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Hulk : « J’ai vu des gars s’écarter devant ma frappe »
La saison passée, Givanildo Vieira de Sousa, dit Hulk, est revenu jouer au Brésil. Avec l’Atlético Mineiro, il a remporté le championnat, la coupe nationale et le championnat régional du Minas Geras. Meilleur buteur du club avec 36 pions, l'attaquant a la Coupe du monde 2022 dans le viseur, alors qu'il facturera 36 ans. Choix de carrière, surnom, transpiration, Brésil-Allemagne, on passe tout en revue.
Vous avez été élu meilleur joueur du championnat et de la coupe l’année dernière, et l’Atlético Mineiro a réalisé le triplé. Après 17 ans d’exil, c’est un beau retour au pays, non ?C’est pour ça que je voulais revenir ici à 34 ans : amener le titre à l’Atlético Mineiro cinquante ans après le dernier.
Le championnat brésilien n’est-il pas trop faible pour vous ?Non, pas du tout. Ici, même les équipes moins fortes sur le papier ont des joueurs de qualité, on est au Brésil !
Vous avez dit qu’il était plus facile de jouer au foot au Brésil qu’en Chine, où vous avez passé quatre saisons. Qu’entendez-vous par là ?C’est difficile à comprendre pour qui ne vit pas le football au jour le jour. En Chine, le football, c’est récent, il se développe, ils ont décidé de limiter le nombre d’étrangers par équipe à quatre joueurs. Ça ne veut pas dire qu’il y a moins de qualités, mais ici au Brésil, c’est plus facile de jouer avec les autres, notamment parce qu’on a beaucoup de joueurs d’expérience, qui sentent le foot. C’est logique en fait : il est plus facile de jouer au sein d’une équipe comme le Real Madrid ou le Barça que dans une petite équipe. En Chine, j’avais beau jouer devant, je devais parfois énormément redescendre pour toucher le ballon.
C’était comment, le championnat chinois ?C’était une énorme surprise quand je suis arrivé là-bas, parce que c’était à Shanghai, je me dis : « Mec, c’est le plus grand pays au monde, tout doit être immense. » Sauf qu’en fait, quand je suis arrivé au club en 2016, on devait amener nous-mêmes notre matos pour les matchs. On n’avait pas le droit d’échanger nos maillots à la fin aussi. Aujourd’hui, ça a changé, Shanghai a un gros stade, des équipements, tout a évolué. Mais moi qui m’attendais à quelque chose d’extraordinaire, je suis arrivé, et ils étaient encore en construction.
Et la vie de tous les jours ?J’étais dans une ville immense, pourtant, c’est là-bas que j’avais la vie la plus tranquille. Je pouvais aller faire les courses, des balades dans la rue. Certains fans venaient prendre des photos, mais là-bas, les supporters sont plus en train de te filmer ou prendre en photo de loin, plus ou moins discrètement (il mime) avec leurs portables. Je me déplaçais en vélo, j’allais faire du shopping avec mes enfants. Et puis les supporters étaient adorables, ils me donnaient des cadeaux pour mes enfants, surtout après le titre en 2018. J’étais capitaine, et le club n’avait jamais gagné le championnat. C’était un amour différent qu’à Porto, où c’était difficile de sortir en public. Même avec mes enfants, les gens voulaient des photos, tout le temps.
À Porto justement, vous étiez adoré, même si votre arrivée était difficile…C’est clair que l’image que j’avais, celle d’un Brésilien qui venait du Japon, ce n’était pas courant. Personne, encore moins que maintenant, ne regardait les championnats asiatiques. En fait, j’ai dû faire face à des préjugés parce que les gens ne me connaissaient pas, tout simplement. Pour Porto, c’était un risque de me faire venir, je n’étais pas étiqueté comme un crack. Pour moi, c’était un énorme test, et en fait, c’est devenu le plus grand tremplin de ma carrière. Au bout de trois mois, j’étais titulaire, les supporters m’aimaient, l’année suivante j’étais appelé avec la Seleção, tout est allé très vite. Les gens n’ont pas eu le temps de douter de moi.
Y avait-il aussi des préjugés liés à votre physique ? Vous étiez loin du prototype de l’ailier brésilien…Pas vraiment non, parce qu’au-delà de ma force physique, mon style, ce n’était pas d’être le mec qui utilise ses coudes pour se faire de la place, qui joue dos au but, au contact du défenseur. À mon époque Porto et Zénith Saint-Pétersbourg, je jouais tout le temps face au jeu, j’aimais provoquer en dribble, rentrer sur mon pied gauche, chercher à déborder, à faire une passe en profondeur. J’ai toujours utilisé davantage l’explosivité que la force.
Mais du coup ce surnom de Hulk, il vous a aidé ou pas ?Pour l’image de marque oui, parce qu’on associait ça à ma capacité à marquer des buts hors de la surface de réparation, à pouvoir tirer fort et vite. J’ai vu des mecs du mur adverse grimacer parce que j’allais tirer un coup franc. J’ai même vu des murs se disloquer aussi, des gars s’écarter devant ma frappe. Aujourd’hui encore, on me fait la blague dans le vestiaire, on dit que j’ai beaucoup de force. Du coup, c’est plutôt une bonne coïncidence que mon père m’ait donné ce surnom.
Ça n’a rien à voir avec la force physique ?Quand mon père m’a donné ce surnom, j’avais trois ans. J’étais tout petit et j’aimais bien imiter Hulk à la maison, alors mon père a dit : « On va t’appeler Hulk. » Certains ont dit que ça venait du Japon, parce que je jouais dans une équipe avec un maillot vert (Tokyo Verdy), mais c’est juste une coïncidence ! Quand mon père a décidé de me surnommer comme ça, il n’avait aucune idée de mon futur physique d’adulte. D’ailleurs pendant longtemps, j’ai été petit, j’avais une jambe tordue. Ce n’est qu’à 15 ans que j’ai commencé à m’allonger, me développer physiquement. Mais le surnom de Hulk n’a rien à voir avec mon physique.
Cette image de marque, ce physique, vous l’entretenez ? Vous faites plus de musculation que les autres ?Pas du tout, je n’ai pas le temps ! Beaucoup de gens pensent que je fais beaucoup de musculation, mais avec les matchs, les entraînements, c’est compliqué. J’y vais seulement quand on a des vacances, mais avec parcimonie, parce qu’en fait, j’ai beaucoup de facilité à prendre du muscle, donc du poids, et j’ai peur de perdre en agilité si je vais trop à la salle. Donc non, pour revenir à la question, je ne soulève pas beaucoup de fonte, je pense que c’est génétique. Il y a aussi une enfance de travail qui m’a forgé, j’ai travaillé dès 8 ans avec mes parents au marché central de Campina Grande. Je devais porter des grosses quantités sur le dos. Peut-être que c’était ça, ma salle de sport.
C’est vrai que vous perdez jusqu’à cinq litres de transpiration par match ?C’est vrai. En Chine, surtout, je souffrais de déshydratation, je transpirais énormément, il m’arrivait d’avoir des crampes, je récupérais moins vite après les matchs. En plus de ça, ça vous fatigue mentalement, vous tombez plus facilement malade. J’ai même attrapé une allergie en Chine. Je transpirais tellement que ma peau me grattait. J’ai alors fait des analyses, et ils ont fini par trouver un traitement pour stopper l’allergie. Quand je suis arrivé au Brésil, j’ai voulu faire le point. J’ai discuté avec mes médecins, ceux du club, le préparateur physique, le nutritionniste : j’ai l’impression que ça a très bien marché, puisque que je n’ai jamais joué autant de matchs dans ma carrière que la saison passée !
Il y a un remède miracle alors ?Déjà, je ne sais pas pourquoi je transpirais autant en Chine. Le climat humide ? La pollution ? Je ne sais pas, mais en arrivant au Brésil, ils m’ont fait prendre un traitement à base de sels minéraux. Avant les matchs, je prends des sels, je bois beaucoup d’eau, ça fonctionne, c’est ma routine maintenant.
Quand on regarde votre carrière, on voit un attaquant qui marque des buts absolument partout où il passe, qui gagne des titres partout. Il y a un regret de ne pas avoir joué dans un immense club européen ?Je n’ai aucun regret sur mon parcours, je suis fier, heureux des choses que j’ai pu accomplir. On peut toujours faire des hypothèses. Si j’avais gardé ces statistiques de Porto dans un grand club d’Italie, d’Angleterre ou d’Espagne, bien sûr que la reconnaissance pour ma carrière serait tout autre aujourd’hui. J’ai croisé plein de coéquipiers ou d’adversaires dans ma carrière qui m’ont dit : « Tu méritais de jouer en Premier League, au Real, au Barça », mais bon. En vérité, personne ne sait ce qui serait arrivé si j’étais allé là-bas. Moi, j’ai une grande foi en Dieu, je suis reconnaissant pour le parcours de vie que j’ai eu, je ne me repens d’aucune décision que j’ai prise.
Avec Porto, vous finissez sur une victoire en Ligue Europa et une saison à 21 buts. Vous rêviez de Chelsea, vous vous retrouvez au Zénith…Je me répète, je n’ai pas l’habitude de me repentir de mes choix. Ma décision d’aller à Porto était la bonne. Celle d’aller au Zénith aussi. J’ai été vendu à une valeur très haute en Russie(entre 50 et 60 millions d’euros selon les sources, NDLR), ma valeur est restée haute, puisque j’ai encore été très bien vendu en Chine (43 millions d’euros) quatre ans plus tard. Ça, j’en suis fier, on parlait toujours de moi sur le marché comme d’un joueur avec de la valeur. Et puis partout où j’ai joué, les supporters me donnaient de l’amour, on me demandait des photos, je suis reconnaissant de tout ça, pas de regrets.
Il faut qu’on parle de Brésil-Allemagne, cette défaite 7-1 lors de la demi-finale de Coupe du monde 2014 disputée chez vous. Vous étiez titulaire. Quel souvenir gardez-vous aujourd’hui de ce match ?Avant le match, malgré la blessure de Neymar, on était confiants, on avait un plan. Le professeur Felipão (Luiz Felipe Scolari, le sélectionneur) avait en tête de remplacer Neymar par un milieu de terrain, Luiz Gustavo, pour former un milieu à quatre avec Fernandinho, Paulinho et Oscar. Moi, je devais jouer devant avec Fred. Ça devait nous permettre de mieux contrôler le milieu de terrain, où les Allemands étaient très forts. On pensait tous qu’on allait jouer à quatre au milieu. Mais à notre grande surprise, Scolari a décidé de titulariser Bernard dans le même rôle que Neymar, à l’aile.
Ça vous a perturbés ?On était surpris, mais on restait confiants. Notre faute a été de ne pas avoir été assez concentrés. On pensait qu’on allait gagner, alors comment on pouvait être menés si largement si vite ? On a pris des buts inexplicables. Après, il existe un monde dans lequel on marque sur une de nos occasions précédentes. À un moment, je centre pour Oscar, mais Neuer sort bien. Il y a aussi une frappe de Marcelo. À 1-0 pour nous, ce n’est pas la même histoire, c’est le football ça, les gens ne comprennent pas parfois. Le football est une boîte à surprises. Si on rejoue dix fois ce match avec les mêmes équipes, qu’est-ce qui se passe ? Personne ne le sait, mais probablement que ce scénario catastrophique ne se reproduit pas une seule fois. D’ailleurs, c’est pour ça que personne aujourd’hui n’arrive vraiment à expliquer ce qui s’est passé.
Et à la mi-temps, c’était comment dans le vestiaire ?Il y avait déjà 5-0, mec… L’ambiance était très mauvaise, on essayait un peu de se tirer vers le haut les uns les autres. Le sélectionneur a tenté d’apaiser l’équipe, il a fait quelques changements (Hulk est notamment remplacé par Paulinho, NDLR). Le but était surtout de ne pas prendre plus de buts. Comment tu veux renverser un 5-0 en demi-finales de Coupe du monde ? Bon, même en fermant un peu le jeu, on en a ensuite pris un sixième et un septième. Personne n’oubliera jamais cette défaite. Après le match, personne n’arrivait à parler. On pleurait tous, on avait perdu notre rêve, et en plus de cette manière, devant tout le pays, les supporters, nos familles qui étaient au stade. C’était dur, et c’est pour ça que je crois qu’il faut être extrêmement fort mentalement pour durer dans le foot : tu vas passer par des moments difficiles, mais il faut se relever très vite. Après, c’est sûr qu’ici, tout le monde se rappellera toujours qui était sur le terrain pour ce match.
Vous êtes revenu en Seleção la saison passée. La prochaine Coupe du monde, vous avez envie la jouer ?
(Il rit.) Si tu poses la question à deux millions de joueurs, ils vont te répondre « oui » . Il faut que je prenne soin de moi, que je sois performant, que l’équipe soit performante aussi, c’est pour ça qu’en ce moment, la préparation physique est intense avec le Galo (surnom de l’Atlético Mineiro), on va défendre nos titres, jouer la Libertadores. C’est difficile pour un sélectionneur de choisir 23 gars. Au Brésil, tu te retrouves avec plein d’options de qualité.
Les années de Mondial, c’est aussi les années présidentielles au Brésil. Pour vous, le rôle du footballeur, c’est de donner son opinion ou pas ?Je pense que oui. À partir du moment où ce n’est pas calculé, où il n’y a pas d’entente avec untel ou untel, je crois qu’on peut donner notre opinion, mais personne n’est obligé de le faire. Personnellement, je ne parle pas de politique, jamais. Je pense que c’est un métier difficile, et que les gens les pointent souvent du doigt alors que gérer un pays de cette taille, le représenter dans le monde, c’est forcément compliqué. Pour moi, le problème qu’on a, c’est qu’on est un pays riche, mais qu’il y a plein de pauvres. Je n’ai pas de solutions, c’est pour ça que j’évite de parler de politique. Mais comme tout le monde, je connais les problèmes de mon pays : la pauvreté et la corruption.
Que pensez-vous de Jair Bolsonaro ?Je ne peux rien dire de mal. Comme je l’ai dit, le problème c’est la corruption, et de mon point de vue, il n’a pas été impliqué dans de grands scandales pendant son mandat. Pour le reste de sa politique, je trouve ça difficile de juger, le pays est tellement grand, je crois que je n’ai pas les connaissances suffisantes. Ce que je peux espérer pour mon pays, c’est moins de pauvreté, je pense que le salaire minimum devrait être réajusté, il est trop bas aujourd’hui. Je viens d’une famille pauvre, d’une région pauvre, d’une favela de Campina Grande. J’essaie d’aider plusieurs associations, de faire ce que je peux dans cette région du Paraíba qui est si pauvre. Malheureusement, on ne peut pas aider le monde entier, mais je fais ce que je peux, comme beaucoup d’autres personnalités publiques.
Quand le mot « Pérou » déclenche le fou rire des Brésiliens en conférence de pressePropos recueillis par Alexandre Berthaud