résultats des clubs marocains en Coupes d’Afrique (trois sur trois), avec notamment la victoire en Ligue des champions du Wydad de Casablanca face au favori de l’épreuve, le Tout Puissant Mazembe, champion en titre. Mais on parle énormément du derby de l’est marocain du lendemain. À l’antenne, les deux présidents jouent la carte de l’apaisement avec des discours très mesurés et en appellent à la responsabilité de chacun. Vu que dans un premier temps la Fédération avait pensé jouer ce match à huis clos, on insiste sur les efforts d’organisation et de préparation autour de ce match. Dans la bouche des animateurs, et des intervenants des deux clubs, c’est le mot fair-play qui revient le plus souvent. Et on explique aussi que ce derby doit devenir une référence pour tout le royaume. On sent que l’enjeu ne sera pas que sportif.

Egalité = tranquillité

Samedi. Jour J. Sur la route entre les deux villes, la police est présente à chaque rond-point et les « visiteurs » de Berkane sont étroitement surveillés. Sachant qu’au match aller les supporters du MCO avaient été molestés par leurs voisins orange, le contingent de supporters visiteurs a été limité à 500. Finalement ils ne seront qu’une grosse centaine, sans signes distinctifs ni tambours. Au vu de ce que l’on a pu voir et entendre la semaine précédente au stade municipal de Berkane, c’est dommageable pour l’ambiance. Moins de deux heures avant le coup d’envoi, les joueurs des deux équipes arrivent en minibus banalisés en évitant les axes principaux de la ville. Autour du stade la police occupe l’espace et rien ne semble laissé au hasard. On ne peut faire autrement que de se sentir en sécurité. Une heure avant le coup d’envoi le stade commence à bien se remplir, les chants résonnent et font monter l’ambiance. Les responsables des ultras du MCO, la brigade Wajda 2007, et quelques policiers discutent tranquillement de l’organisation à l’ombre de la tribune. Il faut dire que le stade a une seule tribune honneur couverte et que les trois quarts du stade constitue une seule et même tribune, d’un virage à l’autre et sans séparation ni grille ! Pas très pratique pour encadrer les supporters des deux équipes dans un derby. À 10 minutes du coup d’envoi les supporters de la RSB, exilés à l’extrême gauche de la tribune, veulent accrocher une écharpe sur le grillage devant eux. Intervention de deux-trois policiers, qui a le mérite de les réveiller, de les faire descendre comme un seul homme et surtout de les faire chanter en signe de contestation. Le derby est lancé.

Sur le terrain beaucoup d’engagement, ça bataille beaucoup au milieu et peu à peu le MCO met la pression sur le portier adverse, mais sans être réellement dangereux. Dans les tribunes ça chante beaucoup, ça chambre gentiment et le match suit son cours. Bertrand Marchand vit le match tranquillement, alors que son homologue Azzedine Aït-Djoudi, se donne corps et âme pour essayer de conduire ses joueurs vers la victoire. Mais finalement on aura droit à un petit 0-0 des familles, comme souvent dans un derby, l’enjeu l’a emporté sur le jeu. Les supporters du MCO quittent le stade en se dirigeant vers la tribune visiteur pour chambrer leurs homologues de la RSB. Le cordon policier va vite les dissuader d’aller plus loin. À l’intérieur comme à l’extérieur, ce match aura été géré au mieux pour montrer un visage plus rassurant du football marocain. Pari réussi. Tous les acteurs de ce derby de l’est repartent chez eux tranquillement, et on repense alors au pronostic de Ali : « égalité = tranquillité » .

Les notes de Sainté-Marseille

Par Benjamin Laguerre

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