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Idir et Zidane, la Françalgérie
Le grand chanteur algérien d’expression kabyle Idir s’est éteint samedi 2 mai à 70 ans à Paris. La proximité d’estime qui le liait à Zinédine Zidane, autre grand fils de Kabylie, a contribué à travers leur talent à rapprocher les peuples de France et d’Algérie.
A Vava Inouva
1975 fut une grande année pour l’Algérie. Treize ans après son indépendance, le pays phare des luttes anticolonialistes avec le Vietnam est un des membres actifs de l’OPEP qui impose au monde la nouvelle donne sur le marché du pétrole. Figurant en bonne place au sein des pays non alignés qui récusent la tutelle américaine ou soviétique, l’Algérie est un partenaire recherché sur le plan diplomatique. En 1975, le réalisateur algérien Mohammed Lakhdar-Hamina reçoit la Palme d’or à Cannes pour son film Chronique des années de braise. Organisatrice des Jeux méditerranéens à l’été 1975, l’Algérie fait sensation en remportant le tournoi de football. En finale, elle bat à Alger la France B dans un match palpitant (3-2) qui scelle un début de réconciliation entre les deux pays. Le sélectionneur algérien est une vieille connaissance du foot français, Rachid Mekhloufi, ex-idole des Verts et de Geoffroy-Guichard des années 1950 et 1960. En 1975 également, malgré un championnat moyen, un club de foot devient le vecteur des revendications identitaires berbères, la JSK (Jeunesse sportive de Kabylie), depuis le double titre de champion du pays en 1973 et 1974. Et puis surtout, au milieu de cette décennie 1970, une chanson qui résonne dans toute l’Algérie parvient en France et s’étend bientôt au monde. Le titre ? « A Vava Inouva ».
Cet air de poésie chantée est interprété par Idir, un jeune Kabyle de 26 ans qui se prédestinait au métier de géologue. C’est une ballade poignante coécrite avec Mohamed Benhamadouche et chantée avec douceur. Elle raconte une veillée familiale autour du père (vava, en kabyle) dans les hautes montagnes du Djurdjura. De son vrai nom Hamid Cheriet, Idir va vite devenir le chef de file de la nouvelle chanson berbérophone, entraînant dans son sillage Lounis Aït Menguellet, Djamel Allam, le groupe féminin Djurdjura et plus tard Lounès Matoub. Idir puise son inspiration dans la musique folklorique berbère et chante en tamazight, la langue du peuple kabyle. Pour son premier album au titre éponyme (A Vava Inouva) enregistré en France et sorti en 1976, le chantre aux lunettes d’éternel étudiant met un point d’honneur à concilier les sonorités traditionnelles et les arrangements modernes, pop, occidentaux. Se rapprochant de Paul Simon aux États-Unis ou de Maxime Le Forestier en France (le timbre doux de la voix, les jolies mélodies, la guitare acoustique, la folk électrifiée), Idir devient après des passages à la radio française, puis avec les nombreuses reprises en plusieurs langues d’ »A Vava Inouva » un des artistes précurseurs de la world music. Installé en France (dans le Val-d’Oise), où il se produira souvent, il mènera la double vie de musicien et de militant pacifique de la cause berbère d’Algérie (et du Maroc, à l’occasion). Sa musique devient le trait d’union de la diaspora kabyle éparpillée un peu partout dans le monde (France, Angleterre, Canada, surtout). Ses chansons accompagnent les fêtes traditionnelles, les mariages et parfois même les succès de la JSK (vainqueur de la C1 africaine en 1981), avec des titres plus rythmés comme « Zwit Rwit ».
Idir et Zinédine
Comme aux États-Unis où la communauté italienne affiche ses stars dans ses commerces et ses restos (Sinatra, Stallone, DiMaggio, Al Pacino, Jake LaMotta ou Dean Martin), les cafés « rebeus » en France, généralement tenus par des patrons kabyles, garnissent leur Wall of Fame de photos d’Idir, Slimane Azem, Aït Menguellet, Djurdjura ou de la JSK. Et puis le portrait de Zinédine Zidane, « LE » prodige du peuple kabyle, rejoindra bientôt tout ce beau monde vers la fin des années 1990 sur ces mêmes murs. En 2002, Michel Drucker aura la bonne idée d’inviter Idir (accompagné à la guitare par Jean-Jacques Goldman) et Zinédine à l’occasion de la promotion de l’Association ELA dont Zidane est le parrain prestigieux. « J’ai beaucoup de respect pour ce monsieur. Mon papa l’admire énormément. À chaque fois que je le vois, c’est toujours un plaisir », avait confié, ému, le champion du monde 1998. Le chanteur, qui gardait l’œil sur le monde du ballon rond, avait confié son admiration pour le boss des Bleus : « Moi, je le connaissais déjà à l’époque où il était à Cannes. » Cette rencontre au sommet trouve d’ailleurs son équivalent dans la communauté arménienne de France où les footballeurs Djorkaeff père et fils (Jean et Youri) ont parfois côtoyé le grand Charles Aznavour.
Vivant en France, les deux personnalités kabyles prestigieuses que sont Idir et Zidane sont associées à juste titre au rapprochement réconciliateur entre les peuples français et algériens. Devenu à la fois figure tutélaire de la musique kabyle avec une dizaine d’albums au compteur et un peu « tonton du bled » de la jeune chanson française, Idir signe en 2007, année électorale présidentielle, l’album La France des couleurs où il invite de nombreux artistes comme Akhenaton, Grand Corps Malade ou Oxmo Puccino. Il enregistrera même un duo avec Manu Chao. Dévoué pacifiquement à la cause kabyle et ému par les récents mouvements de grandes manifestations en Algérie, son ouverture d’esprit l’avait conduit à partager la scène en 1995 avec le chanteur de raï Khaled pour un concert fédérateur des communautés berbérophones et arabophones.
Malade depuis quelques mois, Idir avait reçu chez lui la visite en novembre 2019 du président de la JSK, Chérif Mellal, et de quelques amis du club de Tizi Ouzou, venus le soutenir dans cette épreuve. À cette occasion, le chanteur avait reçu un maillot jaune et vert du club floqué à son nom, Idir. Et puis le poète-chanteur s’est éteint le 2 mai 2020 à l’hôpital Bichat, à Paris, des suites d’une fibrose pulmonaire dont il souffrait depuis plusieurs mois. Les hommages innombrables du monde politique, artistique ou sportif ont afflué de partout. Mais l’hommage le plus émouvant lui a été adressé par Zinédine Zidane sur Instagram : « Triste nouvelle aujourd’hui. Nous venons d’apprendre la disparition d’un homme que nous aimons profondément. Un homme courageux et un exemple ! Tu as marqué mon enfance en famille. Je n’oublierai jamais notre rencontre. Repose en paix. » Plusieurs joueurs algériens comme Riyad Mahrez, Ramy Bensebaini ou Youcef Atal ont également rendu hommage à l’artiste via les réseaux sociaux. Tous ces héros de la CAN 2019 qui lui ont à coup sûr offert un de ses derniers grands plaisirs foot en triomphant en Égypte.
Par Chérif Ghemmour