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Hollande et le Red Star : le coït interrompu du foot populaire ?
François Hollande ne manque jamais l'occasion de souligner son amour sincère du foot. Une passion authentique et sans arrière-pensée qui se voudrait le contre-pied des gesticulations bling-bling de son prédécesseur dans les tribunes présidentielles du Parc des Princes. Il a pour sa part jeté son dévolu sur le Red Star, pensionnaire de National au passé prestigieux et à l'image politique qui fleure bon ce peuple laborieux que la gauche a semble-t-il perdu (de vue et électoralement). Sauf qu'une fois encore, à ne pas glisser au bout du délire, quelque chose sonne creux dans la communication présidentielle.
Lorsque François Hollande a reçu un parterre de journalistes sportifs le 26 mars dernier, il se trouvait une étonnante « intruse » dans le dîner élyséen. Pauline Gamerre, la directrice générale du Red Star. Comme le raconte avec gourmandise Pascal Praud sur son blog, cette présence donna prétexte à tailler le bout de gras sur cette institution patrimoniale du foot français et, pour le président de la République, la possibilité de se répandre sur son affection pour le club audonien, aujourd’hui bien parti pour monter en Ligue 2. « Il se souvient du Red Star des années 1970, avec Di Nallo et Combin qui renforçaient l’équipe. » Quand Pauline Gamerre, « belle et jolie » comme le souligne si finement l’éditorialiste du Point, aborde le délicat problème de la rénovation du stade Bauer, le chef de l’État s’en étonne avec une naïveté et un sens économique qui ferait s’arracher les cheveux à Emmanuel Macron : « Deux millions ? Ce n’est pas beaucoup pour une commune comme Saint-Ouen. » Les gestionnaires des budgets sociaux des communes du 9-3 et grévistes de l’éducation nationale séquano-dionysienne apprécieront ! Peut-être ne s’agissait-il d’ailleurs que d’une pique envoyée à la nouvelle majorité municipale de droite qui a ravi au PC cette ville communiste depuis 1945, si convoitée par les socialistes.
Un Red Star dépolitisé
Ce n’était en tout cas pas la première fois que François Hollande manifestait de l’intérêt pour ce « Leyton Orient » francilien. « Ce sont deux grands clubs avec une grande histoire. C’est une belle image que cette rencontre entre une ville ouvrière et le Red Star, qui est l’histoire du football. Le fondateur de la Coupe du monde a créé ce club. Quand j’étais jeune, j’allais voir le Red Star au stade Bauer » , confessa-t-il au micro d’Eurosport à la mi-temps d’un Red Star-ASSE en Coupe de France où sa venue avait quasi éclipsé la rencontre qui se tenait à Jean-Bouin. On notera au passage l’étrange inversion des représentations, où le Red Star dépolitisé se résume quasiment à une identité locale, quasi hip-hop, et un fonds d’archives, face à des Verts devenus emblèmes de la classe ouvrière (pour un club d’origine patronale). Toutefois, son coup de cœur connaît ses limites face aux dures réalités de la France d’en bas. Peu de temps avant, il n’avait pas sauté le pas et franchi le périph pour un Red Star-Strasbourg en National, devant la crainte exprimée par les services de renseignements de la présence de supporters d’extrême-droite venant de la capitale alsacienne, et les risques d’affrontements (finalement évités, et qui se limitèrent à une bizarre affaire de bâche) avec leurs homologues d’en face et de l’autre bord…
Néanmoins, ces signes d’affection répétés envoyés du plus haut sommet de l’État ne laissent pas indifférents les Audoniens : « C’est la preuve que nous ne sommes pas un club comme un autre, explique Steve Marlet, directeur sportif. Que notre histoire nous rend unique. Le président aime le foot, il ne s’en est jamais caché, et il a connu le club à sa grande époque, quand il évoluait en première division. Nous sommes flattés qu’il s’y intéresse encore. Nous espérons aussi que cela concerne notre actuel parcours et notre envie de revenir dans l’élite. Nous sommes aussi très contents qu’il valide ainsi l’idée, comme il l’a déjà déclaré publiquement, qu’il faille au moins un autre club à Paris et dans ses alentours. »
Foot populaire
Au-delà de l’affect et des souvenirs de jeunesse, le positionnement de François Hollande sur le sujet ressemble malgré tout beaucoup à du story telling politique appliqué au champ sportif. Le président socialiste – dit libéral – dont le camp semble avoir perdu le contact avec son électorat populaire, rengaine chantée à l’unisson par la presse et tous ses opposants, de droite comme de gauche, met donc en avant ses émotions élégiaques pour cette équipe « musée vivant » installée dans ce – feu – bastion de la ceinture rouge (une osmose, qui comme le raconte Tai-Luc, chanteur de La Souris déglinguée, date de bien avant l’épisode Doumeng, « mon grand-père a été maire adjoint de la ville de Saint-Ouen après la Libération, et du coup, j’ai même retrouvé des documents sur le Red Star dans ses archives. » ) Les choses se sont inversées – un Paris « rose » cerné d’un environnement proche de plus en plus « bleu » -, pas les symboles – le kop qui rebaptise sa tribune « Rino Della Negra » en hommage à cet ancien et éphémère joueur audonien, jeune résistant antifasciste, fusillé de L’Affiche rouge. Alors la démarche du président ne serait qu’un maquillage pour tenter de ressusciter, le temps d’un match, la bataille de la gauche sociale du foot populaire contre la droite des milliardaires du foot business (suivez mon regard vers la porte de Saint-Cloud), les tribunes normalisées du PSG qatari contre le chant des partisans des ultras de Bauer ?
« François Hollande recourt souvent au symbolique, et pas seulement dans le foot, explique Claude Askolovitch, journaliste et surtout ancien supporter du Red Star. Cependant, il le fait souvent maladroitement, par exemple en confondant les époques pour les joueurs. Il faut accepter l’idée qu’un homme politique puisse avoir des moments de sincérité, ce qui est sûrement le cas ici, mais qu’inévitablement ils soient également mis en scène. » Dans le cas qui nous intéresse, cette ambivalence semble d’autant plus plausible que, faute de se livrer totalement, comme s’il ne s’agissait que d’une banale digression de fin de soirée entre amis, il finit par s’emmêler les pinceaux dans le sens du détail si cher aux vrais amoureux du club. « Il explique que le Red Star fut une équipe fabuleuse. C’est un contre-sens. Tu es supporter du Red Star quand tu acceptes l’idée que ton équipe n’est pas géniale et ne l’a jamais été de ton vivant. Courageuse certes, mais pas brillante » , s’amuse l’éditorialiste d’I-télé. François Hollande se sent donc obligé de projeter sur le Red Star des critères sportifs pour justifier, ou camoufler, ses intentions premières, faute d’oser aller sur le terrain vraiment politique, ou d’en assumer les conséquences (une belle et involontaire métaphore finalement de sa conduite à la tête du gouvernement ?). Le président normal rattrapé par son ombre de gauche les soirs de match ? « Il ne peut pas social-démocratiser le Red Star. Ce n’est pas son histoire. Elle est bourgeoise à ses racines et communiste ensuite. C’est ainsi » , conclut Claude Askolovitch. Et comme pour le reste, on jugera sur pièces ce que valent les engagements de l’homme ! Notamment quant, à la fin de la saison, le Red Star vivra peut-être, qui sait, un scénario à la Luzenac. Faire plier la LFP à défaut d’y arriver avec le MEDEF ? Ce serait l’équivalent du « mariage pour tous » , mais pour les banlieusards ?
Par Nicolas Kssis-Martov