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« Ici en Andalousie, l’herbe, c’est un luxe »

Par Paul Citron, à Jaén
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En Andalousie, on peut jouer au football pendant 20 ans sans jamais voir la couleur d’un terrain en herbe naturelle. Les terrains en pelouse synthétique sont la norme, purement et simplement, pour l’immense majorité des clubs amateurs de la région ; à tel point que l’herbe verte est quelque chose de lointain, même pour les passionnés, et qu’elle tend encore à se raréfier. Enquête dans une région où il fait déjà chaud à midi, et où le football n’a jamais réellement été un sport où on se salit le short.

Terminer son match, un soir du mois de février, avec les genoux en sang, mais les chaussettes propres : tel est le quotidien de tous les footballeurs amateurs de la province de Jaén, au nord de l’Andalousie. Juan Francisco, 25 ans, joueur de l’Inter de Jaén, ne déroge pas à la règle. « J’ai surtout joué sur des terrains artificiels, parce qu’ici, c’est compliqué d’avoir un terrain en herbe. Je crois que je préfère les terrains artificiels de dernière génération, mais peut-être parce que j’y suis habitué, avoue-t-il. De toute façon, très peu de personnes ici ont joué sur herbe. Si tu n’es pas pro, tu as peu de chances. » Dans cette région un peu plus grande en superficie que l’Île-de-France, des générations de joueurs passent sans jamais ou presque fouler un terrain en herbe naturelle, bijou réservé aux clubs les plus gros et aux villes les plus riches. Pedro Expósito, journaliste spécialiste du football local, détaille : en réalité, les terrains en herbe ont toujours été rares. « Ça ne fait qu’une quinzaine d’années que l’État et les municipalités ont commencé à investir massivement dans les pelouses synthétiques, précise-t-il, sans parler de la dangerosité que peuvent présenter ces installations sur la santé des joueurs. Mais avant, ce n’était pas toujours de l’herbe : la plupart des terrains étaient encore en terre. » On parle bien de l’« albero », cette surface à mi-chemin entre la terre battue chère à Rafael Nadal et le sable des arènes de corrida. Le saut qualitatif est évident. Mais cela ne change rien au fait que la pelouse naturelle n’a pas été et n’est pas la surface de référence, pour les Andalous.

La pelouse fait de la résistance

Un rapide coup d’œil sur le site de la Ligue régionale de football donne le ton ; dans toute la province de Jaén, seuls neuf terrains naturels sont répertoriés, sur un total avoisinant la centaine. Pedro Expósito rectifie, lorsqu’on lui présente ce chiffre : « Aujourd’hui, il n’y en a que quatre aux normes dans toute la province. Un à Jaén, et ceux de Linares, d’Andújar et de Martos. » Autrement dit, ceux de quatre des plus gros poissons du coin. À commencer par le Linares Deportivo, qui évolue en Primera RFEF (D3), et qui a bien failli se payer le scalp du Barça en Coupe du Roi au début de l’année. La ville de Linares, deuxième plus importante de la région après la capitale, Jaén, a pris la décision en 2015 d’installer un terrain en gazon pour son équipe semi-professionnelle. Est à l’époque déboursée, uniquement pour l’installation de la pelouse, la bagatelle de 250 000 euros – alors que le budget annuel en 2022 s’élève à 18 millions d’euros. Le Real Jaén, lui, se débat comme il peut au fin fond de sa poule de Tercera RFEF (D5), alors qu’il fait face à une crise sportive et financière. Pas de quoi, cependant, empêcher la mairie de la ville d’engager des travaux de grande ampleur pour réformer complètement l’Estadio de la Victoria qui l’accueille, après le tollé provoqué l’été dernier, lorsque des images aériennes avaient dévoilé l’état déplorable de la pelouse, imputé à la négligence des différentes directions du club. Quoi qu’il en soit, les quatre mairies défendent corps et âme leurs terrains en herbe, véritables objets de fierté locale.

Ces veinards de Martos.

Ici, c’est juste impossible de maintenir en état une pelouse naturelle toute l’année, particulièrement lorsqu’on projette de l’utiliser plusieurs fois par semaine, ou par jour.

Pourtant, l’avenir semble bien s’écrire avec des petites boules noires, même pour ces derniers réfractaires. Ferran Peralba travaille à Cordoue pour Royalverd, le leader des pelouses sportives au sud de l’Espagne, et il est catégorique : « En Espagne, et en Andalousie, la tendance est très claire : les gens se tournent vers les pelouses artificielles. » Et l’argument majeur est le même que celui qui attire les touristes sur les plages de la Costa del Sol, quelques kilomètres plus au sud : le climat. « Ici, c’est juste impossible de maintenir en état une pelouse naturelle toute l’année, particulièrement lorsqu’on projette de l’utiliser plusieurs fois par semaine, ou par jour, continue Peralba. Les coûts d’entretien peu élevés du gazon artificiel, et sa résistance, font qu’il est une solution bien plus viable que le gazon naturel. » Les provinces de Jaén et Cordoue font en effet partie des régions d’Espagne, et d’Europe, où l’été est le plus chaud et le plus sec. Puisque passer la barre des 40°C est anecdotique au milieu de l’année, quasiment personne ne peut se permettre d’entretenir correctement un terrain en herbe, en dehors des clubs professionnels aux revenus stratosphériques, que sont par exemple les deux géants sévillans.

La fin des haricots ?

Les quelques clubs plus modestes, qui avaient payé jusqu’ici le prix fort pour conserver une belle pelouse, finissent par lâcher le morceau. Dernier déchirement en date à Torredonjimeno, en 2019, lorsque est annoncé un projet de « reconditionnement du stade pour un usage généralisé de l’enceinte par les associations sportives ». Ce modeste pueblo situé à l’ouest de Jaén, qui avait cassé sa tirelire à la fin des années 1990 pour s’offrir un beau terrain bien vert au moment des belles années de son équipe, n’a pas résisté à la tentation du gazon artificiel, qui, une fois installé, ne nécessite pas qu’on le bichonne au quotidien. De quoi provoquer l’ire et la nostalgie de certains locaux, comme Juan Ortega Anguita, auteur l’année passée d’une lettre à charge dans le canard local du Diario Jaén, contre cette décision. « Quand un jour, le Barça B était venu jouer un match clef pour la montée contre le Real Jaén, Luis Enrique lui-même avait décidé de jouer le match ici, déclarait-il. Il devait avoir une bonne raison. »

« Pour les gens d’ici, jouer au football sur herbe, c’est avant tout un luxe. La plupart ne peuvent pas avoir de réelle opinion, en fait, puisqu’ils ne savent pas ce que c’est », avance Javi, joueur de l’Inter de Jaén, en remontant les marches du stade – équipé d’une pelouse synthétique – où il s’entraîne. Et le raccourci ne devrait pas disparaître, selon Ferran Peralba. « Le gazon naturel garde malgré tout des avantages de confort et de commodité par rapport au gazon artificiel, et c’est pour cela que je pense que son utilisation ne se généralisera jamais au niveau professionnel, parie-t-il. Néanmoins, dans un futur assez proche, je pense qu’il n’y aura plus que les clubs de très haut niveau, avec une grande exigence de qualité et un niveau d’utilisation limité, qui disposeront d’un terrain naturel. » Au pays du flamenco, les terrains de football sans billes noires approchent bel et bien, semble-t-il, de leur dernière danse.

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Par Paul Citron, à Jaén

Tous propos recueillis par PC, sauf ceux de Juan Ortega Anguita.

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