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« Il est temps de parler librement du passé »

Propos recueillis par Valentin Pauluzzi
6 minutes
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Historien chevronné, le Sicilien Enzo Barnabà travaille depuis près de 30 ans sur le massacre des Italiens d’Aigues-Mortes, en y consacrant notamment deux ouvrages. Longtemps resté aux oubliettes, ce triste événement s’est déroulé à l’été 1893, à quelques encablures de Montpellier, là où l’Équipe d’Italie a justement posé ses valises durant l’Euro.

Quelles relations entretenaient la France et l’Italie au moment des faits ?Difficiles, l’Italie faisait partie de la Triple Alliance avec l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, la France se sentait ainsi isolée et trahie. Trahie parce que l’opinion française était convaincue que l’Italie s’était faite grâce à Napoléon III et qu’elle se comportait donc de façon ingrate. Un climat exploité par les hyper nationalistes des deux côtés.

Ces incidents tragiques ont eu lieu dans les marais salants d’Aigues-Mortes où les conditions de travail étaient exténuantes.Nous sommes en août 1893, il y a beaucoup de mouvement, car la saison du sel est en plein développement. Pendant trois semaines, 1500 personnes extérieures à la ville débarquent, que ce soit du reste de la France, comme les paysans cévenols, mais aussi les Italiens venus principalement de Pise et de Cuneo. Eux sont des saisonniers, ils font leurs deux semaines de sel et, avec un peu de chance, ils peuvent enchaîner sur les vendanges. Les cadences sont difficiles, il y a la malaria, le sel qui se dépose sur la peau sans possibilité de se laver. Un chant de travailleurs cévenols raconte qu’il faut avoir tué ses parents pour venir bosser ici. Le travail à la tâche est mieux payé, mais il instaure une vraie concurrence entre les équipes et même en leur sein. La compagnie des salins ne connaît pas ses ouvriers, ce sont les caporaux qui sont chargés de recruter, ils embauchent aussi des trimards qui sont des sans-abris.

Une fausse rumeur est à l’origine de ce massacre.Le 16 août, un mercredi, pour des raisons totalement futiles, une bagarre explose entre Italiens et Français, des insultes, quelques coups, mais rien de bien grave. Sauf qu’une rumeur se répand dans la ville : on raconte que quatre Français ont été tués. C’est complètement faux, mais la presse ne démentira jamais cette information. La vengeance est organisée, les trimards payent le tambourinaire, qui faisait office d’annonceur public, afin de lancer une « chasse à l’ours » . Un convoi de 500 personnes armées se forme et tous les Italiens qui tombent sous leurs mains sont tabassés et massacrés. Les gendarmes étant dépassés, seule l’armée peut régler ce conflit, mais elle intervient trop tard. Après deux jours de folie collective, le bilan est de neuf morts et une centaine de blessés, dont plusieurs très graves.

La France et l’Italie ont eu le temps de se rapprocher et pour préserver la paix entre les sœurs latines, seul le maire d’Aigues-Mortes a payé, un véritable bouc émissaire.

Personne n’a été condamné au procès délocalisé à Angoulême, pourquoi ?L’attitude italienne a été très conciliante, quand le consul de Marseille demande à l’ambassadeur de trouver des avocats afin de défendre les intérêts de ses ressortissants, ce dernier lui répond : « Ne dérangeons pas les Français, ils feront leur justice eux-mêmes. » En fait, les deux pays ont eu le temps de se rapprocher et, pour préserver la paix entre les sœurs latines, seul le maire d’Aigues-Mortes a payé, un véritable bouc émissaire.

Cet événement a eu besoin de vos travaux pour être reconnu. On peut parler de négationnisme pendant un siècle ?Il y a d’abord une très mauvaise information aussi bien en Italie qu’en France. Mais dans mon pays, lorsqu’on étudie la tension de fin du XIXe siècle entre les deux États, on cite la situation de la Tunisie, mais aussi le massacre d’Aigues-Mortes. On a toujours plus ou moins su, mais il a fallu le travail des historiens pour en connaître les détails.

D’ailleurs, vous ne vous contentez pas de retracer les faits. Vous cherchez à ce qu’ils soient dûment commémorés.Tout à fait, je travaille dans cette optique avec mon collègue Gerard Noriel. Par exemple, nous venons d’organiser une rencontre de réconciliation de la mémoire franco-italienne, le maire d’Aigues-Mortes, ainsi que ceux des communes d’où étaient originaires les victimes étaient présents. Je me bats pour qu’une plaque commémorative soit fixée sur la place principale d’Aigues-Mortes, là où ont eu lieu les épisodes les plus révoltants. On connaît le nom de 9 des victimes, il s’agirait de les rappeler, ainsi que ceux que j’appelle les « justes » , soit de courageux Aigues-Mortais qui ont fait en sorte que le bilan ne soit pas plus lourd. J’aimerais aussi que la même chose soit réalisée dans les villages des victimes. L’Italie est désormais une terre d’immigration et il serait utile de se souvenir qu’elle a longtemps été un pays d’émigration.

Effectivement, l’autorité d’une équipe de football serait une excellente chose pour le devoir de mémoire.

Les Aigues-Mortais ne tiennent pas non plus forcément à ce qu’on en parle, non ?Alors, beaucoup de choses ont changé. Ici, on a toujours su ce qu’il s’était passé, mais on en parlait à demi-mot. Les enfants savaient plus ou moins de quoi il s’agissait lorsque leurs parents y faisaient référence, même si un maire d’Aigues-Mortes m’a dit un jour : « C’est grâce à votre livre que j’ai découvert ce qui s’est déroulé dans la commune que je dirige. » Il y a eu deux théories négationnistes qui ont perduré. La première soutenait que les Italiens avaient poussé trop loin leurs prétentions, ce qui est totalement faux. Ce sont juste des victimes innocentes de la folie xénophobe. La seconde, encore plus farfelue, c’est qu’Aigues-Mortes fut victime de ce théâtre d’Italiens se battant entre eux.

Il y a quatre ans, les joueurs italiens s’étaient rendus à Auschwitz durant l’Euro polonais. Puisque leur QG est à Montpellier, pourquoi n’irait-il pas également rendre hommage à leurs compatriotes ?Je suis tout à fait partant, ce serait une très belle idée, se rendre au cimetière d’Aigues-Mortes, même si la fosse commune où ont été enterrées les victimes n’existe plus. Ou bien en parler avec le maire, le solliciter pour que le devoir de mémoire soit fait. D’ailleurs, je pense que Pierre Mauméjean serait d’accord. Et puis dans un contexte où il n’y a plus de tension franco-italienne, on peut parler librement du passé. Il m’arrive d’emmener des Italiens sur les lieux du drame, notamment des descendants des victimes, des gens qui provenaient de leur village, mais effectivement, l’autorité d’une équipe de football serait une excellente chose.

Puisque vous connaissez bien l’histoire de l’immigration italienne en France, comprenez-vous le fait que bon nombre des 3,5 millions de « Ritals » supportent l’équipe d’Italie ?
J’avoue avoir quelques difficultés à concevoir cela. Si j’étais à leur place, je supporterais la France, la sélection de mon pays, et l’Italie pour ne pas me couper de mes racines contrairement à ce qui s’est souvent passé. En bref, je les mettrais au même niveau.

Là est tout le paradoxe, puisqu’on a l’impression que les Italiens d’Italie ont en revanche beaucoup de mal à faire corps derrière leur sélection.Je crains que la fierté d’être italien ne soit plus à l’ordre du jour. La crise d’identité de ce pays est profonde.

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Propos recueillis par Valentin Pauluzzi

À lire : Morts aux Italiens, d’Enzo Barnabà, Editalie Editions

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