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À voile et à faire peur

Par Nicolas Kssis-Martov, avec Jérémie Baron // Illustration : Midjourney
6 minutes

Contredisant les recommandations du rapporteur public, le Conseil d’État a décidé de maintenir l’interdiction du voile religieux dans les compétitions de football. Cette décision s’est finalement prise dans un contexte d’extrême tension politique et de pression gouvernementale indirecte. La question de la laïcité dans le sport reste entière, au détriment une fois de plus des premières concernées...

À voile et à faire peur

Le recours des Hijabeuses, regroupement de footballeuses musulmanes portant le hijab, contre la Fédération française de football (FFF), a donc été en quelque sorte rejeté. En résumé, la plus haute juridiction administrative française estime que la fédération peut légitimement établir des règles spécifiques, qui englobent notamment le refus du voile islamique en compétition – en l’occurrence au nom de l’article 1 qui prohibe depuis 2016 « tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale ». Pour rappel, la FIFA l’autorise en revanche depuis 2014. « La FIFA édicte des règles, notamment dans le cadre des matchs internationaux, qui ne concernent pas le football amateur, rappelle Me Joëlle Monlouis, avocate en droit du sport et accessoirement vice-présidente de la ligue de Paris-Île-de-France de football. Mais pour autant, la réglementation applicable, c’est la réglementation française. Elles proposaient que la réglementation française se mette sur le même terrain que sur celui de la FIFA. Ce sont deux réglementations différentes qui ne s’appliquent pas du tout aux mêmes choses. »

Certains y verront une injustice supplémentaire et spécifique imposée aux femmes musulmanes, puisque semble-t-il les hommes, eux, peuvent continuer de se signer ou de prier de manière « ostentatoire » avant un match (y compris en matière de discrimination, le sexisme s’impose toujours). D’autres se réjouiront d’une victoire pour la défense de la laïcité face au péril du séparatisme (musulman s’entend, les catholiques intégristes contre le mariage pour tous ne sont pas concernés…). « Elles vont vouloir aller plus loin et saisir les instances au niveau européen, analyse Me Joëlle Monlouis. Par exemple la Cour européenne des Droits de l’homme. »

Il dit qu’il ne voit pas le rapport

Cette décision est inattendue, puisque le rapport préliminaire présenté lundi, et en général suivi dans 95 % des affaires traitées, avait clairement établi que les joueuses pouvaient porter ce voile, en tant qu’usagères d’un service public – la FFF par sa délégation. En revanche, dans le cadre des sélections nationales, où elles devenaient d’une certaine manière « agentes », puisque représentant la « nation », le devoir de neutralité s’imposait. Ce choix équilibré avait immédiatement suscité un tollé et révélé une fois de plus à quel point il s’avère délicat d’aborder sereinement, et sans dramatisation, la présence de l’islam dans l’espace public et au sein de la République. Le voile en particulier cristallise nombre de tensions depuis plus de 20 ans, divisant d’ailleurs le mouvement féministe. Il faut néanmoins rappeler que le sport est désormais réquisitionné dans la lutte contre le radicalisme et le séparatisme. Chaque association doit signer une charte de la laïcité si elle veut recevoir une subvention de l’État ou d’une collectivité. Un petit paradoxe car notamment dans le foot demeure un grand nombre de clubs communautaires ou confessionnels, patronages catholiques ou Maccabis.

Dès l’annonce des conclusions de ce rapport, un raz-de-marée de prises de position politiques a déferlé sur les chaînes d’info et les fils Twitter. Et pas seulement de la part de la droite LR et du RN, (« Le hijab dans le sport, c’est non ! Et nous ferons une loi pour faire respecter ça », a promis Marine Le Pen), pour lesquels évidemment les crispations sur l’islam constituent le fonds de commerce électoral. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin est immédiatement monté au créneau et n’a pas hésité à bafouer la séparation des pouvoirs : « Le Conseil d’État est une instance extrêmement sage. J’espère profondément pour la République qu’ils garderont la neutralité sur les terrains de sport. » Il a depuis d’autres problèmes à gérer avec les suites de la mort du jeune Nahel, victime du tir d’un policier à bout portant.

Le groupe vit mal

La Première ministre Elisabeth Borne a surenchéri à l’Assemblée nationale : « Je suis totalement mobilisée avec la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra pour le respect strict de nos principes républicains dans le sport, en particulier la laïcité et la neutralité du service public. […] Nous n’hésiterons pas à fermer des clubs qui promeuvent une idéologie radicale ou séparatiste. » On notera juste que les courants les plus fondamentalistes de l’islam interdisent justement le sport aux femmes (étonnante convergence d’intérêt au passage), et qu’en retour, les Hijabeuses ont joué de nombreux matchs contre les Dégommeuses, association LGBT. Cet emballement avait conduit le Conseil d’État à se défendre avant même de rendre son avis définitif, en condamnant « avec la plus grande fermeté les attaques ayant visé la juridiction administrative et tout particulièrement le rapporteur public. […] C’est attenter à une institution essentielle pour la démocratie. »

C’est justement dans les affaires comme celles-ci, où il peut y avoir un très fort retentissement et où l’on n’est pas nécessairement sur du juridique pur et dur, que l’on va se retrouver dans ces cas où le rapporteur public ne sera pas suivi.

Me Joëlle Monlouis

« C’est justement dans les affaires comme celles-ci, où il peut y avoir un très fort retentissement et où l’on n’est pas nécessairement sur du juridique pur et dur, que l’on va se retrouver dans ces cas où le rapporteur public ne sera pas suivi », continue Me Joëlle Monlouis. Il semblerait que le poids ait été trop lourd sur les frêles épaules des magistrats pour rester insensibles aux enjeux extérieurs. « Le Conseil d’État est parti sur un principe important en droit public : le principe de la proportionnalité, détaille l’avocate. C’est un principe qui protège les libertés publiques, un curseur. Il s’est appuyé sur des textes qui sont fondamentaux pour la République : les articles 9 et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 10 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, et enfin la loi du 24 août 2021 qui concerne le respect des principes de la République. »

« Une fois de plus, la justice nous abandonne »

De fait, le foot révèle encore les cassures et les blocages de la société, singulièrement autour de l’islam (n’oublions pas le débat lors du ramadan) et le statu quo n’a certainement rien réglé. « Une fois de plus, la justice nous abandonne, ont réagi les Hijabeuses. Devons-nous rappeler que le destin et l’épanouissement de femmes, de sportives, sont en jeu ? Le Conseil d’État a reconnu que nous ne sommes pas soumis au principe de neutralité. Cependant, il a considéré que l’interdiction du port du voile apparaissait nécessaire pour prévenir tout risque d’affrontement ou de confrontation sans lien avec le sport. […] Par cette décision, le Conseil d’État intègre la violence contre les femmes, contre l’islam, qui existe dans la société française comme un fait que l’on pourrait éviter par l’exclusion des victimes elles-mêmes. La peur, voici les arguments du Conseil d’État.  »

 

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Comme Klopp, tu sais que tu es excité par le projet du Paris FC quand...
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Propos de Me Joëlle Monlouis recueillis par JB

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