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IdF : C’est quoi cette histoire de déradicalisation dans le foot ?

Par Nicolas Kssis-Martov
7 minutes
IdF : C’est quoi cette histoire de déradicalisation dans le foot ?

Vous l'avez peut-être zappé, Valérie Pécresse, nouvelle patronne de la région Île-de-France, a un grand projet pour le foot, et le sport en général : lutter contre la radicalisation religieuse qui y sévirait. Pas de demi-mesure, c'est bien l'islamisme qui est visé, et il s'agit de conjurer les périls qui s'accumulent sur les stabilisés de banlieue contre les valeurs de la République. Concrètement, de quoi parle-t-on exactement ? Car une fois ciblé le risque, balancé du lourd dans les médias, comment s'y prendre en respectant la loi, la Constitution et surtout la réalité du mouvement sportif associatif ? Analyse.

Le sport et le foot n’échappent pas à l’air du temps. Le conseil régional d’Île-de-France, qui a basculé à droite lors des dernières élections régionales, vient d’en donner une illustration qui annonce d’une certaine façon la campagne présidentielle. Il vient de décider la mise en place, très avancée, d’un dispositif pour combattre la radicalisation dans le sport afin d’y « défendre les valeurs de la République et/ou de la laïcité » . La déclaration d’intention balançait ainsi en rafale du chiffre de djihadistes et des propos alarmistes : « La quatrième menace, la plus grave, est l’entreprise méthodique d’endoctrinement religieux de jeunes esprits, conduite par des mouvements islamistes radicaux dont l’objectif est l’enrôlement et le départ pour le djihad d’une part et la déstabilisation des sociétés occidentales par le terrorisme d’autre part. »

Valérie Pécresse va donc placer le mouvement sportif devant ses responsabilités, après avoir émis sa volonté de pister les jeunes fumeurs de joints jusque dans leur salle de classe. Sauf que les mesures concrètes se révèlent finalement beaucoup plus modestes. Les maîtres d’œuvre du « plan » au sein de l’exécutif régional prennent bien soin de rester dans le strict périmètre de leur prérogative de collectivité locale. Comme toujours avec ce type de mesures, le meilleur est dans la bande-annonce.

Le foot et le barbu

Le sujet n’est pas récent. Déjà, en octobre 2015, un rapport du Service central du renseignement territorial (SCRT) pointait du doigt un péril particulier dans les clubs de foot amateur. Dans un contexte national extrêmement sensible, Thierry Braillard avait immédiatement réagi : « Nous sommes inquiets, mais nous ne sommes pas les bras ballants et nous essayons d’apporter une réponse répressive mais aussi préventive. » Ce document compilait alors des « dérives » , notamment en banlieue parisienne : des « tapis de prière pour prier lors de la mi-temps » , des femmes voilées au sein d’équipes féminines, des animateurs appartenant à la mouvance salafiste… Ajoutez-y la moindre polémique sur la longueur de la barbe de Karim Benzema, et le décor est planté.

Toutefois, pour le moment, rien de tout cela ne relève du délictuel au sens juridique, éclairant juste un « faisceau préoccupant » de comportements inscrits dans un contexte de progression de normes religieuses conservatrices au sein de la communauté musulmane. Au niveau européen, d’autres travaux identiques avaient permis d’identifier une certaine perméabilité au djihadisme dans certaines disciplines à l’encadrement lâche et peu structurée au niveau fédéral, comme le futsal, les sports de combats ou la musculation. « Daesh demande à ses futures recrues d’être en forme physiquement, de faire du sport, c’est pour cela qu’on les retrouve dans des clubs, dans les sports de combat, l’haltérophilie » , renchérit Patrick Karam, vice-président au conseil régional à la jeunesse, au sport et à la vie associative, et qui chapeaute le projet.

Lever les réticences ou les doutes

Pour en revenir à l’actualité, tout commence donc avec une délibération du conseil régional le 24 juin 2016, concernant « l’engagement des grands réseaux associatifs et sportifs dans la défense de la laïcité, des valeurs de la République, et dans la prévention de la radicalisation » . Celle-ci va enclencher une mécanique dont la rapidité démontre que notre administration peut encore aller vite quand la volonté politique est présente, sur certains sujets tout du moins. La logique ne rencontre que peu de résistance, hormis certains élus d’opposition inquiets devant « un rapport stigmatisant pour l’Islam » , comme s’en émeut Céline Malaisé (Front de gauche).

En face, Patrick Karam, engagé par ailleurs dans la Coordination des chrétiens d’Orient en danger (CHREDO), et surtout aujourd’hui inspecteur jeunesse et sport, a su manœuvrer pour rassembler le plus largement possible. « J’ai rencontré tout le monde, toutes les ligues, afin de lever les réticences ou les doutes. Maintenant, tous sont convaincus de la pertinence de notre démarche, ce qu’a démontré la réunion qui s’est tenue au conseil régional le 21 septembre en présence de Valérie Pécresse. » Des représentants du mouvement sportif se sont toutefois étonnés de ne pas avoir accès aux fameuses fiches S. Leurs interlocuteurs institutionnels se sont empressés de leur rappeler que c’était tout simplement illégal..

Distinguer liberté religieuse et pente djihadiste

Sur le fond, ce programme reste très classique, proche d’un banal plan de formation, et avant tout dans la logique d’un réseau d’alerte. « Chaque ligue va nommer un ou deux référents, qu’elle choisira librement, sous une quinzaine de jours. Ces derniers auront pour mission de faire le lien avec le club confronté à des jeunes dont ils pressentent une évolution préoccupante, avec des attitudes indicatives comme de ne pas serrer la main aux filles, changement de discours, etc. Ces référents choisiront ensuite soit d’aller voir le jeune directement, soit d’en informer nos partenaires, la LICRA, un réseau d’éducateurs spécialisés, ou une association qui travaille déjà avec l’État sur ces questions de déradicalisation. Le but est d’intervenir avant que le numéro vert ne sonne, car souvent, de fait, il est trop tard. La mission est pédagogique et éducative, dans le dialogue, rien d’autre. »

On comprend vite, dès lors, sur quels critères les référents (professionnels ou simples bénévoles selon les cas) pourront s’appuyer pour distinguer la quête spirituelle, la liberté religieuse et la pente djihadiste. Quand on a pu voir récemment que tous les services spécialisés pouvaient se « trouer » , l’enjeu est ambitieux.

À qui rapporte le rapport ?

Or, c’est là que les fameux « partenaires » apparaissent. La déradicalisation est aussi un business qui peut rapporter gros. Outre le comité régional olympique et sportif d’Île-de-France (CROSIF), trois autres acteurs sont concernés : la LICRA, un « réseau d’éducateurs spécialisés » et Médéric Chapitaux, un ancien DTN en sports de combat, auteur de l’ouvrage Le sport, une faille dans la sécurité de l’État. Ce dernier travaille désormais dans le privé sur la question. Le contenu des formations sera passionnant à décortiquer, surtout dans le domaine du foot. Malgré tout, Patrick Karam espère que « ce système inspirera l’État et se généralisera dans les régions » . Ce fidèle soutien de Nicolas Sarkozy a le droit en effet de voir loin. Il n’a pas tort : le ministère de la Jeunesse et des Sports vient de diffuser un Guide pour prévenir la radicalisation islamiste dans le sport et l’animation. Les grands esprits se rencontrent, semble-t-il….

Pour finaliser la démarche, justement, et peut-être servir de boussole, une « charte de la laïcité » sera proposée et devra être signée par les ligues, sous réserve de ne plus être subventionnée par le conseil régional (un luxe que beaucoup ne peuvent se permettre). Elle devrait être présentée « à l’automne » , et sa rédaction promet de susciter beaucoup de résistance au sein du conseil régional, d’autant qu’il a été promis qu’elle réglerait des questions aussi sensibles que le voile, dont on sait, par ailleurs, qu’il a déjà pu susciter quelques clashs entre la FFF et la FIFA.

Marcher sur des œufs

« Nous ne voulons stigmatiser personne, affirme Patrick Karam. Aucun club, ni discipline, ne seront désignés nominativement. Nous avons imposé une clause de confidentialité à nos partenaires à ce propos. Il faut éviter que les associations, qui auront recouru à l’aide des référents, en paient ensuite le prix, que les parents hésitent à y mettre leurs enfants. Nous avons besoin de la confiance des clubs pour y arriver… »

Il va surtout falloir composer avec une des réalités profondes du sport et du foot singulièrement : les club communautaires. « Nous ne demandons évidemment pas aux Lusitanos de devenir les Francos de Créteil » , fut-il même lâché depuis la tribune le 21 septembre au Conseil régional. Cette vieille tradition bien ancrée dans le foot amateur risque de fournir quelques cas d’école en matière de réflexion sur la laïcité et le ballon rond. Surtout dès qu’il s’agira de pousser l’application de ces beaux principes de précaution au-delà du seul Islam. Alors le patronat catholique portugais aura-t-il toujours le droit de mettre une crèche pour la fête de Noël de son équipe aux couleurs du Benfica ?

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