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Hugues Picon : « Si j’avais su, j’aurais fait le con après le match »
Hugues Picon s’est pris de passion pour une cause poignante : le Tibet. Après y avoir séjourné trois années, ce fana des Bleus a décidé de militer pour l’indépendance de cette province reconnue comme une région de la Chine. Jamais sans son drapeau tibétain et son maillot France 98 floqué du Dalaï-Lama, Hugues Picon a déboulé au pays des Tsars pour encourager la bande à Deschamps. Mais il n'a pas pu assister à la finale. La raison ? Soupçonné d'être un streaker dont le seul but était de défendre la cause tibétaine, il a été embarqué au poste de police.
Pourriez vous nous décrire votre parcours ?Je ne suis pas médecin comme ça a été dit, mais infirmier. J’habitais au Tibet, dans l’Himalaya, et ces trois années vécues là-bas de 1995 à 1997 m’ont beaucoup marqué. Le Tibet, c’est grand comme l’Europe. J’ai pu rencontrer le Dalaï-Lama. Je milite pour ce pays avec mon drapeau et mon fameux maillot (floqué « Dalaï-Lama » , NDLR).
Qu’est-ce qui vous a conduit au Tibet ?Médecins sans frontières m’a envoyé là-bas en mission. Je suis Grenoblois, donc j’aime bien la montagne. Le Tibet, je ne pouvais qu’accepter !
Comment vous est venu l’intention de militer pour l’indépendance du Tibet ?C’est un pays dont personne ne parle. Avec tous ces gens que j’ai vu torturés, stérilisés, tués, tout ça…
Le génocide de cette culture depuis 1950 a fait que je ne pouvais pas rester les bras croisés. Sachant qu’en plus, je suis l’un des très rares étrangers à avoir vécu là-bas.
Comment s’est passée votre arrivée en Russie pour la Coupe du Monde ?Je suis arrivé de Nice le 10 juillet, le jour de la demi-finale des Bleus contre la Belgique, à Saint-Pétersbourg.
J’avais un maillot de l’équipe nationale tibétaine et mon drapeau. On m’a laissé entrer sans problème. Ils ne fouillaient même pas à l’entrée du stade ce jour-là !
Pourquoi avez-vous amené votre drapeau du Tibet ?Je m’étais dit que je ferais un petit coucou à mes amis tibétains. C’était un clin d’œil. Un message que je voulais passer. C’est des gens qui aiment bien le foot aussi, ils adorent ça.
Vous avez eu l’occasion de voir des matchs ou de jouer au foot au Tibet ?Non, pas vraiment. À 3600 mètres d’altitude, on ne peut pas courir trop vite (Rires). Je me souviens par contre avoir joué au basket. Là-bas, le sport n’est pas très développé.
Pour en revenir au Mondial, comment avez-vous vécu cette demi-finale contre les Belges ?J’étais un peu stressé, je vivais le moment à fond. C’était sympa, j’étais avec mon fils âgé de 17 ans qui est franco-brésilien. En 1998, j’ai rencontré une Brésilienne, ma future femme, durant le tournoi. Le soir de la finale, j’avais dû la consoler toute la nuit. Du coup, je suis le seul Français à ne pas avoir fait la fête le 12 juillet 1998, et je suis également le seul Français à ne pas avoir vu la finale en 2018.
Vous avez-vous été recalé à l’entrée du stade juste avant la finale, c’est ça ?En fait, on avait tous nos badges, notre accréditation. En arrivant, je ne comprenais pas pourquoi la mienne ne fonctionnait pas. Un mec m’a dit d’aller voir le bureau de la FIFA. Mais moi, je ne voulais pas, je disais : « C’est pas normal ! » Il n’y avait pas de raison pour que je ne puisse pas entrer. Du coup, je n’ai pas bougé. J’étais là depuis 15h30 pour mettre mon drapeau derrière les cages. Des Russes en civil sont venus. C’était la sécurité, ils avaient des talkies walkies.
Je crois que c’était le FSB, le nom du nouveau KGB. Après, un mec est venu près de moi, je me suis dit : « Mais qu’est-ce qu’il fout ? Il me protège, là ? » Et en fin de compte, il ne me protégeait pas, il était là pour m’emmener. Après, un membre de la sécurité m’a montré sur son smartphone des photos de gens qui courent sur la pelouse, en les nommant « runners » (streakers, NDLR). Ils m’ont embarqué au commissariat. Contrairement à ce qui a été dit, je n’ai pas eu affaire à Interpol. Mais l’un des rares policiers à m’avoir interrogé a pris mes empreintes digitales et m’a ensuite invité à attendre l’interprète. J’ai poireauté, poireauté… Mais je me suis souvenu qu’il y avait la cérémonie d’ouverture, j’étais soulagé. Je me suis dit : « Il me reste encore une heure. » Dans ma tête, j’étais tranquille, j’allais voir la finale de la Coupe du Monde. Je croyais pouvoir voir mon match. C’était pas possible de louper ça !
Finalement, non. Vous regrettez ?Je suis très déçu mais je ne regrette pas trop. Les droits de l’homme sont tellement plus importants si on y réfléchit.
Si j’avais su, j’aurais fait le con après le match. Mais quand je vois tous les remerciements que j’ai reçus, je me dis que le foot est dérisoire par rapport aux enjeux mondiaux. Dans ma cellule, j’ai pensé aux Tibétains emprisonnés pendant des années.
Votre fils, lui, a pu pénétrer dans l’enceinte. Comment a-t-il vécu la finale sans son père ?Il ne s’inquiétait pas pour moi ! Il a l’habitude de voir son père en prison (Rires).
Est-ce vrai que vous avez tenté de vous évader ?C’est vrai. Disons qu’à la mi-temps, je leur ai dit : « Bon les gars, vous êtes bien gentils. Mais moi je me casse ! »
Mais je ne suis pas allé bien loin, c’était un commissariat rempli de policiers. Je me suis un peu battu, ils m’ont fait une clé de bras, m’ont pris par les jambes, m’ont soulevé du sol et ils m’ont mis dans le trou. Là, j’ai pris cette photo avec le maillot du Tibet dans le trou. Cette photo a fait le tour du monde tibétain, il y a 120 000 exilés dans le monde entier et 60 000 ont vu la vidéo et je n’arrête pas de recevoir des remerciements.
Comment avez-vous vécu votre retour en France ?Je suis rentré très fatigué. C’était dur pour moi. Je suis infirmier, je ne suis pas un délinquant, donc je n’ai pas l’habitude de me retrouver au trou à Moscou. Ça a été un peu dur mais j’ai repris le boulot comme tout le monde. J’ai eu besoin d’aller en montagne tout seul, retrouver mes esprits. Aujourd’hui, je me dis que je ne veux pas lâcher le morceau, je veux avoir des explications.
Vous avez porté plainte ?Je vais demander un remboursement et des explications auprès de la FIFA. J’ai également écrit au quai d’Orsay, bientôt à Macron. Je n’ai pas encore eu le temps de m’y plonger et je sais ce qu’on va me répondre. J’aimerais que l’on parle un peu du Tibet et que l’on rappelle que ce drapeau est interdit, ce qui est incroyable. Le Dalaï-Lama est un petit caillou dans les chaussures de la Chine et de Poutine.
Au fond, votre histoire est-elle la preuve que politique et football ne font pas bon ménage ?Bien sûr, c’est évident.
On connaît les liens entre la Russie et la Chine. On avait même mis le drapeau du Tibet à Nice dans le cadre d’un Nice-PSG, on nous avait demandé de l’enlever. J’étais très surpris. Tout cela est politique, on cherche à éviter tout problème pour continuer à vendre nos Airbus, notre énergie nucléaire, notre ciment Vicat, nos produits Carrefour.
Du coup, n’était-ce pas plus judicieux de mettre votre maillot floqué Dalaï-Lamaau nom de Bernard Lama ?(Rires) Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais mon maillot était floqué numéro 1 parce que Lama avait le numéro 1 en 1998.
Si j’avais su, j’aurais mis le 14 parce que c’était le quatorzième Dalaï-Lama. C’était un clin d’œil aux deux.
Les autres supporters français n’ont pas eu de réaction lorsque vous avez été recalé à Moscou ?J’étais un des premiers supporters à arriver, donc j’étais tout seul. Par contre, j’étais sur un groupe WhatsApp avec 200 supporters français environ, je leur ai demandé de l’aide quand j’ai été détenu et personne ne m’a répondu. Je ne leur en veux pas, mais ils m’ont supprimé du groupe le lendemain.
Pourquoi ?Parce que moi je parlais de politique et non de football. Et c’est vrai que tout le monde descend dans la rue pour acclamer l’Équipe de France, mais il n’y a personne quand il faut se battre contre des lois, contre Macron. Et c’est encore un autre problème quand on aborde les droits de l’homme. J’adore le foot, mais il y a des choses encore plus importantes, et j’espère qu’on en a tous conscience.
Propos recueillis par Mehdi Arhab