- Premier League
- J15
- Stoke City-Manchester City
Hughes, le sacrifié de City
C'était en décembre 2009. Premier coach de l'ère Abu Dhabi à Manchester City, Mark Hughes était licencié au soir d'une victoire contre Sunderland. Pas assez beau, pas assez vainqueur, et trop anglais, l'ancien joueur de Manchester United fut remplacé par Roberto Mancini. Pour l'histoire.
Il a les mains sur les hanches. Son regard est vissé vers la pelouse. En arrière-plan, des anciens amis, d’ex-coéquipiers. Carlos Tévez se pose des questions. Il y a quelques mois, il était avec eux. Avec ces hommes en rouge, ces hommes qui exultent. Ce 20 septembre 2009, la nuit tombe doucement sur Old Trafford, alors que la Stretford End vient d’exploser. Michael Owen vient de faire basculer ce qui reste, à ce jour, comme le plus grand match de l’histoire de la Premier League. Manchester United vient de renverser Manchester City à l’ultime seconde d’une pièce incertaine. Quatre à trois. Il y a quelques mois, Carlos Tévez ne portait pas de maillot bleu ciel. Il y a quatorze ans, Mark Hughes, debout, derrière sa ligne, n’avait pas le logo de City brodé sur son costume. Lui aussi était un Red Devil. C’est même chez l’adversaire d’un jour qu’il a vécu ses plus beaux moments. Manchester City n’était alors qu’un voisin silencieux. Sauf que ce 20 septembre 2009, le club a définitivement changé d’état d’esprit : il ne veut plus se satisfaire du simple plaisir d’exister, il veut maintenant tout gifler et devenir un grand. « Le bon vieux temps où on considérait une saison réussie quand on avait obtenu un corner à Old Trafford » , comme l’expliquait un jour l’ancien leader d’Oasis et fan de City, Noël Gallagher, est bien terminé. Sir Alex Ferguson, lui, l’affirme : « Il va falloir s’habituer à ce City-là. »
Le choix du populiste
C’est au croisement de cette histoire du football moderne que l’on retrouve donc Mark Hughes. Lui, le gosse de l’académie de Manchester United, a bien été le premier visage sur le banc du City de la démesure. Celui qui a changé de dimension un après-midi d’été 2008. « C’était en août. Le club n’avait quasiment plus d’argent et avait déjà investi sur Jô (arrivé pour un peu moins de 25 millions d’euros du CSKA Moscou, ndlr), se souvient l’ancien milieu des Citizens Gelson Fernandes. L’argent a été débloqué à ce moment-là, Mark Hughes savait que quelque chose de gros se préparait, mais on ne pensait pas que ça serait quelque chose d’aussi énorme. » Hughes, lui, était arrivé sur le banc de Manchester City un peu plus d’un an plus tôt en remplacement de Sven-Göran Eriksson. City était alors dirigé par l’ancien Premier ministre thaïlandais, Thaksin Shinawatra, un populiste qui n’avait « pas une grande connaissance du foot » , si ce n’est un gros chéquier.
À son arrivée en 2007, Shinawatra avait pour objectif de remettre City dans le top 10. Sous sa présidence, le club terminera neuvième. L’homme Thaksin Shinawatra, lui, est activement poursuivi en Thaïlande pour corruption et atteinte aux droits de l’homme. Le Thaïlandais est populiste, détesté en son pays, mais réellement aimé à Manchester où sa volonté première était de changer le nom du club en Mancity. Seule trace laissée, un moment resté mythique, après une victoire en amical de présaison contre le FC Valence, où Thaksin Shinawatra prit le micro pour surjouer le Blue Moon de Sinatra. À l’été 2008, alors que le projet City commence à se structurer, Shinawatra ne peut plus investir, déjà. Abu Dhabi United Group Investment and Development United (ADUG), une société basée dans la capitale des Émirats arabes unis, pilotée par le cheikh Mansour, membre de la famille princière, rachète 90% des parts détenus par le propriétaire thaïlandais. L’officialisation tombe le 21 septembre 2008 sur le site officiel de Manchester City, mais la nouvelle direction agit déjà en coulisses. Robinho est recruté dans les dernières minutes au Real Madrid pour plus de 30 millions de livres, record de l’époque. Le Brésilien débarque à Manchester et se dit heureux de « rejoindre Chelsea, euh pardon, Manchester City » . Personne ne comprend quoi que ce soit, mais Hughes, lui, est maintenu.
Du coq sportif à Tévez
« Hughes a été très franc. Il m’a reçu dans son bureau, m’a parlé du nouveau projet et m’a dit que j’aurais ma chance vu que j’étais encore un jeune joueur. À Manchester, tout le monde était surpris, mais les supporters, eux, étaient contents, car jusqu’ici, ils étaient surtout frustrés » , détaille Fernandes. Battu en ouverture de championnat à Villa, City va alterner jusqu’à Noël entre les gifles mises et les claques reçues. Robinho carbure, inscrit même un triplé contre Stoke et un coup franc dès son premier match contre Chelsea, mais va vite s’éteindre alors que City grossit réellement lors du mercato hivernal 2009. Fernandes : « Robinho, c’était un grand espoir, mais on a surtout compris la mesure du nouveau projet quand on a vu débarquer De Jong, Bellamy et Wayne Bridge en janvier. » Le tout pour une enveloppe d’environ 45 millions d’euros. Le signataire, le cheikh Mansour, n’a toujours pas mis un pied à l’Etihad Stadium – « pas le temps » -, mais devient de plus en plus crédible alors que Wenger se demandait publiquement, quelques mois plus tôt, « pourquoi ces gens sont là. Il ne semble pas qu’ils soient là pour faire de l’argent. Donc s’ils ne sont pas là pour l’argent, est-ce qu’ils achètent ça pour l’amour ? »
City terminera le premier épisode de sa nouvelle ère à la dixième place et avec un quart de finale de Ligue Europa contre Hambourg dans le sac. Pas glorieux, mais la deuxième partie de championnat laisse apparaître des espoirs, alors que les anciennes folies commencent déjà à filer. Jô n’a inscrit qu’un but et est baladé en prêt. Robinho, lui, ne marque quasiment plus et partira six mois plus tard. Les campagnes publicitaires avec l’arnaque brésilienne sont alors remplacées par de nouvelles figures. Les produits s’appellent désormais Barry, Adebayor, Kolo Touré, Roque Santa Cruz et surtout, Carlos Tévez, arraché au voisin de United.
Hughes est rapidement réduit à un simple rôle d’animateur de colo. Le Gallois ne contrôle plus rien, n’a plus le choix et affirmera plus tard « avoir rangé, à ce moment précis, plusieurs de ses principes humains » . Son seul objectif est de faire avancer la machine. Rapidement, tout de suite et de gagner, gagner, gagner, sous peine de dégager sans phare. Gagner, City le tout-puissant va le faire très vite avec cinq victoires lors des six premiers matchs de la fin d’année 2009. Il y aura cette défaite encourageante lors du derby, puis une série de sept nuls, un succès contre Chelsea. Deux matchs plus tard, après une défaite à Tottenham, Manchester City est sixième et bat même Sunderland (4-3) à la maison. Le coq sportif du maillot a été remplacé comme le sponsor, devenu Etihad Airways. Ce qui ne brille pas est mis de côté. Manchester City veut grandir. Les traditions restent pourtant dans les tribunes. On aperçoit encore ces fêlés en tee-shirt bleu ciel malgré la température glaciale. Sur le banc, pourtant, Mark Hughes n’est plus assez clinquant. Le 19 décembre 2009, Sparky – son surnom en tant que joueur -, est éjecté d’un siège devenu de plus en plus convoité avec une question au bord des lèvres : pourquoi virer un entraîneur qui n’a perdu que deux matchs, avant Noël, et après lui avoir filé plus de 200 millions de livres pour faire son marché ? Pour un Italien avec des écharpes. Un mec qui répond au nom de Mancini et qui ramènera un titre en 2012 là où on ne gagnait jamais auparavant. Rien que ça.
Par Maxime Brigand