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Heureusement il y a Kerbrat !
Après avoir longtemps résisté aux sirènes des clubs professionnels qui le suivaient depuis une paye, Christophe Kerbrat (27 ans) a fini par quitter Plabennec (CFA) pour exploser au plus haut niveau avec l'En Avant de Guingamp. Retour sur un parcours atypique, entre rêve et réalité.
Flashback nécessaire. EAG-Caen, 16 mars 2013, stade du Roudourou, Guingamp, 21h47. Au terme d’un match chiant comme la pluie (qui pour une fois ne tombe pas), la faute à des Caennais trop frileux pour oser jouer au football face à un concurrent direct à la montée en Ligue 1, le stade du Roudourou explose. Le match nul semblait inéluctable, et pourtant. Pourtant, un dernier corner pour les Rouge et Noir est dévié de la tête par Yatabaré et atterrit dans les pieds de Christophe Kerbrat (prononcer KerbratE, n’est-ce pas amis commentateurs de beIN ?). Comme il est de coutume dans ce genre de situation, le joueur « ne réfléchit pas » et catapulte le ballon d’une demi-volée, mi-forte, mi-bien tapée, au fond des filets d’un Perquis impuissant. Libération. Avec cette victoire 1-0 arrachée à la 92e minute, les Guingampais devancent leurs adversaires du soir au classement et se mettent un peu plus à rêver à un retour dans l’élite du foot français. Tandis que les gradins du stade municipal tremble de tout leur long, les joueurs de Jocelyn Gourvennec se précipitent tous comme un seul homme pour se jeter sur le héros de la soirée. Sous cette mêlée improvisée, assailli par une dizaine de paires de jambes poilues et graisseuses, le jeune Kerbrat ne réalise pas encore. « Il n’y a pas grand-chose à dire sur mon but… Le ballon me revient dessus et je frappe. Après, c’est le trou noir » , racontera-t-il après la rencontre. Au vrai, le gaillard ne comprend pas ce qui lui arrive. Il y a deux ans, le milieu défensif de formation évoluait avec ses potes, chez les amateurs de Plabennec dans le Finistère.
Après l’usine, les projecteurs
Celui dont la vie pépère semblait toute tracée va se retrouver propulsé en un rien de temps dans l’impitoyable mais néanmoins palpitant monde du football professionnel. Alors qu’il vient juste de rentrer de son boulot (Christophe Kerbrat travaille alors chez Gaosduff, une société de maintenance avicole basée à Plabennec), le téléphone retentit. Au bout du fil, Stéphane Carnot, ancien n°10 guingampais et actuel recruteur du club costarmoricain, lui propose de rejoindre les Rouge et Noir qui viennent tout juste de remonter en Ligue 2 après une saison passée en National. En quelques secondes, le destin du jeune breton vient de basculer. « Le discours de Carnot m’a plu. Et puis, il fallait que je tente le coup, avoue-t-il dans Ouest-France. Et puis Guingamp, c’est quelque chose dans la région ! » Le lendemain, au lieu de retrouver son poste d’ouvrier, Kerbrat est dans une voiture direction Guingamp où, après avoir visité les installations et rencontré l’entraîneur Gourvennec, il signe un premier contrat pro de deux ans. Chez Goasduff, qu’importe que le gazier ne soit pas présent à son poste, on se réjouit de la nouvelle. Mais le mec, en garçon bien élevé qu’il est, n’oublie pas de remercier ses patrons : « J’aurais dû bosser ce matin (le vendredi de sa signature, ndlr). Je tiens à remercier mes employeurs. » « En voilà un au moins qui n’oubliera pas d’où il vient » , pense déjà la presse sportive, horripilée qu’elle est par certains comportements d’enfants-stars du foot et adepte des belles histoires qui sentent « le vrai » .
Le foot plutôt que le tennis
Guingamp a beau être un bled de 8.000 âmes, frappé par le vent du Nord et bordé de prairies où les vaches laitières broutent paisiblement, il n’en reste pas moins qu’en termes de foot, l’EAG, c’est pas Plabennec. En arrivant dans les Côtes d’Armor, Kerbrat comprend vite qu’il vient de changer de dimension et d’entrer dans « un monde totalement différend. Ici, on ne pense qu’au foot, dans des structures adaptées, raconte-t-il dans les colonnes du Télégramme. Il y a plus d’entraînements et le groupe est plus nombreux que ce que j’ai pu connaître à Plabennec. » À peine débarqué, l’ancien joueur de National est tout de suite mis dans le bain. Un stage à Châtel et le voici nez à nez avec l’exigence du haut niveau. Malgré quelques bonnes suées, celui qui avouait avoir eu un « coup de fatigue au bout de trois semaines » se fonde tout de suite dans le collectif. Au point de très vite faire oublier qu’à la différence de bon nombre de ses nouveaux coéquipiers, lui n’a jamais mis les pieds dans un centre de formation. Cela ne l’a pas empêché d’avoir de véritables prédispositions pour le sport de haut niveau dès son plus jeune âge. Ado, il était partagé entre sa passion pour le football et celle pour le tennis. Deux fois vice-champion de Bretagne, le Finistérien est classé 2/6 à seulement 16 ans.
La Ligue 2, la Ligue 1 et Zlatan
Mais quand Bernard Maligorne, l’entraîneur de Plabennec, le convoque chez les seniors à 17 ans, l’heure est venue de faire son choix. Sans hésiter, Kerbrat choisit le ballon rond plutôt que la balle jaune. Une décision mûrement calculée : « J’ai estimé que ma marge de progression était plus importante dans le foot » , explique-t-il sûr de son fait. Difficile de lui donner tort. Après une première saison d’apprentissage durant laquelle il fait tout de même 14 apparitions en L2, celui qui arbore fièrement le n°29 en hommage à son Finistère natal s’imposera la saison suivante comme un titulaire indiscutable au sein du 11 de Gourvennec. D’abord utilisé en milieu défensif, les aléas de la saison et les blessures de quelques défenseurs poussent Joce à l’essayer en défense centrale. Mort de faim sur chaque ballon et pas dégueu techniquement, le Brestois séduit immédiatement. Comme le reste du groupe guingampais, Kerbrat ne cesse de rendre des copies parfaites, faisant rapidement de Guingamp un candidat sérieux à la montée. Finalement au terme d’une saison 2012-2013 canon, l’EAG accède à l’élite et avec lui, le « couteau suisse » (surnom donné pour sa capacité à dépanner à tous les postes) devenu canif à la place du canif.
« On a tous un peu le même rêve, non ? »
Cette saison, à part un quart d’heure de jeu, le premier en L1, totalement casquette contre l’OM lors de la première journée de championnat (trois buts encaissés en 13 minutes, dont deux bourdes de la défense centrale), Christophe Kerbrat semble peu à peu trouver ses marques. Associé à Sorbon en défense centrale, l’ancien Plabennecois fait le taff. Tout comme son équipe, 8e au classement après 13 journées. Que de chemin parcouru en si peu de temps pour ce bonhomme de 27 ans ! Les supporters guingampais se retrouvent tous un peu en Kerbrat. Un mec simple, discret, attachant, mais surtout un gars qui bosse dur et ne se plaint jamais. Aujourd’hui, le joueur guingampais vit un rêve éveillé. « On a tous un peu le même rêve, non ? Celui d’arriver un jour à jouer à ce niveau-là » , disait-il déjà la saison passée à l’étage inférieur. Depuis, il a eu le plaisir de jouer au Parc des Princes et de se coltiner un certain Z au marquage. Ce même jour, Plabennec recevait Viry-Châtillon en CFA. Comme le dirait le JPP du 13h de TF1, « une bien belle histoire comme on en rencontre chaque jour dans nos jolies régions françaises » .
Par Aymeric Le Gall