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Hugo Bueno, la pioche des Wolves
Titulaire régulier à Wolverhampton, Hugo Bueno vit un rêve éveillé. La trajectoire inattendue d’un latéral qui évoluait encore dans son village espagnol trois ans auparavant.
Quiconque tente de l’analyser se heurte à un mur. Saison après saison, Wolverhampton multiplie les performances neutres – illuminées en 2020 par un historique quart de finale en Ligue Europa (éliminé par le Séville FC) – et les transferts opaques. Succursale préférée du Gestifute de Jorge Mendes, l’écurie des West Midlands n’a rien de bien attirant. Pour y trouver un peu de fraîcheur, il faut alors fouiller dans son effectif et s’arrêter au nom d’Hugo Bueno. Un latéral gauche de 20 ans, débarqué trois ans en arrière d’une bourgade espagnole paumée.
Bueno’s dias
À 1400 kilomètres du Molineux, la Galice est rentrée dans le rang footballistique aussi vite qu’elle est apparue. Après les exploits du Deportivo La Corogne (champion d’Espagne en 2000) ou du Celta (huitième de finale de la Ligue des champions en 2004, demi-finale de la Ligue Europa en 2017), le nord-est de l’Espagne se trouve démuni. C’est pourtant sur la côte Cantabrique que Graham Clutton, scout chez les Wolves, décide de poser ses fichiers data à l’hiver 2018. « Monsieur Clutton était venu assister à un tournoi local, où jouaient les U16 de La Corogne et du Celta », rejoue Félix Rial, entraîneur toutes catégories du Club Deportivo Areosa. Rial s’occupe alors des gamins de 12 à 17 ans et, sans trop le savoir, va assister à l’éclosion d’un de ses protégés. « On était en octobre, et la nuit tombait assez vite. Comme Clutton avait du temps à tuer, il est venu voir l’un de nos matchs contre Porrino Industrial. Ce jour-là, Hugo était aligné à gauche, son jumeau Guille à droite. »
Car oui, Hugo Bueno a un jumeau : Guillermo, pendant du frangin sur la right wing. Les deux ados sillonnent leurs couloirs respectifs, en mettant la misère à tout ce qui bouge. « Je faisais jouer Hugo sur tout le couloir gauche, latéral et ailier en même temps, car je savais qu’il était au-dessus de tous les autres », martèle son éducateur. Quoi qu’il en soit, en cette soirée automnale, Hugo tape dans l’œil de Graham Clutton. Voyant ce gringalet aux jambes de feu débouler sur le synthétique 4G, le recruteur vrille, au point de prolonger son séjour d’une semaine, afin de bien cerner ce mystérieux phénomène. Au total, il supervisera Bueno sur quatre matchs, avec un diagnostic plus que favorable. Rial : « Ce qui a fait la différence pour Hugo, c’est qu’il parvenait à permuter. Trouver un ado de 16 ans capable de jouer en faux pied, c’est extrêmement rare. Même dans les meilleures académies. C’est le détail qui a fait la différence. »
Déprime et retrouvailles
En autorisant Clutton à entrer dans son bureau aux murs punaisés de calendriers, Félix Rial comprend qu’il vient de perdre son joueur. « Dès qu’il a toqué, j’ai su que c’était pour Hugo. Il m’a dit qu’il voulait le prendre au mois de janvier suivant (mercato hivernal 2019), pour une période six mois chez les U19 de Wolverhampton. Le mettre à l’essai, pour voir s’il y avait moyen de faire quelque chose. » Ces six mois se transformeront bientôt en sept ans. « J’ai été d’accord tout de suite, j’étais trop heureux qu’un de nos jeunes aille se faire les dents en Angleterre. Les parents d’Hugo aussi. Son père est courtier en assurance et sa mère avocate. Ils étaient donc très au fait des réglementations, du cadre juridique et toutes ses choses. Ils ont tout mis en œuvre pour que leur fils ne s’embarque pas dans un traquenard. » Arrivé dans le nord du Royaume, Hugo rejoint le foyer mis en place par le club pour les mineurs. En dépit d’un anglais approximatif, le lycéen s’affirme vite sur le pré et devient un élément inamovible de Scott Sellars, entraîneurs des U19 locaux.
Si le début d’aventure se déroule sans encombre, à la maison, tout se complique. Souvenez-vous, Hugo Bueno a un jumeau. Et la gémellité offre souvent une connexion aussi fusionnelle qu’irrationnelle entre ses membres. Guillermo Bueno souffre ainsi de l’absence de son frère, jusqu’à tout plaquer. « Après le départ d’Hugo, Guille était au fond du trou, se remémore Rial. Il me disait clairement que son frère lui manquait chaque jour et que le football l’intéressait de moins en moins. Ce qui lui a redonné l’envie de jouer, c’est une tournée que la réserve de Wolverhampton est venue faire en Espagne. Pour marquer le coup, ils avaient décidé d’emmener Guille avec eux, pour accompagner et faire plaisir à Hugo. » Grand bien leur en a pris, puisqu’en 2020, Guille intégrera l’académie du Deportivo La Corogne puis celle du Borussia Dortmund un an plus tard, où il évolue encore aujourd’hui.
Faim de loup
Parenthèse fermée, retour au cas Hugo. Au mois de juillet 2019, les six fameux mois d’essai arrivent à terme. Que faire pour les Wolves ? Le prolonger ou lui montrer la porte ? La solution viendra de beaucoup plus haut. Durant cette phase test, Nuno Espírito Santo, coach du groupe professionnel, se renseigne sur les talents de l’Academy et jette son dévolu sur cet Ibère inconnu. Grillant la politesse à ses dirigeants, le technicien portugais affirme son avis en proposant directement un contrat pro. 182 jours après être sorti de nulle part, voilà Hugo Bueno López devenu footballeur professionnel.
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D’un village au petit millier d’habitants, le latéral bascule dans le gigantisme de la Premier League sans étape intermédiaire. D’abord sous les ordres de Nuno et Bruno Lage, qui lui offriront ses premières convocations en A, avant de s’asseoir dans la rotation en cette saison 2022-2023, avec l’intérimaire Steve Davis (six matchs) et désormais Julen Lopetegui, son compatriote. 24 apparitions, dont 14 comme titulaire, et une sérieuse concurrence mise à Rayane Aït-Nouri et Jonny Castro, prédisposés au poste. « Vu le rythme auquel va sa carrière, je ne sais pas où se trouvera ce garçon dans dix ans, se marre Félix Rial. Mais à mon avis, on risque d’être encore positivement surpris. » Pari tenu.
Par Adel Bentaha
Propos de Félix Rial recueillis par AB.