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Ibrahima Diédhiou : « Feignies-Aulnoye et le Qatar, ça n’a rien à voir »
Né au Sénégal, formé à l'Aspire Academy de Doha, sous contrat professionnel en Belgique à 18 ans, joueur des Lions de la Téranga le temps d'un match en 2014, au marquage de Kylian Mbappé il y a deux ans : Ibrahima Diédhiou en a, des histoires à raconter. Avant d'affronter Montpellier en 16es de Coupe de France (après QRM au tour précédent), le défenseur de l'Entente Feignies-Aulnoye (National 2) ouvre quelques tiroirs.
Montpellier est la cinquième équipe professionnelle que tu affrontes en Coupe de France. Y a-t-il moins d’excitation que la première fois ?
Tu es toujours excité de jouer une équipe pro. Ça arrive rarement quand tu joues en National 2. On a envie de se montrer. Rien n’a changé, c’est toujours la même motivation. Contre Valenciennes, on avait fait un match de gala (défaite 3-0, le 19 novembre 2022 au 8e tour de Coupe de France). Là, contre Quevilly (victoire 1-0 le 5 janvier, en 32es), on a tout donné sans complexe.
Vous étiez satisfaits du tirage, ou bien vous auriez aimé tomber sur une plus grosse équipe encore ?
Personnellement j’aurais bien aimé croiser Marseille, c’est mon rêve d’affronter l’OM. Mais Montpellier, c’est déjà quelque chose de grand, ça fait plaisir. Marseille, c’est mon équipe de cœur. Avec tous les Sénégalais qu’il y a dans l’équipe, beaucoup de gens supportent l’OM au Sénégal. La majorité des Sénégalais, en fait.
Il y a deux ans, vous affrontiez le PSG (défaite 3-0). Quel souvenir tu en as ?
Ce ne sont que des bons souvenirs. Être au marquage de Kylian Mbappé, c’était énorme.
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Tu provoques le premier penalty sur lui.
Exactement. Il était trop rapide. (Rires.) Je ne l’ai pas vu venir, j’ai essayé de tacler mais je ne pouvais rien faire. Faire des tacles sur Kylian Mbappé, c’est quelque chose qui m’a fait plaisir, même s’il y a eu penalty. À la fin, j’ai échangé mon maillot avec Abdou Diallo, qui est sénégalais comme moi.
Il y a eu une montée de stress, quand tu as su que tu serais au marquage de Mbappé ?
C’était stressant. On se demandait comment on allait l’arrêter. Quand il décide d’y aller, à notre niveau c’est impossible. J’avais essayé de travailler les anticipations, comment faire s’il prend de la vitesse, l’amener sur son côté faible, mais quand il part, c’est mort. J’avais essayé au maximum de rester debout, le plus longtemps possible.
Un autre Parisien t’avait impressionné ?
Ramos, derrière. Très fort techniquement, tout est propre. J’aimais comment il jouait, en une ou deux touches, très rapide, il prenait l’information. En plus je l’avais au marquage sur les corners, c’était compliqué. (Rires.) Il est très intelligent sur ses déplacements, bon timing. En tant que défenseur central j’avais regardé comment il jouait et c’était vraiment impressionnant. C’est le haut niveau.
Tu as la particularité d’avoir été formé dans une académie au Qatar.
J’ai été pendant cinq ans à l’Aspire Academy. C’était un privilège d’être là-bas, j’étais parmi les trois Sénégalais sélectionnés cette année-là. Sur les quatorze régions, ils sélectionnaient les trois meilleurs. Moi, je venais de Tambacounda (sa ville natale). On a fait les tests finaux à Dakar, il y avait 50 joueurs. Ils faisaient ces tests tous les ans, aujourd’hui ils ont arrêté ce projet. C’est quelque chose dont je rêvais depuis tout petit, d’être dans de telles infrastructures. C’est vraiment grand ! Dans l’académie, c’étaient des terrains fermés. On ne pouvait pas s’entraîner dehors, il faisait 40 °C.
Au moment où tu signes, tu changes de vie.
Ça n’était pas facile au début de quitter la famille pour aller au Qatar. Mais on s’est adaptés. Il y avait les trois meilleurs du Sénégal, les trois meilleurs du Ghana, les trois meilleurs du Nigeria, les trois meilleurs du Maroc… On formait une équipe. Il n’y avait que des Africains. Après, ils ont commencé à faire venir des joueurs d’Asie, du Vietnam par exemple. Mais ma génération, on venait tous d’Afrique. Parfois, on partait en stage avec des joueurs qataris.
Qu’est-ce qui t’a marqué au Qatar, que tu n’as pas vu dans les autres pays ?
Leurs infrastructures. Tout était propre. On avait toutes les conditions réunies pour devenir footballeur. Il n’y avait rien qui manquait. Ça m’a beaucoup marqué. J’ai beaucoup progressé là-bas, avec des coachs espagnols, anglais. Chacun apportait sa touche.
Et comment as-tu vécu le Mondial 2022, durant lequel le Qatar a été au centre du monde ?
Ça m’a fait plaisir. Je connaissais le pays, donc je savais que ce serait réussi. Je savais que ce serait une Coupe du monde qui marquerait.
Qu’est-ce que tu as pensé des polémiques autour de cette Coupe du monde, autour des travailleurs immigrés sur les chantiers des stades, de l’écologie, etc. ?
J’ai vu ça comme tout le monde. Moi, j’ai quitté le Qatar en 2012… Au moment où ils préparaient cette Coupe du monde, je n’étais déjà plus là. Lorsqu’ils ont annoncé qu’ils allaient l’accueillir, j’avais déjà la tête en Belgique car c’était l’année où je devais partir. Aujourd’hui dans le foot, on entend beaucoup de choses. Je ne me focalise pas sur ces choses-là.
Tu as signé ton premier contrat pro en 2012 à Eupen, qui possédait un partenariat avec l’académie.
J’avais 18 ans. Sur les 22 joueurs de ma génération, 9 ont signé pro. On allait tous à Eupen. Dès que vous êtes majeur et qu’ils voient que vous avez la possibilité de jouer en pro, ils vous envoient là-bas.
À ce moment-là, tu te disais que ton chemin était tracé ?
Oui. Mais ça n’était pas évident parce qu’on était nombreux. On avait tous signé un an, et après ils m’ont prolongé quatre ans. Je pensais que j’allais faire une bonne carrière. Dix-huit ans, premier contrat pro, dans un nouveau pays, j’étais bien parti. Après, ça a été difficile de s’imposer. Je n’ai pas trop eu ma chance, et il y a des choses qui sont arrivées… C’est le foot.
Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné à Eupen pour toi ?
En tant qu’Africain, venant du Qatar, les conditions climatiques étaient différentes. En Belgique, il fait froid. Le monde pro demande d’apprendre vite, ce qui était compliqué pour nous. Ça n’était pas facile au début. On a essayé d’être positifs et de faire les choses bien, mais ça prenait trop de temps par rapport à ce que le foot pro demande.
En sortant de l’académie, vous n’étiez pas prêts ?
Il nous manquait des choses, qu’on ne comprenait pas. Le monde pro et l’académie, c’étaient deux choses différentes. En France, quand tu es en formation, parfois tu t’entraînes avec des pros, tu vois comment ils jouent. Nous, ça n’était pas ça. On était à l’académie, et on débarque directement dans un club pro. J’ai joué quelques matchs, mais ça n’a pas marché. J’ai fait des matchs de coupe, j’ai gratté quelques minutes (dont une titularisation en première division contre Mouscron, le 1er octobre 2016). Beaucoup n’ont pas réussi dans le monde pro, chez nous. Sur les 22, 4 ou 5 ont réussi.
Tu comptes aussi une sélection avec le Sénégal.
Je jouais en sélection depuis les U17. J’étais avec les U23, avec Sérigné Saliou Dia, et le coach Aliou Cissé m’a vu et m’a pris avec les A pour un match amical en Argentine contre la Colombie (2-2, le 31 mai 2014). J’étais parmi les plus jeunes. Jouer en tant que titulaire… J’avais fait un bon match ! J’étais bien dans mon match, j’étais sorti en deuxième période. La sélection, c’est inoubliable. Le sélectionneur m’avait même dit de changer de club pour avoir plus de temps de jeu, que sinon ce serait compliqué pour revenir en sélection. Mais j’étais bloqué, je ne pouvais pas partir. Il y a des choses qui se sont passées entre le club et les agents. Ils voulaient me faire partir en Bulgarie, mais je préférais jouer en Europe (sic). J’étais bien en Belgique, je commençais à m’adapter. Donc j’ai dit non. J’avais en plus des propositions en D2 belge, par exemple. Des clubs comme l’Union saint-gilloise ou Genk. Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas pu partir. Il y a des choses qui se passaient en coulisses, que je ne comprenais pas, je me concentrais sur le terrain. Mon agent m’avait dit de rester. Comme je ne voulais pas aller en Bulgarie, ils m’ont mis à l’écart : je m’entraînais avec les pros, mais je jouais avec la réserve.
À la fin de ton contrat avec Eupen, tu as tenté de prolonger ?
Non, je voyais que c’était trop compliqué. J’essayais de chercher en Belgique. À un moment, j’ai eu envie de tout arrêter, de rentrer au Sénégal. J’ai même eu des propositions au Vietnam, mais je voulais rentrer. Puis mon oncle – qui est aussi agent – m’a dit de venir en France pour signer à Beauvais. J’ai bien réfléchi avec ma famille et je suis venu.
Signer en National 3, c’était un regret ?
Ce n’est pas un regret. Je n’avais pas le choix, c’était compliqué de trouver en Belgique des clubs qui me voulaient. La saison a démarré, je n’avais pas de club, j’attendais, c’était mieux que je vienne en France. Je voulais juste retrouver le terrain et jouer au foot, faire ce que j’aime.
Tu faisais quoi, pendant ta période sans club ?
Je suis parti à Nantes, Pierre Aristouy m’a donné la chance de m’entraîner avec la réserve. Je m’entraînais avec Randal Kolo Muani, Quentin Merlin.
Tu défendais sur Kolo Muani ?
Oui. Il était vraiment rapide. (Rires.) Il finissait bien les actions. Il avait le potentiel, mais à l’époque, il n’avait pas l’air très sérieux. Maintenant, c’est sérieux. Je pense qu’il a compris. Je suis content pour lui.
Toi qui as connu le Qatar, ça doit te faire bizarre de te retrouver dans une petite commune comme Aulnoye (Aulnoye-Aymeries, 9000 habitants).
Ce sont deux choses qui n’ont rien à voir. (Rires.) Mais c’est le football, il faut s’adapter. Je ne me plains pas, j’ai eu la chance de vivre tout ça. Aujourd’hui j’ai un contrat fédéral, je vis du foot. Je suis en train de faire une formation pour être éducateur.
Propos recueillis par Jérémie Baron