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Hiver 1986-1987 : une trêve sans fin
Imaginez un peu que notre Ligue 1 arrêtée le 20 décembre dernier ne reprenne qu’aujourd’hui, 28 février, après plus de deux mois de pause hivernale ! C’est pourtant ce qui s’est passé lors de l’hiver 1986-1987 qui a vu la plus longue trêve de l’histoire de notre championnat. Une expérience jamais renouvelée...
« Les Russes envoient le climat ! » Dans les années 1980 marquées par la Guerre (très) froide, cette boutade indiquait que les Soviétiques nous balançaient des grands gels avant de nous envahir. Il faut dire qu’à cette époque, les hivers étaient très, très rigoureux. Notamment celui de 1982 et surtout celui de 1985 qui avait poussé la bande à Jalons (Basile de Koch, Frigide Barjot, Karl Zéro) à organiser une manifestation contre le froid au métro Glacière avec ces slogans : « Verglas assassin, Mitterrand complice ! », « À bas la calotte glaciaire ! »
Stages d’hiver au soleil
Et le foot dans tout ça ? Eh bien notre championnat, victime de ces intempéries, avait subi reports de matchs et blessures à cause des terrains gelés ou enneigés. C’est pourquoi la Ligue décida d’instaurer une longue trêve hivernale débutée le 20 décembre 1986 et s’achevant le 28 février 1987. Outre l’intégrité physique des joueurs qu’on avait cherché à préserver, « le principe était d’améliorer les recettes en décalant les journées concernées par les rigueurs de l’hiver vers le printemps », rembobinait France Football en janvier 2007. Quelque part, la France imitait un peu la Bundesliga (l’Allemagne, c’était la RFA à l’époque) et sa longue trêve hivernale. En clair, le calendrier s’était étiré de telle sorte qu’une équipe comme l’OM, par exemple, avait disputé son dernier match d’avant la césure le 20 décembre 1986 contre Laval (0-0) puis avait repris le 1er mars 1987 contre Rennes (0-0). Son dernier match de la saison contre Monaco (2-0) fut joué le 5 juin 1987 ! En Coupe de France, les 32es de finale qui tombaient habituellement fin janvier ou début février se jouèrent le 21 mars 1987 et la finale Bordeaux-OM (2-0) prit place au Parc le 10 juin 1987.
Avant la trêve, Girondins et Phocéens se tiraient déjà la bourre pour la première place d’une D1 où émargeaient aussi des clubs aujourd’hui éloignés de l’élite comme Toulon, Le Havre et Laval ou disparu, tel le RC Paris. Dans la perspective d’une reprise très tardive, les clubs D1 et de D2 durent donc occuper leurs joueurs en aménageant cette longue plage par toutes sortes de « stages » hivernaux. Et cet hiver lui aussi très rude fut l’occasion de voyages au long cours, hors de nos frontières… Ainsi, à l’invitation du Camerounais Eugène N’Jo Léa, ancien grand joueur de Saint-Étienne et de l’OL dans les années 1950-1960, ce sont carrément quatre clubs français (Lille, Nancy, Laval et Reims) qui se rendirent au tournoi du CIFOOT (Cameroun International Football) organisé au pays des Lions indomptables du 1er au 11 février 1987.
Cap au nord pour Bordeaux
Au début du même mois, le PSG coaché par Gérard Houllier se rendit en Israël pour une tournée ensoleillée d’une semaine. La participation à un tournoi indoor organisé par le Betar Jérusalem s’était aussi inscrite dans le cadre d’une escapade touristique qui avait permis aux joueurs de mieux se connaître… Les Canaris nantais drivés par Coco Suaudeau s’envolèrent, eux, pour l’été austral en Argentine, terre des récents champions du monde au Mexique. Là-bas, bien armés au milieu avec les deux médaillés d’or Julio Olarticoechea et Jorge Burruchaga, ils affrontèrent la crème du foot argentin lors de quatre rencontres contre Boca Juniors, Vélez Sársfield, River Plate et Independiente.
Que faire pendant ce temps-là ? Couver son ballon, pardi !
Fidèle à son esprit carré et compétiteur, Aimé Jacquet, coach de Bordeaux, embarqua ses Girondins pour un périple dans le nord des Îles britanniques ponctué de deux matchs amicaux contre les Glasgow Rangers à Ibrox Park (défaite 3-2) et contre Linfield en Irlande du Nord. Dans les brumes celtiques, la virée très studieuse avait ravi René Girard, qui déclara, toujours pour France Football en janvier 2007 : « Ce séjour en Écosse et en Irlande du Nord à dû nous réussir, puisque nous avons réalisé le doublé coupe-championnat cette année-là. » Exact ! Les Bordelais avaient été sacrés champions devant l’OM et un étonnant Toulouse FC. Alors pensionnaire de D2, le RC Strasbourg avait aménagé sa trêve en organisant un de ces tournois de foot en salle, très prisés outre-Rhin, dans la salle du Rhenus en conviant des clubs allemands, suisses et français, avant d’aller en stage sur la Côte d’Azur à la fin février. Si cette trêve 1986-1987 permit en effet d’éviter les graves blessures qui se seraient sûrement multipliées au cours de cet hiver glacial, sa longueur trop étirée de décembre à mars poussa les instances à ne plus renouveler pareille expérience. À l’inactivité prolongée des joueurs s’était ajoutée la frustration du public, privé de ballon pendant plus de deux mois ! Cette expérience insatisfaisante explique très certainement, en partie, pourquoi le projet cher à Michel Platini d’établir un « calendrier d’été du football » (en gros, championnat de mars-avril à décembre, puis longue trêve hivernale) ne fut jamais sérieusement promu par les instances du football français…
Par Chérif Ghemmour