Une équipe née en 2014
2 mars 2014, Pristina, capitale du Kosovo. Dans trois jours, la sélection kosovare va jouer le premier match international de son histoire (0-0 face à Haïti). Le sélectionneur, Albert Bunjaki, a convoqué ses nouveaux joueurs devant un tableau blanc. Il leur pose une question simple, basique : «
Mettez-vous par trois, vous avez cinq minutes.(…)
Réfléchissez à trois et écrivez pourquoi vous êtes là. » La scène est captée par les caméras d’
Intérieur Sport. Cinq minutes plus tard, Bunjaki liste les réponses : «
« être fiers
« , « historique
« , « Kosovo
« , « représenter le pays
« , « l’amour de la nation
« … Tout est lié à l’émotion, l’émotion, l’émotion » , insiste le sélectionneur, avant de dévoiler une nouvelle feuille du tableau noircie par deux lettres et quatre chiffres : WC 2018. «
Mais voilà l’objectif : la Coupe du monde. »
La sélection comme porte-drapeau d’un État non reconnu
Deux ans après son baptême du feu, le Kosovo est admis comme 210
e membre de la FIFA. Et le message d’Albert Bunjaki prend alors tout son sens : le Kosovo s’apprête à disputer les éliminatoires du Mondial organisé en Russie, un pays qui, paradoxalement, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, bloque la reconnaissance du statut indépendant du Kosovo proclamé en 2008. Si le Kosovo n’est pas un État membre des Nations unies, alors il reste le sport pour exister aux yeux de la planète. Deux figures s’imposent : la sélection de football et la judoka Majlinda Kelmendi, médaillée d’or à Rio, lors de la première olympiade où des athlètes ont pu participer sous les couleurs du Kosovo.
La diaspora venue de toute l’Europe
Le Kosovo est là, mais où sont les joueurs ? En 1998-1999, plus d’un million de Kosovars ont choisi l’exil. Au-delà de la guerre, il y a ceux qui ont fui le régime de Milošević et ceux qui sont partis – ou partent encore – en quête d’une vie meilleure faute d’opportunité de travail. Allemagne, Suisse, Norvège, Suède… Aujourd’hui, de nombreuses sélections de jeunes comptent dans leurs rangs des fils de réfugiés qui pourraient un jour porter le maillot du Kosovo. Mais que faire pour ceux qui avaient déjà joué pour leur sélection nationale d’adoption ? En 2016, le président de la Fédération kosovare, Fadil Vokrri, demande une dérogation auprès de la FIFA. Requête acceptée. Voilà comment le jour J du premier match des éliminatoires du Mondial 2018, neuf joueurs de la diaspora ayant déjà porté le maillot d’une autre sélection sont autorisés à endosser la tunique des
Dardanët : Fanol Perdedaj, Enis Alushi, Bersant Celina, Elbasan Rashani, Hekuran Kryeziu, Albert Bunjaku, Sinan Bytyçi, Vedat Muriç et Erton Fejzullahu.
Un point d’entrée
«
Objectif : Coupe du monde. » Deux ans et demi plus tard, le discours du sélectionneur Albert Bunjaki résonne comme jamais ce 5 septembre 2016. Les
Dardanët se déplacent en Finlande pour le premier match des éliminatoires. Un match historique, mais d’abord un match à jouer, une occasion à saisir. «
On savait que c’était la seule équipe de notre groupe qu’on pouvait vraiment accrocher, nous confiait le gardien et capitaine de la sélection kosovare, Samir Ujkani, il y a quelques mois.
Les vingt premières minutes ont été difficiles, j’ai dû sortir une grosse parade, puis on prend un but sur corner qui nous a finalement libérés. Derrière, on a fait un match spectaculaire, sans jamais jeter le ballon, on touche la barre, leur gardien fait un arrêt miracle, et on égalise. » Premier match officiel, premier exploit : le Kosovo arrache le match nul 1-1 !
Des défaites, mais des matchs accrochés
Après avoir tenu en échec la Finlande chez elle lors du premier match, le Kosovo n’a enchaîné que des défaites. Mais à y regarder de plus près, il n’avait rien d’un faire-valoir pour ses adversaires. Hormis une claque reçue face aux Croates 6-0, le dernier du groupe a vendu chèrement sa peau face à des sélections mieux armées comme la Croatie, l’Ukraine, l’Islande et la Turquie. Le meilleur exemple étant le match retour en Croatie, à Zagreb, où les
Dardanët ont regardé dans les yeux leur voisin des Balkans pendant toute la rencontre, s’inclinant seulement sur un coup de tête de Vida à un quart d’heure de la fin.
Des matchs « à domicile » en Albanie
À l’instar de Gibraltar, qui délocalise ses rencontres au Portugal, le Kosovo ne joue pas ses matchs à domicile chez lui, faute de stade d’envergure sur son territoire. Les
Dardanët accueillent leurs matchs officiels à Shkodër, au nord de l’Albanie. Soit à quatre heures de route à travers les montagnes du Prokletije depuis la capitale kosovare, Pristina. Ce qui n’a pas empêché les 16 000 billets du stade Loro-Boriçi de trouver preneur «
en l’espace de deux ou trois heures » – selon le secrétaire général de la Fédération kosovare, Eroll Salihu – lorsque le Kosovo a reçu la Croatie.
Le Rouge et le Noir
Avant l’avènement de la sélection du Kosovo, la majorité albanaise de la population kosovare supportait l’Albanie, forcément. Certains, parce qu’ils attendaient que l’UEFA et la FIFA reconnaissent le Kosovo, d’autres parce qu’ils ont combattu pour le drapeau rouge et noir sous l’uniforme de l’armée de libération du Kosovo. De fait, beaucoup de Kosovars restent fidèles aux Aigles noirs. C’est le cas d’Albert Kastrati, le capo des ultras du FC Pristina. «
J’aime le Kosovo autant que l’Albanie, témoignait-il dans le
SO FOOT #141, paru à l’automne dernier.
Mais le Kosovo n’est qu’une partie de l’Albanie. Je n’aime pas le drapeau, il est faux. Ce ne sont pas nos couleurs. » Le drapeau ? La carte du Kosovo surmontée de six étoiles blanches symbolisant les six principales ethnies qui le composent, sur fond bleu. Une bannière artificielle, en somme, quand les partisans de la réunification militent pour le drapeau de la « Grande Albanie » –
celui qui avait mis le feu aux poudres en atterrissant sur la pelouse de Belgrade guidé par un drone lors d’un Serbie-Albanie, en 2014.
Des promesses à tenir
Pays le plus jeune d’Europe, le Kosovo est à l’image de la société sur le terrain : jeune et dispatché dans des clubs albanais, suisses, allemands, autrichiens, néerlandais, suédois, norvégiens… Seuls les gardiens remplaçants Bledar Hajdini (Trepça’89) et Visar Bekaj (FC Prishtina) évoluent au Kosovo. Vendredi dernier, devant l’Ukraine, la moyenne du onze de départ n’atteignait même pas 24 ans. Le joueur kosovar le plus accompli ? Sûrement Valon Berisha, le milieu de terrain du Red Bull Salzburg, quadruple champion d’Autriche, qui restera comme le premier buteur du Kosovo en compétition internationale. Sur les ailes, il faudra suivre Bersant Celina, prêté cette saison par Manchester City à Ipswich Town.
Difficile, aussi, de résister aux gestes techniques enivrants de Milot Rashica. Les
Dardanët ont de l’avenir, Albert Bunjaki en est certain : il vise désormais la qualification pour l’Euro 2020.
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