- Cameroun
- Mort de Patrick Ekeng-Ekeng
« Il était indestructible… »
Foudroyé par une crise cardiaque sur un terrain roumain le 6 mai dernier, Patrick Ekeng-Ekeng laisse derrière lui une femme, deux enfants et un monde du football endeuillé. Mais surtout le souvenir d’un homme introverti et déterminé, qui aura toujours cru en lui malgré les épreuves et les difficultés.
Soudain, Patrick Ekeng-Ekeng s’est étendu dans l’herbe. Sans prévenir. Abattu par la fatalité. Autour de lui, les joueurs du Dinamo Bucarest se sont pris la tête à deux mains, les médecins se sont pressés à son chevet dans une panique palpable. Peut-être parce que, depuis la mort de son compatriote Marc-Vivien Foé, chacun se doutait déjà du drame en train de se nouer sous les yeux de témoins abattus. « J’ai revu la vidéo, il y a les mêmes gestes, les mêmes yeux révulsés, c’est effrayant » , témoignait avant-hier Georges Mandjeck, son coéquipier en sélection, dans les colonnes de L’Équipe. « Je suis allé le voir immédiatement, sans attendre l’autorisation de l’arbitre et j’ai commencé par contrôler les voies respiratoires supérieures afin de les libérer » , a expliqué Liviu Bătineanu, le médecin du club, désolé face à la presse. Placé en position latérale de sécurité, Patrick a longtemps attendu l’ambulance censée lui sauver la vie, sept minutes après son entrée en jeu. Malgré plus d’une heure et demie de réanimation à l’hôpital, il a finalement rendu son dernier souffle en jouant au football. Comme un artiste sur la scène. Comme tant d’autres avant lui.
Destin brisé et poisson braisé
« C’est comme si on était maudit » , a d’ailleurs insisté Bătineanu, perplexe face à la loi des séries, puisqu’un autre joueur du club, Cătălin Hîldan, avait trouvé la mort dans des circonstances similaires en 2000. Plus récemment, on se souvient des cas de Gregory Mertens en 2015, et Piermario Morosini, en 2012. Lundi, une gardienne camerounaise anonyme, Christelle Djomnang, a connu le même sort. En moyenne, la mort subite foudroie chaque année deux athlètes professionnels âgés de 12 à 35 ans dans le monde. Une justice immanente qui n’a jamais semblé aussi inique, puisqu’elle frappe sans raison des sportifs élevés au rang d’icônes modernes, considérés comme étant au sommet de leurs possibilités physiques. « Je n’aurais jamais imaginé ça. Il était si jeune, si costaud, se désole à ce titre son ancien coéquipier en sélection Georges Mandjeck, qui fait écho à la série d’hommages appuyés rendus à Patrick Ekeng-Ekeng ces derniers jours. Imaginez les circonstances ! Mourir pendant un match de foot… ça me met le moral vraiment très bas. On se rend compte que la vie est fragile, et le destin très bizarre. »
Avant de trouver son épilogue à Bucarest, celui de Patrick s’est forgé dans les faubourgs poussiéreux de Yaoundé, la capitale du Cameroun. Haut comme trois pommes, « Ballon d’or » , comme le surnomment affectueusement ses amis du quartier Essos, impressionne très vite balle au pied. Au détour de quelques matchs endiablés dans les rues, son talent est finalement repéré par Joseph Atangana, l’entraîneur du Canon de Yaoundé, le club le plus titré du pays. Patrick y passe professionnel en 2008, alors qu’il est encore élève au lycée. Le début d’une carrière prometteuse, qui le verra notamment gagner le titre de meilleur joueur du championnat et revêtir la tunique des Lions indomptables. « Mon premier souvenir avec Patrick ?, s’interroge Germain Noël Effengue, un journaliste camerounais qui a suivi la progression du jeune espoir pendant de longues années. C’était quand il jouait la CAN junior au Rwanda. Les joueurs n’avaient pas le droit de sortir en ville, même pour se balader. Mais l’entraîneur leur a dit : « Si vous gagnez contre le Mali, je vous offre une virée de deux heures de temps. »J’ai renchéri en lui disant, en aparté : « Si tu marques, je t’offre un poisson braisé ! »Bien sûr, Patrick a marqué. Depuis, à chaque fois qu’on se rencontrait, il me disait : « Tu me dois un poisson, toi ! »C’était marrant. »
Avec la sélection, Patrick arrive en finale contre le Ghana. Ses bonnes performances ne tardent pas à éveiller l’appétit des recruteurs européens. En 2009, il signe donc au Mans, en Ligue 2 française. Dans la Sarthe, tout le monde se souvient d’un jeune homme riche en talent, qui a monté les marches petit à petit, de la réserve au groupe pro. « C’était un joueur très tonique, très vif. Quand il est arrivé, les entraîneurs parlaient beaucoup de lui, et tout le temps en bien. J’adorais sa qualité de dribble, et sa vitesse sur le terrain. Il avait une capacité phénoménale à enchaîner le dribble et l’accélération » , se rappelle Sébastien Corchia, ému, au téléphone. « Il avait du volume, de l’impact, il était à l’aise techniquement. Il était puissant aussi, il cassait les lignes » , énumère l’entraîneur Denis Zanko, qui a poli le jeune espoir dans la réserve mancelle pendant plus de deux saisons, le temps qu’il s’adapte aux subtilités du football européen. « Ce n’est jamais simple d’arriver comme ça dans un club français. Il avait encore besoin de temps de jeu et de parfaire sa formation, c’est pour ça qu’il n’a pas joué tout de suite avec les pros. Rien d’exceptionnel. Mais chez lui, il y avait une forme d’incompréhension. On a eu quelques discussions nourries. C’était quelqu’un d’impatient, qui avait très envie de réussir et de prouver son niveau. »
« Les plus grands clubs suisses me voulaient »
Lassé de squatter le banc, Patrick Ekeng-Ekeng s’en va peaufiner ses gammes à Rodez, en national. « Il avait du potentiel, mais c’était difficile de le faire jouer en Ligue 1, les résultats n’étaient pas bons et les conditions pas réunies à l’époque pour lancer de jeunes joueurs » , témoigne Arnaud Cormier, l’ancien entraîneur du Mans. « Cette année en national a été un tournant pour lui, car elle lui a permis de s’aguerrir à un niveau supérieur à celui de la CFA. » De retour de prêt, la carrière du jeune milieu relayeur va enfin décoller. « Il a profité du fait qu’on ne remonte pas en première division. On a alors décidé de lancer des jeunes pour repartir sur un nouveau cycle » , reprend le technicien, qui se souvient d’un jeune homme aussi discret dans la vie qu’extraverti sur le terrain. « J’ai commencé à le faire jouer, il avait un potentiel intéressant. Quand il est arrivé au Mans, il nous a été présenté comme attaquant, mais on l’a progressivement fait reculer au milieu de terrain, où ses qualités s’exprimaient mieux. » Ces deux nouvelles saisons mancelles seront marquées par des apparitions régulières. Patrick Ekeng-Ekeng s’impose comme titulaire en Ligue 2, mais ne peut empêcher la relégation du MUC en 2013, au terme d’un exercice délicat. « Derrière, j’ai dû partir en raison des problèmes financiers du club » , expliquait le joueur face à la presse espagnole. C’est le premier vrai coup dur d’une carrière en dents de scie, marquée par de nombreux transferts de courte durée.
Our cameroon football family has lost a brother. I cannot believe this. Condolences to his family. RIP Patrick Ekeng pic.twitter.com/lFRRrs4uhR
— Stephane M’Bia (@StephaneM’Bia) 6 mai 2016
« La porte s’est fermée pour lui quand il était au Mans » , témoigne Claude Ze Minsa, un agent réputé plutôt proche du joueur, même s’il n’a jamais officiellement géré ses intérêts : « Il était presque en faillite à ce moment-là, mais il a su rebondir. Pour lui, Lausanne a été un bon tremplin. » En Suisse, Patrick dispute près de 28 matchs, et inscrit deux buts en championnat. « Après ma saison à Lausanne, les plus grands clubs suisses me voulaient, mais j’ai préféré venir à Cordoue pour évoluer dans la Liga » , expliquait-il à la presse espagnole, la veille d’un match contre l’Atlético. Alors en pleine période ascendante, le joueur ne cache pas vouloir « aller le plus haut possible, avec détermination et humilité » . En janvier 2015, ses espoirs se concrétisent. Ekeng-Ekeng obtient sa première sélection chez les Lions indomptables, lors d’un match amical contre la République démocratique du Congo. Le rêve ultime. Le joueur sera même sélectionné dans la foulée pour la Coupe d’Afrique des nations. Il ne jouera pas une minute de la compétition, mais sa place dans le groupe est consolidée. « Il était très populaire auprès du public camerounais, sa carrière était en train de décoller » , rappelle Germain Noël Effengue, bientôt complété par Claude Ze Minsa : « Le Cameroun était en train de renouveler tout son effectif et le sélectionneur Volker Finke comptait sur lui à l’avenir. »
« Il n’a jamais douté »
Au firmament de sa carrière, le joueur savoure. Sans excès. « C’était un bon garçon calme, sans histoire, unanimement apprécié, même s’il ne parlait pas beaucoup. Ce n’était pas le genre à apparaître dans la rubrique des faits divers » , rappelle l’agent, qui l’a perdu de vue après son départ en Espagne. Malheureusement, la situation ne tarde pas à s’envenimer. Après quatorze matchs moyens, son contrat n’est pas reconduit avec le club andalou. Le Ballon d’or tant fantasmé s’éloigne. Le chômage s’ouvre. « Je l’ai revu au mois de septembre dernier, quand il a résilié son contrat à Córdoba. Il s’est retrouvé sans club et m’a demandé si je pouvais l’aider » , reprend Arnaud Cormier, aujourd’hui adjoint de Frédéric Hantz à Montpellier. Du coup, le joueur s’entraîne dans le 7-2 jusqu’au mois de décembre. « Mais il n’a jamais douté. Il était convaincu de retrouver un projet. Il avait une grande force en lui, il était sûr de ses qualités. C’était quelqu’un d’indestructible. Les épreuves qu’il a connues n’ont jamais ébranlé l’image qu’il avait de lui footballeur. » Cette force de caractère, cette furieuse envie de briller, tous ceux qui ont connu le joueur la mettent en avant, avec admiration. « Il avait une volonté farouche de réussir » , reprend Denis Zanko, qui a appris la triste nouvelle dans le bus qui le reconduisait à Laval, après un match nul à Nîmes décisif pour le maintien. « Plus jeune, il pensait qu’il pouvait faire aussi bien que ceux qui avaient 200 matchs dans les jambes en Ligue 1. Il avait une très forte personnalité, c’était quelqu’un de très travailleur et de très ambitieux. »
Serrant les dents face à l’adversité, bossant d’arrache-pied pendant l’hiver, le joueur ne tergiverse pas malgré les difficultés. Et va finir par se relever, comme toujours. En janvier, le Dinamo Bucarest, 18 fois champion de Roumanie, frappe à la porte. Le début d’une nouvelle vie. « Il était soulagé. Il m’a envoyé un message suite à ces quelques mois passés au Mans, pour me dire : « Coach, merci du coup de main, j’ai trouvé un nouveau projet en Roumanie, on se revoit cet été ! » J’étais content pour lui » , raconte Arnaud Cormier, avant de raccrocher d’une voix abattue. En Roumanie, où il avait émigré avec sa famille, l’avenir du joueur s’annonçait radieux. Le milieu de 26 ans avait notamment égalisé dans le derby contre le Steaua Bucarest, rival historique, qualifiant son équipe pour la finale de la coupe nationale, et se mettant du même coup les supporters dans la poche. Cette frappe incroyable, concentré de talent brut, restera à jamais son dernier but en professionnel. C’était l’époque bénie où Patrick Ekeng-Ekeng jouait encore au football et vivait de sa passion. C’était avant que la fatalité ne l’allonge dans l’herbe. C’était vendredi dernier. Cette fois, malgré son courage, « l’indestructible » ne s’est pas relevé.
Par Christophe Gleizes