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Hillsborough, le dénouement d’une enquête interminable
C'était il y a vingt-sept ans, mais la mémoire d’Hillsborough ne cesse de s’inviter régulièrement dans les news britanniques. Parce que les familles des victimes n’ont jamais lâché l’affaire, jusqu’à obtenir la vérité.
Il ne s’agit certainement pas du plus impressionnant. Ni même du plus beau musicalement parlant. Mais ce You’ll Never Walk Alone – entonné à l’unisson au sortir de la décision de l’enquête finale par les familles des victimes de la tragédie ayant fait 96 morts le 15 avril 1989 – possède une saveur lyrique particulière. Il provient des tripes de femmes, d’enfants, de maris ou d’amis endeuillés qui n’attendaient qu’une chose : que justice soit rendue.
Ce mardi 26 avril, le jury de l’enquête publique a enfin rendu son verdict. Il y établit que les fans décédés à Sheffield ont été victimes « d’homicide par négligence grave » de la part des forces de l’ordre. C’est la première fois que la police est clairement accusée et officiellement rendue coupable du drame. Principalement, les jurés ont pointé du doigt le manque d’organisation et de sécurité aboutissant à la décision meurtrière d’ouvrir une porte du stade, qui conduisit à la cohue mortelle. Vingt-sept ans après l’événement, grâce à l’opiniâtreté sans limite des proches des 96 contre vents et marées, c’est tout un Royaume qui est soulagé de la fin de l’épisode judiciaire le plus long de son histoire. L’honneur des 96 est sauf.
Homicides involontaires et commission indépendante
Mai 1989. Le juge Taylor, en charge de l’affaire, vient de rendre son rapport. Il y fait part de ses inquiétudes concernant la sécurité dans les stades et avance des dizaines et des dizaines de recommandations afin de l’améliorer. Taylor ajoute également que la catastrophe n’est due qu’à l’ingérence des forces de l’ordre, qui n’ont pas su réagir efficacement face à l’affluence massive de fans. Seulement, les familles des victimes n’ont jamais accepté la version répandue dans le Royaume. Celle qui transforme les Scousers en hooligans sanguinaires, qui urinent sur les victimes et s’adonnent à la nécrophilie. Cette interprétation découle d’allégations du Sun qui accuse, la semaine suivant le drame, les fans de Pool’ alors que le tabloïd britannique ne détient aucune preuve tangible. Simplement l’envie d’écouler du papier. Encore aujourd’hui, le boycott est tel qu’il demeure plus aisé de se procurer des substances illégales dans le Merseyside qu’un exemplaire du Sun.
Dans une région aussi solidaire, personne n’efface son soutien aux proches des défunts. Un mémorial s’érige près d’Anfield, des cérémonies d’anniversaire sont organisées, la South Yorkshire Police se voit accusée d’homicides involontaires… La Cour européenne des droits de l’homme est même saisie. En vain. Le peuple rouge n’oublie pas et n’attend qu’une chose : que justice soit faite. À tel point que le gouvernement anglais ne peut plus rester impassible. En mai 1997, le parti travailliste reprend le pouvoir. Une nouvelle enquête est lancée, mais les conclusions ne changent pas. Aucune poursuite n’est engagée contre la police. Toutefois, en 2009, Gordon Brown, alors Premier ministre du Royaume-Uni, décide de lancer une commission indépendante. L’objectif étant de rendre public des milliers de documents, afin d’élucider un drame qui hante le pays depuis des décennies.
« Tout le monde connaît la vérité »
Le 12 septembre 2012, ce groupe d’experts livre enfin son verdict.
Et le constat est accablant pour les autorités. Déjà, le motif principal de la catastrophe reste « l’absence de maîtrise des policiers » , ajoutant que « la sécurité de la foule a été compromise à tous les niveaux » et que le stade de Sheffield posait des problèmes de sûreté depuis 1987. Pire, avec une meilleure intervention médicale, 41 des 96 victimes auraient pu être évitées. En outre, 164 déclarations de témoins ont été modifiées, la plupart du temps pour effacer les plaintes contre les forces de l’ordre. David Cameron, le successeur de Gordon Brown, n’a eu d’autre alternative que de présenter ses excuses aux familles qui se battaient depuis 23 ans : « Au nom du gouvernement et du pays tout entier, je veux dire que je suis profondément désolé de cette injustice, qui est restée en l’état pendant si longtemps. »
Dans la foulée, les poursuites pour homicides involontaires sont relancées, ainsi que des enquêtes internes sur 1 444 policiers. « THE TRUTH » révélée, les familles pensent enfin avoir le droit de réaliser leur deuil en paix.
C’est sans compter les révélations terriblement violentes du chef en charge de la sécurité ce jour-là, David Duckenfield. « Je suis désormais beaucoup plus vieux, sage et compréhensif à propos de ces événements et ai décidé de raconter toute la vérité, pose-t-il le 12 mars 2015 pour la BBC.Mais tout le monde connaît la vérité. Les supporters et la police connaissent la vérité, nous avons ouvert ces portes (un geste qui a provoqué la bousculade meurtrière, ndlr). J’ai été dépassé par l’énormité de la situation et la décision que j’avais à prendre. » En septembre dernier, la cour de Birchwood Park relançait donc l’enquête après les révélations de Duckenfield. Huit longs mois durant lesquels la commission s’est étendue individuellement sur le cas des 96 jusqu’à la publication de son jugement final avant-hier. Dès cette annonce, les réactions se sont multipliées. Quand Margaret Aspinall, qui dirige l’association de soutien à l’entourage des victimes, parle d’une « réécriture d’une partie de l’histoire » , le commissaire de la police de South Yorkshire souhaite « présenter des excuses sans réserve aux familles et à tous ceux affectés. » David Cameron, quant à lui, a loué une « justice attendue depuis trop longtemps. » Une page se tourne. Définitivement.
Par Eddy Abou Serres