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Ibrahima Baïlo Ba, sur le chemin de l’école Diambars
Chaque année, des centaines de jeunes footballeurs sénégalais espèrent intégrer l’institut Diambars de Saly, chacun rêvant de marcher sur les pas d’Idrissa Gueye ou de Bamba Dieng. Cette année, Ibrahima Baïlo Ba fait partie des élus de la promotion 2021-2022. À bientôt 11 ans, il sait que la voie royale s’ouvre sous ses pieds, à lui de la suivre.
Mamadou Ba attend seul sur le parvis du stade de Mbour. Le rendez-vous est fixé à 9 heures du matin, ce vendredi 8 octobre 2021 et, le soleil cognant déjà fort, c’est d’un pas convaincu et le sourire au bord des lèvres que le jeune homme grimpe à l’arrière de la voiture. C’est la fin de la saison des pluies, celle où l’on transpire au premier mouvement. « On y va ? On n’est pas loin de la maison », lance-t-il, sur un ton peut-être un peu gêné, avant de boucler sa ceinture. La famille Ba habite le quartier Médine, à Mbour. La ville est connue pour son immense marché des pêcheurs et le triomphant retour des pirogues aux mille couleurs, chaque jour, avant le coucher du soleil. Au village, les odeurs sont parfois nauséabondes lorsque l’on s’immisce près de la plage et des entrepôts où sont entassés les poissons. Mais Médine est à l’écart de la criée. « À gauche puis à droite et on est arrivés », indique Mamadou. Il est le grand frère d’Ibrahima, un jeune milieu de terrain admis à l’institut Diambars pour la rentrée 2021-2022, reconnu pour avoir formé le milieu du PSG Idrissa Gana Gueye, ou plus récemment, l’attaquant de l’Olympique de Marseille Bamba Dieng.
Le dernier lionceau de la famille
Dans la cour, Ibrahima Baïlo Ba se tient droit. Il est vêtu d’un tee-shirt blanc à l’effigie de Diambars et d’un survêtement à carreaux assorti. Son sourire peine à dissimuler sa timidité. Il n’a que 10 ans. « J’aurai 11 ans au mois de décembre », précise-t-il. Même si c’est sa silhouette longiligne qui attire d’abord l’œil, c’est pour son aisance balle au pied qu’il a été retenu parmi les 23 nouveaux pensionnaires du centre de formation de Diambars. « C’est un profil box-to-box, il m’impressionne parce qu’à son âge, il sait déjà faire des passes millimétrées qui cassent les lignes », vante Mamadou. Trouver les intervalles, aller de l’avant, c’est ce qu’aime à faire le petit dernier d’une lignée de sept frères et une sœur. « Ce que je préfère au foot, c’est les belles passes. Et le marquage aussi, récupérer le ballon », expose le jeune footballeur, assis dans le canapé en bois du salon. Pour lui, Diambars, « c’est l’occasion de réussir dans le foot, c’était mon premier objectif ».
Ibrahima, dans la cour d’entrée de la maison de famille, à Mbour.
C’était également l’ambition de cinq de ses frères avant lui. « On s’est cassé les dents un par un aux détections, se souvient Mamadou, qui fête ses 30 ans cette année.J’ai passé les tests l’année de l’ouverture du centre, en 2003. J’aurais pu être dans la première promotion, mais ça n’a pas marché. » Puis ses petits frères l’ont malheureusement imité. Alors, quand le téléphone a sonné et que la voix de Dabo, responsable de la cellule de recrutement, a annoncé la nouvelle pour Ibrahima, c’est un sentiment de soulagement qui a parcouru l’ensemble du foyer. « Je venais de finir la prière quand j’ai entendu mon portable. J’ai ressenti beaucoup de bonheur et de fierté. Je me suis dit« Al hamdoulillah », puis j’ai appelé Ibrahima. Il était content, car on stressait ces derniers jours. Mais je lui ai dit tout de suite que ce n’était que le début du travail. »
Ibrahima Bailo Ba et son grand frère, Mamadou.
Celui qui voue une admiration sans borne à Thiago Alcántara ne lésine pas sur l’entraînement. Il se rend au stade chaque jour, « sauf le dimanche, car un joueur a besoin de repos », avec deux de ses frères, Alpha et Abdourahmane, 16 et 17 ans. « Je me lève à 6h30. Ensuite, je fais mes ablutions et ma prière, liste Ibrahima. Je prends mon petit-déjeuner, puis un taxi jusqu’au terrain de Nguerigne. L’après-midi, j’apprends le coran, puis je vais faire des exercices physiques à la plage, des courses et de la corde à sauter. Je reviens toujours fatigué. » Mamadou voit en lui « un grand passionné, engagé et dévoué ». Plus jeune, « il dormait en tenue de foot la veille des tournois pour être prêt au réveil », se souvient Alpha, provoquant le rire de son petit frère.
L’investissement acharné des aînés
À trois jours de la rentrée, Ibrahima ne compte pas déroger à la règle. Après s’être éclipsé du salon, il revient de sa chambre le sac de crampons sur les épaules : « On rejoint mes frères Alpha et Abdourahmane à l’alimentation et on va s’entraîner. » L’alimentation, c’est le commerce familial situé à Nguerigne, à près d’une demi-heure de Mbour. Au bord d’une route longée par le sable, sa devanture bleue est moderne. À l’entrée, des dizaines de packs de canettes se superposent. À l’intérieur, tout se vend, « le surgelé, le frais, les produits français, même les cigarettes », énumère Abdulaziz Ba, un oncle qui s’occupe du commerce.
Ibrahima et ses frères, Alpha et Abdourahmane, devant l’alimentation générale gérée par la famille.
Au magasin, Ibrahima, Alpha ou Abdourahmane ne mettent jamais la main à la pâte. « Je leur demande de se consacrer uniquement au football et à l’école. Même si un client arrive, qu’il demande quelque chose, c’est moi ou quelqu’un d’autre qui le renseigne », explique Mamadou, un grand frère « toujours présent pour les petits. Parfois il donne tout, à tel point qu’il peut se priver de manger », confie Abdulaziz, posté contre un réfrigérateur. Avec un père souvent absent, le rôle du grand frère prend tout son sens. « Notre grand-père, en Guinée, prend de l’âge, relate Mamadou. Alors notre père fait des allers-retours entre notre pays d’origine et le Sénégal. » Leur père, Alphousseyni, est arrivé au pays de la Téranga en bas âge, avec ses parents. Jusqu’en 2020, la famille vivait en Casamance, au sud du pays, sous la Gambie, avant de s’installer à Mbour, « pour le travail et les opportunités ». Comme celle de voir Ibrahima jouer sous les couleurs de la pépinière de Diambars, alors qu’il était jusque-là joueur de l’Étoile sportive de Bignona, près de Ziguinchor, depuis l’âge de cinq ans.
Car si tous les frères ont tenté leur chance, c’est bien le benjamin de la famille qui suscite le plus d’espoir. « Quand je vois Ibrahima, je me dis qu’il est spécial. À son âge, se lever aussi tôt pour faire la prière et aller s’entraîner, faire de la corde à sauter… Aujourd’hui, les jeunes ne font pas ça ! », admire Abdulaziz, le regard sur son neveu qui attend patiemment devant le magasin, le ballon entre les jambes. Avec ses deux frères, ils s’entraînent à quelques rues de là, sur un terrain en sable où le faux rebond est légion. Derrière les filets mal accrochés d’un but, trois chèvres broutent le peu d’herbe qui s’y trouve. Des enfants occupent déjà une des surfaces de réparation, mais ils s’improvisent réalisateurs en mimant, avec leurs claquettes, des caméras tournées vers Ibrahima et ses frères. L’heure est à la révision des gammes, avec des ateliers de contrôle, passe et un-contre-un devant le but. « Jouer avec ses grands frères lui permet de se frotter à des joueurs plus physiques dès le plus jeune âge », appuie Mamadou, l’œil sur Ibrahima au duel avec Alpha, de six ans son aîné.
Premier public, sur le terrain de Nguerigne.
À Diambars, talent doit rimer avec éducation
Onze heures, ce lundi 11 octobre. Ça s’agite à l’institut Diambars, créé par Saer Seck, Jimmy Adjovi-Boco, Bernard Lama et Patrick Vieira en 2003. Dans l’allée principale menant aux six terrains, les enfants de la promo 2021-2022 sont excités de démarrer un nouveau chapitre de leur jeune existence. La valise en main ou posée sous les fesses, tous ont le sourire facile, forcément pressés de découvrir les équipements fournis par la structure et ravis d’être enfin arrivés au bout du long tunnel de détection. « La promotion est la synthèse de tous les jeunes que l’on a vus sur l’ensemble du territoire national, glisse le président Saer Seck. Dans les phases préliminaires, c’est nous qui nous déplaçons dans les différentes contrées du Sénégal, pour voir le maximum de jeunes. Nous créons des sélections régionales, puis il y a une phase qui s’appelle le Festival national avec 350 garçons. De là, on en garde une cinquantaine, puis une trentaine, pour en sélectionner, par élimination, une vingtaine finalement. »
Ibrahima Bailo Ba, à l’écoute du président Saer Seck.
Cette année, vingt joueurs de champ et trois gardiens ont été admis. « C’est exceptionnel, c’est la meilleure promotion qu’on n’a jamais eue », s’enthousiasme Dabo, le responsable de la cellule de recrutement. « Au départ, Ibrahima n’était pas parmi ceux qui sortaient du lot, repense celui qui a repéré Bamba Dieng. Mais il s’est montré petit à petit. Il s’est bien rattrapé à la fin, sur les matchs, il a su montrer ses qualités. » Selon Dabo, le jeune milieu possède « du talent, il sent le football. Il est bon techniquement, il lit bien le jeu. On a beaucoup d’espoir avec Ibrahima parce qu’il a la discipline, le sérieux à l’école et le football. » Pendant que les enfants, nés entre 2009 et 2010, vêtent les tenues rouges de Diambars, les familles présentes pour la rentrée s’installent dans une salle de conférence divisée en deux : à gauche, les chaises des parents ; à droite, celles des joueurs. L’entourage d’Ibrahima est regroupé au fond de la salle. Sa maman est là, dans une longue robe, le visage sous un châle bleu à rayures blanches. Ses yeux brillent à l’arrivée de son enfant, entouré par ses nouveaux camarades. Les frangins Alpha, Abdourahmane et Mamadou semblent également être traversés par l’émotion.
Ibrahima Bailo Ba entouré de sa maman, et de Dabo, le responsable du recrutement de Diambars.
Face à eux, les éducateurs autour du président, Saer Seck. Son discours, en wolof, est limpide et axé sur l’éducation. « Il n’y a que l’apprentissage qui compte. Pas de vol, de tabac, d’alcool, de bagarre, ni même de téléphone portable ou d’argent de poche. Tout ce dont les enfants ont besoin, Diambars leur fournit, clame-t-il. Notre principe et notre philosophie, c’est que devant la porte d’entrée de Diambars, tous les jeunes sont dans une situation d’égalité. » Ici, les enseignements scolaires sont dispensés au sein de l’institut, tous les jours de la semaine à partir de 8 heures. « Le football est une industrie importante, mais il n’a jamais développé un pays », poursuit l’ancien vice-président de la fédération sénégalaise de football (FSF). Pour Ibrahima, moins réservé en présence de ses amis, « il n’y a pas d’inquiétude à avoir, son sérieux sur le terrain, il l’a aussi en dehors », rassure Dabo. Ce qu’il faut prouver désormais, c’est que la cellule de détection a vu juste.
Par Clément Teraha, à Mbour, Nguerigne et Saly
Photos : Clément Teraha.