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Ici, c’est pas free

Par Nicolas Kssis-Martov
6 minutes
Ici, c’est pas free

Paris a beau avoir décroché les JO et compter l'équipe la plus riche de la L1, cela ne change pas grand-chose au quotidien du gavroche à crampons. Car jouer au foot dans la capitale, dans le strict périmètre de ses vingt arrondissements, relève du défi permanent et demande un bon pass navigo cinq zones autant qu'un maillot Umbro floqué à son nom. Et l'avenir ne s'annonce guère plus réjouissant.

« Si ça continue ainsi, on risque de déclarer forfait l’an prochain, se désole Léo Maous, entraîneur de l’Association sportive des Pintes de frappe, modeste club de foot à sept. On a déjà dû s’y résoudre cette saison en coupe, avec les matchs à La Courneuve sur des horaires trop tôt en semaine pour ceux qui bossent. » Voila le paradoxe de Paris. Si la ville lumière aime le foot, y jouer peut s’y avérer bien plus galère que dans la Creuse. « Les grandes villes possèdent généralement une trentaine de terrains de foot pour 10 000 habitants, à Paris on arrive péniblement à onze » , résume David Cheveau du Comité de Paris FSGT, qui passe son temps à jongler avec les créneaux pour essayer de dénicher un bout de terrain ou de synthé pour ses licenciés. « C’est un constat évident, nous manquons cruellement de terrains de foot sur Paris, confirme Jean-François Martins, adjoint aux sports de la ville. Tout simplement parce que nous manquons de place. Paris est la ville la plus dense en France, une des plus denses au monde. Comment voulez-vous dénicher les 8000 m2 nécessaires à un nouveau terrain. Ce n’est pas un manque de moyens financiers non plus. Si c’était possible, nous le ferions immédiatement. »

Délocalisés et surpeuplés

Résultat : alors qu’avec sa population et son histoire, la capitale peut s’enorgueillir d’un potentiel unique, le foot de masse est constamment freiné dans son essor, submergé par la caricature d’une ville de bobos ou fleurissent les murs d’escalade et les troupeaux de runners, pendant que son petit peuple de l’herbe tente péniblement de résister. En cause, évidemment, un urbanisme comprimé entre une très faible superficie pour une grande métropole (50% de moins que Londres), un prix de l’immobilier ahurissant, ou encore le passif haussmannien. Justement, sur ce dernier point, il ne faut pas oublier combien, de tout temps, le « soccer dad » fut poussé hors les murs. Dès 1909, le Red Star doit quitter son quinzième arrondissement de naissance pour chercher refuge de l’autre coté du périph’, à Saint-Ouen, où bat aujourd’hui son cœur rouge. Le grand Racing de Paris, celui des Pingouins de Raoul Diagne, auteur d’un doublé coupe championnat en 1936, migra pour sa part à Yves-du-Manoir, dans la belle cité de Colombes. Paris, étonnement au pays du jacobinisme triomphant, attend d’ailleurs toujours son district FFF spécifique. Une belle exception qui symbolise sur le plan institutionnel un statut singulier et, pour tout avouer, d’infériorité. Finalement, l’actuel Parc des Princes construit sur le périph’, ou le stade Suffren, planté au pied de la tour Eiffel, font clairement figure d’exceptions qui confirment la règle de l’exil, si ce n’est de l’exode.

Dernière étape avant le voyage en banlieue, sur le pourtour de Paname, un petit filet de terrains plus ou moins pelés ou nocifs – synthétique oblige – ceinture Paris de ses fragiles pylônes, dernières survivances de ces anciennes fortifications qui ne sauvèrent pas la Commune et pas davantage le destin des footeux du 75. Car ce petit quota d’installations ne suffit évidemment pas à accueillir tout le monde, toutes fédérations confondues. En semaine, principalement, ou la guéguerre entre la séance d’entraînement du « FC classique » et le match des équipes « bandes de potes » ne cesse de prendre de l’ampleur. La ville de Paris qui, pour le moment, garde la main sur les attributions de créneaux dans le foot (malgré une loi PLM qui accorde normalement la compétence aux mairies d’arrondissement), semble privilégier depuis quelque temps les associations « locales » , alors que la tendance lourde sociologique des nouveaux modes de vie et de pratiques sportives amène au contraire de plus en plus de jeunes pères, soucieux de concilier vie de famille et sociabilité post-adolescente du vestiaire, vers le match du lundi ou jeudi soir. Cette lutte pour le rectangle magique se rajoute à la vétusté des infrastructures, ou bien à la récente polémique autour de la toxicité des billes des terrains artificiels. Enfin, point d’orgue : les féminines tentent désormais de s’y dégager une place légitime, qui ne finit pas de faire grincer les dents dans un entre-soi masculin déjà saturé de rivalité.

Dribblons-nous dans les bois…

La vie du foot parisien se déroule bien loin des beaux quartiers ou des cartes postales, donc. « 90% de nos terrains sont domiciliés sur les parcs interdépartementaux des sports, à Choisy ou La Courneuve, prolonge David Cheveau. Cela complique forcément la vie de nos pratiquants. » Maintenant, instillez dans cette belle équation le projet du grand Paris qui, selon certaines fuites, conduirait à supprimer les 9-quelque chose de la petite couronne au profit des Intercommunalités (les fameux EPCI) qui récupéreraient à terme, entre autres compétences, ces installations. Bref, le brouillard s’épaissit jusqu’à ne plus voir les lignes de but. « Nous essayons vraiment toutes les formules, appuie Jean-François Martins. Terrains sur les toits, etc. Mais la principale solution est métropolitaine, avec les parcs interdépartementaux – un héritage de l’ancien département de la Seine, cogéré aujourd’hui –, ou en récupérant des terrains comme à Joinvillle. Bref, des aires de jeu à une ou deux stations de RER. Sinon, même si, évidemment, cela suscite aujourd’hui des inquiétudes légitimes en matière de santé, le passage au synthétique permet de multiplier par sept l’utilisation d’un terrain. »

Une seule certitude pour le moment, les gamins de l’AS Paris Centre n’ont pas fini de se déplacer le mercredi à Bobigny pour tenter d’imiter Mbappé ou Buffon. Toutefois, des solutions ont pu être envisagées, mais elles se heurtent de nouveau au particularisme parisien. Notamment dès qu’il s’agit d’empiéter sur les rares espaces verts qui subsistent à Paris. La bataille autour de l’agrandissement de Roland Garros, qui a vu écolos et grands bourgeois défendre bec et ongles les serres d’Auteuil, tient son reflet dans la question épineuse du bois de Vincennes. L’idée émise de transformer les aires de foot qui s’y trouvent en synthétiques (y compris avec des formules sans billes nocives) et surtout de les doter d’un éclairage nocturne, permettrait de quasi doubler la capacité footballistique de la ville « intra-muros » d’un seul coup (rappelons que le bois demeure, en excroissance, dans le douzième arrondissement). Du temps de François Hollande, le débat était remonté jusqu’au Palais de l’Élysée, sans que rien ne soit tranché. En tout cas, pour le moment, les lumières de l’hippodrome rayonnent jusqu’à la croix de Chaveau à Montreuil, sans que cela semble nuire au bien-être animal. Les canassons ont, croirait-on, droit à plus d’égard que les footeux de l’Est parisien. Et si on passait directement au polo ?

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Par Nicolas Kssis-Martov

Propos recueillis par NKM

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