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Ibrahima Konaté, le discret qui fait du bruit
Il a à peine 20 ans, est français, joue défenseur central et est titulaire indiscutable au RB Leipzig. Dayot Upamecano, bien sûr ? Mieux, Ibrahima Konaté. Alors que son compère de l'arrière-garde est sur le flanc depuis janvier, l'ancien Sochalien enchaîne les performances de haut vol au cœur de la meilleure défense de Bundesliga. Portrait d'une vraie-fausse force tranquille qui n'a pas peur de griller les étapes.
Si cette Bundesliga 2018-2019 est passionnante, elle ressemble aussi à une injustice. L’éblouissante première partie de saison du Borussia Dortmund, le réveil du géant endormi Bayern, un peu de hype Francfort et de déchéance Schalke 04 pour pimenter le tout… Et le RB Leipzig dans tout ça ? Invisible, ou presque. Pas facile d’attirer les projecteurs quand on est le club le plus détesté d’Allemagne. Alors, avancer sans faire de bruit, le très ambitieux club de l’Est semble condamné à s’y astreindre pour encore plusieurs années.
Ça tombe bien, l’un des piliers de son arrière-garde colle parfaitement à cette mentalité. Troisième joueur de champ le plus utilisé du RB à seulement 19 ans, Ibrahima Konaté et ses 41 matchs cette saison aurait de quoi faire le fier. Car si les Roten Bullen sont la meilleure défense de Bundesliga (27 buts encaissés en 32 journées), ils le doivent en partie à leur jeune taureau. Titularisé sans discontinuer en championnat depuis septembre dernier, Konaté n’a même pas encore 20 piges qu’il ressemble déjà à un vétéran. Une impression appuyée par sa personnalité de vieux sage, sur et en dehors du terrain.
Un Valère par-ci, un Guido par-là
« C’est simple, je ne l’ai jamais vu déconcentré pendant un match, il a tellement confiance en lui que rien ne peut l’atteindre » , tranche Victor Glaentzlin, ancien camarade du Parisien dans les équipes U19 et B de Sochaux, un club où Konaté a débarqué en 2014 en provenance du Paris FC. « C’est quelqu’un qui a une bonne maîtrise de son stress, il ne renvoie rien aux adversaires » , explique Albert Cartier, l’entraîneur de Sochaux qui a lancé en janvier 2017 le gamin de 17 ans en Coupe de France contre Monaco. « Avant la rencontre, je lui demande : « Si je te mets titulaire, qu’est-ce que tu ferais ? » Il m’a répondu : « Je me concentrerais, j’éviterais de me disperser en appelant ma famille ou mes amis et j’étudierais les attaquants de Monaco. » Sa maturité m’avait bluffé. » 90 minutes plus tard et malgré une défaite aux tirs au but, Konaté et son physique monstrueux (1,92 m, 93 kg) ressortent de ce dépucelage avec un Valère Germain et un Guido Carrillo dans chaque poche.
Calme et maturité : deux notions qui vont souvent de pair. Mais si la seconde est indispensable pour réussir dans le foot, la première peut aussi se retourner contre soi à en croire Ismaël Bamba, l’éducateur du jeune Ibrahima en U14 au Paris FC. « Il était tellement calme que sa nonchalance prenait parfois le dessus pendant les matchs. Il avait toutes les qualités, donc il lui arrivait de ne pas faire assez d’efforts, de ne pas être assez concentré. Et comme il ne parlait pas beaucoup, j’avais peur qu’il se fasse manger. » Reste que Konaté et Conatus, ça fait aussi deux. Cet « effort de persévérer dans son être, d’accroître ses capacités » théorisé par Spinoza s’applique sans doute mieux que pour quiconque à l’ancien milieu défensif. Car derrière cette force tranquille se cache aussi un infatigable guerrier. « Ce n’était pas la même personne sur le terrain. C’était un battant » , affirme Rayan Senhadji, ex-comparse du beau bébé à Sochaux B. « Venant d’un quartier, il sait pourquoi il joue au foot » , abonde Victor Glaentzlin. Et même lorsqu’il arrive au gamin de courber l’échine, il y a toujours un membre de la fratrie Konaté pour remonter le moral à la fierté familiale.
Ibra, c’est la famille
Une famille omniprésente, sans laquelle Konaté ne se serait pas tourné vers le foot – « à l’école, pendant les Olympiades, je faisais du frisbee, des trucs comme ça.(Rires.)Mon frère a fait en sorte que j’aime le foot et il m’a inscrit en club » , confiait le joueur lui-même dans un entretien à Onze mondial. Une famille qui l’a fait venir ( « les installations et ambitions du club plaisaient à ma famille » ) et partir ( « ses frères et son agent ont [choisi] d’obtenir une situation libre de tout contrat [plutôt que] de blinder sa situation » , relatait L’Est républicain) de Sochaux. Une famille qui a même suivi l’un de ses sept rejetons dans l’est de l’Allemagne. « Mon frère Sekou, 22 ans, vit ici avec moi. Il joue attaquant dans un club local. Dans le jardin derrière notre maison, il y a parfois des duels » , racontait Konaté à Bild.
Plus facile, donc, de garder la tête sur les épaules avec deux ou trois garants moraux toujours enclins à prêcher la bonne parole. « On vient tous d’un quartier. Comme ses grands frères sont restés droits, qu’ils n’ont pas flanché, je pense qu’Ibra avait ce sentiment de vouloir faire pareil » , souligne Rayan Senhadji. À Sochaux, pas de sorties au programme, donc – « il m’a dit qu’il ne faisait jamais la fête, que ça ne l’intéressait pas » (Albert Cartier) –, mais plutôt des mangas et des mosquées – « pour se construire en tant qu’homme » (Rayan Senhadji). Le mélange fonctionne : en à peine un an, le très technique défenseur passe du National 3 à la Bundesliga, entrecoupé de 12 matchs de Ligue 2. « D’autres jeunes doivent progresser par étape, mais lui, avec sa maturité, il n’en avait pas besoin » , se rappelle Albert Cartier. « Je lui ai dit : « Fonce, mets-toi en difficulté ailleurs ! » »
Caméléon bleu-blanc-rouge
Les difficultés, Konaté n’y échappe pas en débarquant à Leipzig, loin de sa chère famille et dans un nouveau championnat. « Au début, j’ai fait quelques matchs en U19. C’était un grand choc pour moi qui jouais quand même en Ligue 2 avec les pros. J’étais revenu au point de départ » , avouait le joueur dans un entretien à Goal. Mais le Conatus de Konaté refait vite des siennes. « Quand j’étais en U19, beaucoup de joueurs auraient craqué dans ma situation. Moi, j’ai toujours eu ma famille derrière, qui me disait d’être patient. Je comprends qu’on puisse se poser des questions quand on passe de Sochaux à Leipzig. Mais moi, j’ai toujours su que j’avais un mental d’acier. »
La colonie tricolore du RB (Upamecano, Augustin, Mukiele) étant là pour ne pas trop dépayser le garçon, « le caméléon » – comme l’appelle Rayan Senhadji pour sa faculté d’adaptation – a rapidement pu se concentrer sur le terrain. Où il s’est aujourd’hui imposé comme le « Franzose » le plus en vue, sans faire de vagues et en renonçant quelques fois à des moments de complicité avec « JKA » et compagnie. « Quand j’ai du temps libre, je ne dois rien avoir à faire avec eux. Je dois aussi me reposer » , soufflait-il à RB Live. Le Conatus impose parfois quelques sacrifices.
Douglas de Graaf
Tous propos recueillis par DDG, sauf mentions