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I can’t get no satisfaction
Vu les attentes placées en elle et l'engouement né de la victoire contre l'Argentine, l'équipe de France subirait un véritable crash en cas d'échec. Et alors qu'en 2014, on pouvait trouver quelques motifs de satisfaction malgré la défaite, cette fois, les Bleus n'ont aucune chance d'en sortir la tête haute.
Le sous-titre fait dans l’informatif. « 10h45 : aéroport de Moscou. » Les globe-trotteurs, les hommes d’affaires et ceux qui passent leur temps libre à jouer à Flight Simulator hausseront un sourcil, heurtés par tant d’imprécision. En effet, la capitale de la Russie compte trois aéroports internationaux différents. Mais quand on est le community manager de la FFF, on ne s’encombre pas avec ce genre de détails. Ce jeudi 5 juillet 2018, comme chaque jour depuis que la Coupe du monde a commencé, la chaîne Youtube de la FFF a publié un clip de quelques minutes dans lequel on aperçoit les Bleus faire un peu tout et n’importe quoi, histoire de nous rappeler qu’ils sont quand même vraiment sympas. Filmé à l’arrache dans le couloir d’un aéroport moscovite – brisons le mystère, il s’agit de l’aéroport de Moscou Sheremetyevo –, valise à la main et casquette sur la tête, Blaise Matuidi n’a pas l’air d’avoir envie de parler. Alors sa phrase commencera à 10h45 pour s’achever à 10h45 : « Direction l’épisode 6, on espère. » Six mots pour parler de l’éventuelle demi-finale comme s’il s’agissait du prochain épisode d’une série Netflix, et le tout sans même fixer l’objectif. L’échange est bref, certes. Mais il est révélateur d’une chose : les joueurs de l’équipe de France ont tout sauf envie de rentrer à la maison. Car vu le potentiel qu’ils ont démontré, une défaite cet après-midi contre les Uruguayens serait bien plus qu’une déception. Il s’agirait d’un véritable gâchis.
Coït interrompu
Si on devait mourir demain ? Vaste question, sur laquelle les plus grands se sont penchés. Pascal Obispo et Natasha St-Pier ont décidé qu’ils s’aimeraient, et c’est tout à leur honneur. Hier et les jours qui ont précédé, les joueurs tricolores ont préféré faire du vaudou pour chasser cette devinette de leur esprit et se concentrer sur leur unique objectif : passer au tour suivant. Hugo Lloris, au micro de l’auditorium du stade de Nijni Novgorod, hier soir : « On y va étape par étape(…)nos têtes sont bien focalisées sur l’Uruguay. » Blaise Matuidi, un jour plus tôt, à Istra : « On est complètement sur l’Uruguay. On a un objectif, c’est de passer les quarts et on va faire le maximum pour que ce soit le cas. »
Passer en demi-finales permettrait dans un premier temps de satisfaire les huiles, à commencer par Noël Le Graët, qui avait pris la parole le 14 juin dernier pour déclarer : « L’objectif pour nous, c’est le dernier carré. » Au-delà de rendre heureux les quinze bureaucrates de la FFF qui fêteront la victoire en mettant leur cravate autour de leur front, les Bleus ont surtout à cœur de surfer sur la vague créée par le 4-3 de samedi dernier. « On ressent l’engouement qu’il y a derrière l’équipe de France » , complétait ainsi Lloris, l’air de vouloir être à la hauteur de ce qu’on attendait de lui et de ses gars. Il faut dire que pour presque 66 millions de Français, une défaite ressemblerait à un horrible coït interrompu. Et ce peu importe le scénario du match.
Marche ou crève
On a l’habitude de dire qu’il y a perdre et perdre. Il y a prendre une rouste et se ridiculiser devant le monde entier, et tomber les armes à la main après s’être mis carpette sur le terrain. C’est cruel à dire, mais pour l’équipe de France, aujourd’hui, il y aurait juste perdre. Même en étant héroïques, les Bleus laisseraient un goût d’inachevé. Dans la bouche des supporters, évidemment, mais avant tout dans la leur. Quelque chose d’immensément amer, un truc tenace qui mettrait un temps fou à s’en aller. S’ils prennent une taule, Deschamps et ses joueurs seront grand-guignolesques. S’ils perdent sur un tout petit score, il n’y aura personne ou presque pour parler de ce concept étrange, mais parfois pertinent qu’est la « défaite encourageante » , contrairement à 2014.
Une époque finalement lointaine où les Bleus étaient aussi arrivés en quarts de finale, mais dans un contexte totalement différent. Et même s’ils s’étaient fait sortir, la machine à excuses avait tourné à plein régime, et la plupart d’entre elles avaient été acceptées par le prof principal intraitable qu’est l’opinion publique. Car une défaite 1-0 contre le futur champion du monde à cause d’un duel perdu par un défenseur de 21 ans, ça reste honorable. Tout le monde rentre à la maison les mains propres et la conscience à peu près tranquille, et rendez-vous dans quatre ans. « On est à notre place » , avait commenté Deschamps après le match. Impossible de l’imaginer prononcer une telle phrase ce soir, et la France aborde son quart de finale avec un petit côté « marche ou crève » . Et la furieuse envie d’avoir l’occasion de tourner d’autres vidéos dans les aéroports russes dans les prochains jours.
Par Alexandre Doskov, à Nijni Novgorod