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Hopiho : « Au Cameroun, les cœurs ne sont toujours pas apaisés »
L’artiste camerounais Hopiho, installé au Canada, est revenu dans son pays pour assister à la CAN. Mais c’est un sentiment d’injustice qui le traverse actuellement, révolté autant par l’action du gouvernement local que par le cynisme des médias étrangers.
La bière K44 a coulé à flots au Cameroun dans la nuit du 29 au 30 janvier. La probante victoire des Lions indomptables sur la vaillante équipe gambienne a plongé le pays dans l’euphorie totale. Après une semaine particulièrement éprouvante, cette qualification pour les demi-finales de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) apporte un peu de baume au cœur d’un peuple meurtri. Il faut dire que le Cameroun avait besoin d’une raison pour se réjouir, car les derniers jours avaient été extrêmement éprouvants.
Longtemps attendue, maintes fois repoussée, cette édition de la CAN n’apporte pas la joie escomptée aux compatriotes de Samuel Eto’o. Loin de là ! Les sept derniers jours ont été plutôt douloureux pour la population camerounaise. Le 23 janvier dernier, un incendie dans une boîte de nuit de Yaoundé a fait une quinzaine de morts et des dizaines de blessés. Une mauvaise nouvelle ne venant jamais seule, le drame du stade d’Olembé est survenu quelques jours plus tard. Bilan : 8 morts et une trentaine de blessés. Quand on ajoute à cela les accusations de tricherie dont le Cameroun a été victime, on peut aisément comprendre le ras-le-bol de certains citoyens camerounais. Ils l’ont mauvaise, car leur pays est sans cesse vilipendé par des médias internationaux qui semblent plus intéressés par les polémiques que par le football africain. Ils en veulent à ces journalistes qui s’empressent de publier des informations calomnieuses sans faire de vérifications au préalable, et ils en veulent au peuple ivoirien également.
Alors qu’elle était de bonne guerre au départ, la rivalité entre Camerounais et Ivoiriens a tourné au vinaigre très rapidement. Les deux peuples, qui s’apprécient mutuellement, ont eu des propos durs l’un envers l’autre au cours des derniers jours. Les Camerounais n’avaient pas apprécié que de nombreuses personnalités ivoiriennes affichent ouvertement leur soutien aux Comores lors du tour précédent. C’est la raison pour laquelle l’équipe ivoirienne a été copieusement huée lors du match qui l’opposait à l’Égypte au stade Japoma. S’en est suivie une guerre des mots où la bassesse était à l’ordre du jour. Voyant les choses dégénérer très rapidement, de nombreuses personnes demandent le cessez-le-feu, mais les cœurs ne sont toujours pas apaisés.
Pour les dirigeants camerounais, la CAN permet surtout de mettre en veilleuse la grogne de leurs concitoyens. Au début de l’année, le gouvernement a imposé une taxe sur toutes les transactions effectuées sur les transferts d’argent. Entrée en vigueur le 1er janvier, cette nouvelle taxe a fait beaucoup parler au début de l’année : une vague de protestation est née sur Twitter, des internautes ont créé le hashtag #endmobilemoneytax. Alors que le mouvement semblait prendre de l’ampleur, la CAN est arrivée avec son lot de distractions. Les discussions sur le sujet ont commencé à se faire rares. Une fois de plus, le football a été instrumentalisé pour endormir les masses. Ce n’est pas tout. Au mois de décembre dernier, 47 militants du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) ont été condamnés à de la prison ferme. Leur crime ? Ils ont osé organiser des manifestations contre le président Paul Biya. Lorsque la CAN est arrivée, ce scandale a été relégué au second plan.
Si la victoire du Cameroun face à la Gambie a été accueillie avec autant d’enthousiasme, c’est surtout parce qu’elle a permis de rassurer les fans. Tout au long de la compétition, les Lions indomptables ont balbutié leur football. Les prestations étaient poussives : la défense camerounaise était poreuse, et le milieu de terrain avait du mal à imposer sa volonté. Les attaquants Vincent Aboubakar et Karl Toko Ekambi faisaient partie des rares satisfactions camerounaises. Contre la Gambie, tout cela a changé : l’équipe camerounaise a maîtrisé le match de bout en bout et a obtenu son premier clean sheet du tournoi. Désormais, le peuple camerounais n’a plus aucun doute : le trophée va rester à la maison et une sixième étoile va être brodée sur le maillot des Lions indomptables.
Alors que la CAN s’achève dans moins d’une semaine, il est légitime de se poser quelques questions sur l’avenir du pays de Paul Biya. Le Cameroun bénéficie maintenant de meilleures infrastructures, mais seront-elles bien entretenues ? Cette CAN a coûté cher, très cher. Qui va payer la dette colossale ? Poser ces questions, c’est y répondre. La mal gouvernance étant devenue la norme au Cameroun, c’est difficile d’entrevoir un avenir radieux. La fête du football africain s’achèvera le 6 février. Le lendemain, les citoyens camerounais risquent de se réveiller avec la gueule de bois. En attendant, n’interrompons pas la fête. À chaque jour suffit sa peine.
Par Hopiho