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Hong Kong will never walk alone
Il y a un peu plus d'un mois, Hong Kong s'est soulevée pour la première fois depuis que la ville est passée dans le giron chinois en 1997. Parmi les manifestants, des supporters de Liverpool hérités de la colonie britannique qui n'ont guère apprécié la déclaration d'un des membres du conseil législatif aux forces de police : « You'll never walk alone ». Reportage à Occupy Central avec les Reds hongkongais, entre les tentes et les parapluies.
On ne parle déjà plus d’eux et pourtant ils sont toujours là. Allongés sur des matelas ou à même le sol, attablés sur des bureaux de fortune construits au milieu de ce qui fut un jour une 2 x 4 voies, ou tout simplement debout, mégaphone au poing. Le mardi 28 octobre dernier, les milliers de jeunes hongkongais d’Occupy Central commémoraient l’attaque dont ils avaient été victimes un mois plus tôt, quand la police avait tenté de les déloger du centre-ville à coups de grenades lacrymogènes. Sur la scène principale, les intervenants se succèdent, certains accusent le chef de l’exécutif Leung Chun-ying, d’autres directement Pékin. Un guitariste reprend The Times They Are A Changin’ de Bob Dylan, avant de prophétiser « la chute de l’empire » . Autour, la Connaught road central qui sillonne à travers les gratte-ciels ultra modernes de Hong Kong est chargée de symboles comme une église gothique : des parapluies de toutes les couleurs pendent ici et là, les tentes sont recouvertes de graffitis, slogans ou dessins, le « Lennon Wall » , un mince passage en escalier, est placardé de milliers de post-it écrits en cantonais, anglais, mandarin, espagnol ou français. « Je n’ai pas besoin de sexe, le gouvernement me baise tous les jours » , proclame l’un d’entre eux. Le KFC du coin recouvre d’odeur de poulet la sortie C de la station de métro Admiralty, avisant sa clientèle d’une feuille A4 « Business as usual » placardée sur un rideau de fer. En face, une autre banderole est siglée du logo de Liverpool et dit ceci : « You’ll Never Walk Alone / Justice for 96 & 928 » .
« Même les fans de United ou de Chelsea ont donné de l’argent »
C’est ici qu’Ada Chan et deux autres membres des « Hong Kong Reds » , un groupe de supporters qui revendique plus de 800 adhérents, donnent rendez-vous. Ada porte un court short en jean, les cheveux longs et noirs des Hongkongaises et une veste Liverpool dorée ; ses collègues, le nouveau maillot de Mario Balotelli. « On a posé cette banderole en réaction à la violence policière, introduit Ada, alors que les manifestants affluent vers Occupy Central. 96, c’est en référence aux victimes du drame d’Hillsborough, sur lequel la nouvelle enquête en cours montre les manquements de la police. Et le 28/9, c’est quand les agents d’Hong Kong s’en sont pris aux manifestants avec des lacrymos, quand ils nous ont tirés dessus. Nous n’avions rien fait de mal, et la police n’avait pas le droit de faire usage de la force. Mais ils ne veulent pas reconnaître cela. » Il y a une autre raison à la colère de certains fans hongkongais de Liverpool. Le 16 octobre dernier, un des membres du conseil législatif, Tam Yiu-chung, a tenu un discours de soutien à la police, sous le feu des critiques suite à la charge du 28 septembre et après que 7 agents ont été filmés en train de tabasser un manifestant non armé dans une ruelle sombre. « You’ll never walk alone » , s’était emporté le conseiller dans son speech, sans doute peu au fait des choses du football anglais et prompt aux élans lyriques. « Ils n’ont pas le droit d’utiliser ce chant, notre chant, proteste Ada. Encore moins pour défendre la police, alors queYou’ll Never Walk Alone, on le chante en l’honneur des victimes d’Hillsborough. Depuis l’accident, nous ne cessons de demander justice, comme on demande aujourd’hui à la police de Hong Kong de reconnaître ses erreurs. »
La déclaration de Tam Yiu-chung, également président du DAB, le parti ouvertement pro-Pékin, a d’abord semé la haine là où beaucoup de choses commencent à Hong Kong, sur Facebook et les réseaux sociaux. Plusieurs centaines de supporters de Liverpool ont lancé une collecte pour s’acheter une double page dans le quotidien Apple Daily, où ils ont publié un communiqué condamnant l’emploi de la formule par le membre du conseil législatif. « C’est une grave insulte pour nous, soulignait celui-ci, concluant : nous ne demandons pas d’excuse de la part du conseiller Tam, nous avons compris que la vérité et la conscience ne s’appliquaient pas à tout le monde. » Dans une ville où la valeur des choses est d’abord mesurée par l’argent, la collecte a aussi montré l’importance de la colère publique en levant près de 70 000 HK$ (environ 7 200 euros). « C’était beaucoup plus que ce dont on avait besoin, sourit Ada, en traînant au milieu des milliers de tentes installées sur la route. Mr Tam a uni contre lui des supporters de toutes les équipes, même les fans de Chelsea ou de Manchester ont donné de l’argent, c’est bien la première fois qu’on pouvait se réunir et discuter ensemble sans nous disputer. On est en train de voir ce qu’on peut faire de l’argent récolté en plus, mais on pense le reverser à l’association des familles de victimes d’Hillsborough. » Toujours sur Facebook, plusieurs supporters répondent aux déclarations de Tam en proposant de se rendre à Occupy Central pour chanter « We’ll Never Walk Alone » . Le lendemain, vendredi 17 octobre, plusieurs dizaines de Reds viennent en veste rouge, et passablement remontés. À 20h, ils entament leur hymne pour se le réapproprier. Puis l’un d’entre eux monte sur la scène centrale, celle où Joshua Wong, Alex Chow et les autres leaders du mouvement viennent régulièrement s’exprimer, et fait reprendre le chant de Liverpool à la foule. Hong Kong est une ville de karaoké et de téléphone portable : comme dans un concert pop, les milliers de manifestants reprennent à l’unisson le chant en agitant leurs Smartphones illuminés au-dessus de leurs têtes.
Se serrer les coudes, même au milieu de la nuit
Tous les fans de Liverpool ne se retrouvent pas pour autant dans les slogans scandés à Occupy Hong Kong. À l’image d’une société divisée entre les « rubans jaunes » des manifestants et les « rubans bleus » arborés par les pro-chinois qui font signer des pétitions de soutien à la police, les différents groupes de supporters de Liverpool ont tous condamné l’instrumentalisation de leur hymne, mais n’affichent pas pour autant de position politique unitaire. « Il ne s’agit pas seulement des gens présents à Occupy ou des pro chinois, reprend Ada. C’est tout Hong Kong qui est concerné. Même nous, au sein des supporters de Liverpool, nous ne sommes pas tous d’accord. Il y a eu beaucoup de débats sur Facebook, sur les forums, certains pour, certains contre. Ici, je ne représente pas Liverpool, seulement moi-même. » Les fans étrangers, nombreux dans l’ancienne colonie britannique qui compte toujours plus de 30 000 Anglais, préfèrent eux faire profil bas. « Pour être tout à fait honnête, les fans de Liverpool préfèrent ne pas s’impliquer en politique, explique Steve Parry, représentant du Liverpool FC Hong Kong, la branche officielle des supporters du club. J’ai des amis en faveur des manifs et d’autres qui y sont opposés, même si on a tous considérés les commentaires de Tam Yiu-chung inappropriés et de mauvais goût. »
Il est bientôt minuit, seules quelques lumières de bureaux restent allumées dans les buildings. Certains manifestants s’engouffrent dans le métro, d’autres ouvrent les fermetures éclair des tentes où ils dorment depuis plus d’un mois. Ada a rejoint dès son origine le mouvement de protestation qui s’est formé pour réclamer la mise en place d’un suffrage universel réel en 2017, mais elle ne passe la nuit à Occupy Central que le week-end. À 30 ans, Ada travaille la journée dans les services administratifs d’une université hongkongaise et assiste aux débats le soir. De Liverpool, elle parle comme d’une ville qui se trouve à près de 10 000 kilomètres de la baie de Hong Kong. « Je regarde les matchs desRedsdepuis 1999, mais j’ai intégré les supporters en 2003, quand Liverpool est venu jouer ici pour la première fois. On est de l’autre côté du monde, alors on se sert les coudes, on regarde les matchs ensemble, parfois au milieu de la nuit. » Au cours des dernières semaines, la jeune femme a cependant plus traîné entre les tentes que dans les bars. Alors que le conflit s’entérine à mesure que Pékin reste campé sur ses positions et les manifestants sur la route, Ada n’a pas de réponse sur le futur du mouvement, mais sait une chose : rien ne sera plus comme avant. « Au début, on avait peur, dit-elle. On ne savait pas comment la police allait réagir, s’ils allaient utiliser des balles réelles. On avait tous en tête les évènements du 4 juin (référence au massacre de la place Tian’anmen du 4 juin 1989, ndlr). Aujourd’hui, c’est devenu plus qu’une manifestation, c’est toute une communauté qui s’est organisée. Les gens s’entraident pour la nourriture, recyclent les déchets. Pour les personnes de ma génération, c’est une expérience nouvelle. Se réunir pour se battre, c’est la première fois. Jusqu’alors, les gens avaient tenté de se tenir hors de la politique. Sous les Anglais, on se contentait d’obéir, et de faire de l’argent. Ce ne sera désormais plus possible. »
Par Pierre Boisson, à Hong-Kong