- Angleterre
Ian Byrne : « Rashford contribue à changer le système de pensée individualiste de la société »
En Angleterre, les enfants issus de foyers dépendant de prestations sociales dont le revenu annuel ne dépasse pas 8335 euros – hors prestations – ont droit à des repas gratuits à l’école. Grâce à une campagne ultra-populaire menée par Marcus Rashford, les jeunes âmes seront aussi nourries pendant les vacances scolaires, et ce, au moins jusqu’à Pâques 2021. En 2015, Ian Byrne unissait, lui, supporters de Liverpool et d’Everton au sein des Fans Supporting Foodbanks, qui organisent des dons de nourriture sur les bords de la Mersey. Devenu député travailliste de West Derby, il avoue « une admiration sans borne » pour la star du grand rival mancunien.
Le gouvernement a d’abord refusé les propositions de Marcus Rashford visant à étendre les free school meals durant les vacances scolaires. A-t-il lui-même changé l’avis de Boris Johnson ? Le gouvernement a changé d’avis grâce à la colère exprimée par le public, à la pression populaire animée par le travail formidable effectué par Marcus Rashford. C’est aussi simple que ça. Il a parlé avec beaucoup de décence, d’humanité, et ça a touché les gens. Après le vote à la Chambre des communes, tous les élus conservateurs ayant voté contre en ont pris plein la figure sur les réseaux sociaux. Le problème, c’est que les conservateurs ont tendance à penser que c’est à la communauté de s’occuper des problèmes comme la pauvreté alimentaire. Alors que cela devrait être la priorité de n’importe quel gouvernement que ses citoyens puissent se nourrir. Si tu ne nourris pas les gens, la société ne peut pas fonctionner. Ce qu’il faut faire, c’est instiguer assez de honte au sein des conservateurs pour qu’ils acceptent de faire la chose juste. C’est ce que Marcus Rashford a fait, avec les millions de gens qui ont signé sa pétition et l’ont soutenu.
Vous étiez à la Chambre des communes le jour où le gouvernement a voté contre la motion de votre parti qui réclamait que 1,4 million d’enfants désavantagés reçoivent un bon alimentaire de 15 livres par semaine durant les vacances de Pâques 2021. Le gouvernement est donc revenu là-dessus, mais comment était l’ambiance, ce jour-là ? J’étais estomaqué par les déclarations de certains députés conservateurs. Ils n’avaient pas l’air de comprendre. Pour moi, qui viens d’un lieu où j’ai pu être témoin des ravages de la pauvreté alimentaire, c’est même étrange de les écouter. Certains disaient avoir eu une enfance pauvre, mais votaient quand même contre la loi. Pour moi, ça n’a aucun sens. La colère qui a suivi le vote dans tout le pays va dans ce sens-là. Beaucoup de députés ne voient pas forcément ce que je vois à Liverpool, mais des enfants bénéficient des free school meals dans toutes les circonscriptions de ce pays. Dans ma circonscription de West Derby, j’ai plus de 4000 gamins qui en bénéficient. Les gens ont raison quand ils disent que ça ne devrait pas être une question politique. On n’aurait même pas dû voter pour décider si les enfants ont le droit de manger pendant les vacances. La question ne devrait pas se poser.
Quel est le niveau de gravité de la pauvreté alimentaire dans l’Angleterre de 2020 ? C’est une catastrophe humanitaire. Il faut se rendre compte qu’il y a aussi beaucoup de gens qui refusent d’aller aux banques alimentaires. Ils survivent en silence, parce qu’ils ont honte de demander de l’aide. Tu peux voir sur n’importe quelle étude que le nombre de banques alimentaires augmente sans cesse depuis 2010. Avant l’austérité, on en voyait peu. Aujourd’hui, elles sont devenues essentielles, alors que leur existence même est une honte. Les gens ne devraient pas avoir à demander qu’on leur offre à manger. Mais, pour le moment, on en a besoin.
Pour vous, les conservateurs sont en partie responsables de la situation ?Absolument. Les mesures d’austérité qui ont commencé sous David Cameron sont en partie responsables de l’explosion des banques alimentaires. Mais c’est plus généralement le résultat du système dans lequel nous vivons. Un système qui ne marche pas depuis des décennies, bâti sur la précarité du travail, construit depuis Thatcher, qui s’est échiné à réduire le pouvoir des syndicats et de la négociation collective. Il y a 40 ans, tout était plus stable. De nombreux employés avaient des contrats qui leur donnaient des conditions de travail décentes, durement acquises depuis 1945. Aujourd’hui, des millions de gens vont d’une paie à l’autre, sans savoir si la prochaine paie tombera. On ne peut pas vivre comme ça. On ne peut pas planifier un quelconque avenir. L’impact psychologique est incalculable. On devrait tous se rebeller contre ça. C’est dans l’intérêt de tout le monde. Quelqu’un qui ne peut pas se confiner à cause de conditions économiques devient un danger pour toute la société. Que voulez-vous dire à un homme qui continue de travailler parce qu’il doit nourrir sa famille ? Il faut profiter de la situation actuelle pour réinitialiser toute l’économie, toute la société. On ne peut pas laisser les gens dans le caniveau.
Qu’est-ce que cela raconte de l’état de la politique en Angleterre qu’un footballeur ait une si grande influence ? Beaucoup de gens dans le monde ont l’impression d’un manque de leadership. Que Trump ou Johnson, ça ne suffit pas. Des décisions tragiques ont été prises dans ce pays qui ont coûté des vies depuis le début de la pandémie. Marcus Rashford, lui, est un jeune homme qui vient de sa communauté et ne l’oublie pas. En grandissant, il a eu besoin des repas scolaires gratuits. C’est difficile de lui dire qu’il ne connaît pas son sujet. Ce pour quoi il se bat, il l’a vécu. On ne l’écoute pas seulement parce qu’il joue pour l’Angleterre et Manchester United. Mais aussi parce qu’il parle bien, avec beaucoup d’humilité. Bravo. Mais, pour répondre à votre question, cela exprime que pendant trop longtemps, les priorités du gouvernement n’ont pas été les bonnes.
Pourquoi a-t-il fallu un joueur de foot pour changer les choses ? Il faut dire que les gens n’écoutent pas toujours les personnalités politiques. Ils sont un peu désespérés de la politique. Alors, de temps en temps, une autre voix, différente, à laquelle ils sont connectés, peut aider. Le football peut être un véhicule de ça. Jürgen Klopp, aussi, est un homme décent, qui veut prendre soin de sa communauté et de ses concitoyens. Ce sont ces gens-là qu’on aime actuellement et que l’on veut avoir comme leaders. Il y a beaucoup de gens très bien, dans le football. Les supporters qui contribuent aux banques alimentaires, les joueurs qui ont fait des donations de milliers de pounds, sans forcément en parler. Peter Moore, ancien PDG de Liverpool, nous a acheté un van pour que l’on puisse livrer des portions de nourriture. Le football est souvent diabolisé alors qu’il peut être une vraie force positive. Thatcher a impulsé un changement de société. À partir d’elle, on s’est moins occupé des autres et plus de soi-même. Alors qu’on a besoin les uns des autres. Changer ce système de pensée individualiste, c’est ce à quoi contribue Rashford. Il n’y a qu’à voir toutes les initiatives qu’il a déjà inspirées.
Diriez-vous que Rashford a déjà eu un impact profond sur la politique britannique ? Espérons. Il peut changer la façon dont les gens pensent à leurs concitoyens. Peut-être qu’il aura poussé les politiciens à réévaluer leurs priorités. Ce serait bien. Ce qu’il dit, c’est ce en quoi on croit à Liverpool. Donc espérons que ceux qui sont au pouvoir ont vraiment enregistré ce qu’il a dit, ce qui aiderait à changer les politiques du futur. Je pense utiliser ce qu’il a fait dans la promotion de mon combat : inclure le droit à la nourriture dans la législation. On pense que le droit à manger devrait être dans la loi. Cela ne devrait pas être au gouvernement de décider quand un enfant a le droit de manger ou non. J’espère que c’est une campagne à laquelle il souhaitera participer.
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Propos recueillis par Thomas Andrei