- Mexique
- Interview Mehdi Mehdaoui
« Ici, au Mexique, il y a du niveau »
Depuis 2007, Mehdi Mehdaoui, préparateur physique de 36 ans, officie au Mexique. Parti sur un coup de cœur, il est en charge depuis 2009 de la sélection féminine, et s'estime désormais chez lui dans le nouveau pays d'adoption d'André-Pierre Gignac.
Salut Mehdi. Alors, comment es-tu arrivé au Mexique ?En fait, au cours de mes études en STAPS, à Lyon, j’étais venu en vacances dans ce pays que j’avais adoré. C’était le trip sac à dos au Chiapas, et à Oaxaca, notamment. J’avais aussi des amis au Mexique, donc à chaque fois que je pouvais prendre des vacances, je m’y rendais. Finalement, en 2007, après une année de stage en Allemagne, j’ai tout lâché pour tenter ma chance à Mexico. Je ne parlais pas espagnol, j’ai débarqué avec mes économies, et j’ai d’abord vivoté en tant que coach privé. À l’origine, je suis un sprinter, mais après une rupture du tendon d’Achille, j’ai dû mettre un terme à ma carrière, et j’ai décidé de devenir entraîneur. Avant d’arriver au Mexique, j’ai touché à l’athlétisme, au rugby, au basket aussi. Dans le cadre de mon master européen de préparation physique, j’ai notamment collaboré avec l’ASVEL.
Et comment es-tu parvenu à te faire une place au sein du foot mexicain ?En fait, je prenais des cours d’espagnol à l’UNAM (la grande université publique de Mexico, ndlr) et j’ai envoyé une candidature spontanée pour faire un stage chez les Pumas, le club de l’UNAM. J’ai finalement travaillé près d’un an au sein du centre de formation du club.
L’occasion de faire de belles rencontres. Comme les équipes de jeunes donnaient parfois la réplique à l’équipe pro, j’ai ainsi fait la connaissance de Ricardo « El Tuca » Ferretti, qui est l’actuel entraîneur de Gignac aux Tigres. Il m’a fait une super impression, même s’il fait un peu peur. Quand il n’est pas satisfait, il est vraiment dur. Des détails peuvent le mettre hors de lui. T’as intérêt à l’écouter, sinon il te met plus bas que terre. Mais ce qui est bien, c’est qu’il se situe toujours sur le plan du travail, il n’y a jamais rien de personnel dans ses critiques. Et la discipline qu’il impose, il se l’impose à lui-même, c’est d’ailleurs pour cela qu’il est aussi respecté par les joueurs.
Quand tu as appris que Gignac avait signé aux Tigres, comment as-tu réagi ?J’étais content qu’il vienne. Certains pensent qu’il était venu s’enterrer au Mexique, mais la LigaMX est un championnat très compétitif, où tout le monde peut battre tout le monde. Et le style de jeu est agréable, à l’image de l’équipe nationale dont le style dynamique est souvent apprécié lors des compétitions internationales. C’est aussi un football qui obtient de très bons résultats chez les jeunes. Ici, au Mexique, faut pas croire, il y a du niveau.
Peux-tu nous en dire plus sur tes fonctions au sein de la sélection nationale féminine ?En fait, lors d’un asado, j’ai rencontré le préparateur physique en chef des sélections nationales, et j’ai commencé en stage, en 2008, auprès des U17. Après quelque temps auprès de différentes catégories (jeunes, beach soccer, féminines), je suis finalement devenu coordinateur de la préparation physique des sélections féminines : des A jusqu’aux U15, une catégorie que l’on vient de créer pour que les filles bénéficient d’un vrai cycle de formation. Je travaille au sein du CAR (centro alto rendimiento), là où s’entraînent les équipes nationales, masculines et féminines.
Et comment se porte le foot féminin au Mexique ?Il devient de plus en plus populaire, mais au niveau des structures, cela reste amateur. En fait, on doit faire un gros travail d’harmonisation, car il n’existe pas de championnat national, ni de centres de formation au niveau des clubs.
Certaines filles viennent des universités privées, d’autres jouaient simplement au quartier. C’est vraiment dépareillé. On recrute aussi maintenant beaucoup aux États-Unis : des Mexicaines qui étudient là-bas ou qui ont grandi là-bas et ont la double nationalité. On fait des détections dans les zones où il existe une grande densité de Mexicains : à Chicago, en Californie, à New York… Aujourd’hui, ces Mexicaines des États-Unis doivent représenter 30% des sélectionnées, certaines parlent anglais à table. C’est une tendance nouvelle pour nous.
Lors de la dernière Coupe du monde, vous avez affrontés la France, et cela s’est plutôt mal passé (5-0)… En fait, lors du match précédent, on s’est fait rejoindre par la Colombie dans les derniers instants, alors qu’on avait vraiment besoin de ces trois points. À partir de là, l’ambiance est devenue mauvaise au sein du groupe, des clans se sont formés, des joueuses s’en sont prises publiquement au sélectionneur. On n’était clairement pas dans de bonnes dispositions, et évidemment, prendre un but dès la première minute ne nous a pas aidés… Après, personnellement, ce fut un plaisir pour moi de côtoyer le staff français, qui a été très sympa. Ils me demandaient ce que je faisais là, ils étaient surpris.
Et que réponds-tu justement quand on te demande d’expliquer comment tu peux vivre dans un pays qui fait avant tout parler de lui pour les narcos et sa corruption ?
En fait, j’explique déjà que le Mexique est un grand pays, qu’il y a énormément de problèmes, mais aussi que tu peux très bien y vivre. Tout dépend où tu te trouves. Personnellement, je vis à la Roma, un quartier vraiment agréable de Mexico.
Après, il faut évidemment faire attention, apprendre des codes. À Mexico, par exemple, il ne faut pas être flambeur. Et puis, il faut un peu de bon sens, savoir où tu mets les pieds. Par exemple, en ce moment, tu ne vas pas prendre ta voiture de nuit pour voir un lever de soleil sur une plage du Michoacan. Mais, en général, si tu n’es pas impliqué dans le trafic de drogue ou dans des affaires louches, tu peux vivre plutôt tranquillement. Ceux qui ne veulent pas te croire, tant pis pour eux.
Et comment es-tu perçu en tant que Français ?
Sur le plan professionnel, ça se passe bien. Ce qui compte ce sont tes compétences. D’ailleurs, beaucoup de mes collègues ont fait des études en Europe, et plus que les nationalités, c’est la qualité de ta formation qui te distingue. Après, quand un Mexicain apprend qu’un Français appartient au staff de la sélection nationale, il peut avoir un réflexe nationaliste, mais en général, les réactions sont plutôt positives. Quoi qu’il en soit, pour moi, le Mexique c’est désormais ma maison. Je pourrais aller en Europe pour travailler, mais ce serait pour revenir ensuite à Mexico.
Propos recueillis par Thomas Goubin, au Mexique