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Hibernian-Hearts of Midlothian, bien plus qu’un mini-Old Firm
Ce samedi, Heart of Midlothian reçoit Hibernian en demi-finales de Coupe d'Écosse. Une belle occasion de vibrer pour Édimbourg, capitale footballistiquement tapie dans l’ombre de Glasgow et de son étouffant Celtic-Rangers. Mais ce classique calédonien pourrait bien être le dernier, avant un petit moment.
Retour vers le futur. Le 3 mars 2020, le confinement n’existe pas encore, et le derby d’Édimbourg a lieu à 20h45. Les joueurs du Heart of Midlothian FC se déplacent à quelques kilomètres à peine de leur antre de Tynecastle pour affronter l’autre club de la capitale écossaise, l’Hibernian FC. Ils en profiteront pour réaliser l’exploit de s’imposer 3-1 sur la pelouse d’Easter Road, ce qui restera sûrement le seul bon souvenir de l’exercice 2019-2020, puisque le club maroon descendra en deuxième division une fois la saison terminée.
Heureusement, les dieux du football ont décidé de se manifester quelques mois plus tard en offrant aux supporters des deux camps l’occasion de se retrouver sur terrain neutre. À Hampden Park, et à l’occasion de la Coupe d’Écosse pour être précis. Cette demi-finale, qui s’annonce pleine de suspense, permettra de rappeler aux profanes que le football écossais ne se limite pas seulement à la ville de Glasgow et à son mythique Old Firm.
La géographie plutôt que la religion
Et pourtant, difficile d’exister dans un championnat où deux équipes se partagent tous les titres sans discontinuer depuis 1985. Histoire de ne pas faire de jaloux, les Hibs et les Hearts en comptent quatre chacun (les derniers ayant été respectivement gagnés en 1952 et 1960). À en croire une publication de l’université de Loughborough parue en 2018, les deux clubs d’Édimbourg restent pourtant les plus populaires du pays après le Celtic et les Rangers. « La différence principale, c’est que leur public est majoritairement local, analyse Alan Bairner, co-auteur de l’étude sur la rivalité édimbourgeoise. Celui des clubs glaswégiens est mû par une dimension sectaire bien plus importante que dans la capitale, et dépasse le simple cadre du football. »
Et de continuer : « À Édimbourg, la majorité des supporters accorde ainsi plus d’importance à ce que leur club soit le meilleur de la ville plutôt qu’aux batailles ayant eu lieu sur le sol irlandais par le passé. » Supporters des Hibs depuis que son père lui a refilé le virus à l’âge de quatre ans, Daniel Shields confirme : « Pour la grande majorité des fans, la religion ne joue aucun rôle au moment de choisir son équipe. Certains amis ou membres de ma famille sont pour les Hearts, et même si la rivalité existe les jours de match, notre derby est bien plus amical que celui de Glasgow. On peut, par exemple, se retrouver au pub après la rencontre et boire des coups ensemble en refaisant le match. »
Opposition religieuse, puis philosophique
Alors, moins politique ce derby ? En tout cas, comme à Glasgow, la genèse de la dichotomie entre les deux équipes trouve une certaine dimension communautaire lors de leur création à la fin du XIXe siècle. « Les Hibs étaient un club d’immigrés irlandais et au départ, les non-catholiques n’avaient pas le droit d’y jouer. Les Hearts, quant à eux, représentaient davantage la classe moyenne protestante », rappelle Alan Bairner, dont l’étude précise que le club des quartiers de Tynecastle et Gorgie a des connexions historiques avec un bataillon de l’armée britannique dont le commandant était réputé pour son anti-catholicisme primaire. À titre anecdotique, les Hibs ont encore la réputation de préférer le beau jeu aux résultats – ce qui leur confère parfois la réputation d’un club plutôt bohème – tandis que la philosophie des Hearts est davantage tournée vers le pragmatisme. Une réminiscence cachée de l’opposition entre catholiques et protestants ?
Avec les années, ce sectarisme est progressivement englouti par le Celtic (pour les catholiques) et les Rangers (pour les protestants). Au point que nombre de fans actuels des deux camps le considèrent comme un « problème de Glasgow ». À l’image du témoignage d’Andy, supporter des Hearts de 19 ans interrogé dans le cadre des travaux de l’université de Loughborough : « Je trouve qu’il n’y a rien de plus provocant qu’un drapeau de l’Union Jack dans les tribunes. De temps en temps, on aperçoit un badge avec la main rouge de l’Ulster, mais je dirais qu’il s’agit davantage d’un truc perso plutôt que lié au foot. Parce que tout le monde veut éviter le sectarisme. » La rivalité Hibs-Hearts tend dès lors à devenir de plus en plus géographique, les premiers représentant le Nord-Est d’Édimbourg, et le quartier portuaire de Leith en premier lieu, tandis que les seconds trouvent leur ancrage au Sud-Ouest.
Ce n’est pas la capitale, c’est Glasgow
« Pour autant, cela ne signifie pas que l’aspect sectaire de la rivalité a totalement disparu, tempère Alan Bairner. Seulement, il ne faut pas l’exagérer. Par exemple, il est encore vrai que les habitants d’Édimbourg qui chérissent leur héritage celtique seront plus enclins à devenir supporter des Hibs. Mais cela n’a pas empêché certains d’entre eux de servir dans l’armée britannique, en parallèle. » Une chose est sûre : malgré son statut de capitale de l’Écosse, Édimbourg est un nain footballistique. Une situation rare en Europe puisque, hormis en Allemagne, où le Hertha Berlin est historiquement abonné au ventre mou, la capitale nationale truste souvent les premières places du classement.
À en croire Alan Bairner, il existe une explication simple à cet état de fait : Glasgow étant la ville la plus peuplée d’Écosse, il est logique que la majorité des supporters y résident. Mais pas que. « N’oubliez pas qu’à Édimbourg, le rugby est bien plus populaire que le football ! C’est d’ailleurs pour cela que le stade national de rugby y est situé, tandis que celui du foot est à Glasgow. De plus, Édimbourg n’a pas le même passé industriel que Glasgow, ce passé qui a fait le lit du développement du football en Écosse. »
Rivalité relative
Au-delà de la rivalité locale, les supporters des deux camps se rejoignent ainsi pour représenter Édimbourg. Particulièrement lorsqu’il s’agit de se frotter aux deux géants de Glasgow, même si pour Daniel, le supporter des Hibs, gagner contre eux s’apparente avant tout à « un bonus sympa ». En 2016, ce bonus a pris la forme d’une victoire en finale de Coupe d’Écosse contre les Rangers, compétition que le club édimbourgeois n’avait plus remportée depuis 1902. Une victoire suivie d’un inévitable envahissement de terrain, et de quelques incidents entre supporters. « Encore une fois, cela n’a rien à voir avec du sectarisme. La raison principale de ces incidents est que les supporters des Rangers, comme ceux du Celtic d’ailleurs, n’ont pas l’habitude de perdre contre les autres clubs écossais », précise Alain Bairner.
En attendant, une place en finale est en jeu. Et les Hearts auront davantage de pression sur leurs épaules, en raison de leur relégation en Championship. Si tous les bookmakers les donnent favoris pour remonter immédiatement en D1, le club de Tynecastle n’est pas à l’abri de prolonger son séjour au purgatoire. De quoi rendre les fans déjà nostalgiques ? Pas tous. « En Écosse, on joue les uns contre les autres quatre ou cinq fois par an. Donc un an ou deux sans affronter les Hearts, ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, conclut Daniel. Après, s’ils s’enlisent en division inférieure, je crois qu’ils finiront par me manquer. Mais en attendant, ça n’est pas le cas car je savoure encore énormément l’opportunité qui m’est donnée de me foutre de leur gueule ! »
Par Julien Bialot et Julien Duez